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Exposition

La révolution Rock

par Elisabeth Bouvet

Article publié le 02/08/2007 Dernière mise à jour le 02/08/2007 à 11:12 TU

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Trente ans en cet été 2007 qu’Elvis Presley a disparu. C’était le 16 août 1977, le chanteur américain était âgé de 42 ans. Une commémoration qui méritait bien une exposition. Elle est à voir à la fondation Cartier pour l’art contemporain de Paris qui a décidé de s’intéresser plus globalement à l’histoire du rock’n’roll. Avec Rock’n’Roll, 1939-1959, le titre de l’exposition, la fondation Cartier revient sur ce séisme musical mais aussi sociétal que fut l’éruption du rock, dans une Amérique puritaine et ségrégationniste. Du « King » à Jerry Lee Lewis en passant par Buddy Holly ou Little Richard, ce sont aussi tous les rockers de cette période que la fondation nous permet de réécouter. Sans oublier tous ceux, plus ou moins anonymes, qui ont nourri cette musique proprement révolutionnaire.

L’un veut écouter sur son « pick-up » un 45 tours de rock, l’autre, un concert de musique classique retransmis par la radio. Entre les deux frères, c’est la guerre du son jusqu’au moment où, à force de pousser le volume, la TSF finit par rendre l’âme dans une explosion de fumée blanche. Le rock a gagné ! Cette scène en noir et blanc ouvre le film Rock’n’Roll : The early days qui accueille le public, histoire de le mettre tout de suite dans le bain. Réalisée en 1984 par Patrick Montgomery et Pamela Page, cette compilation d’archives permet aussi au visiteur de se familiariser avec les grandes figures du rock et, par delà, de prendre pleinement la mesure de ce que représenta cette nouvelle expression musicale, « une vraie révolution », selon Katell Jaffres, l’une des deux commissaires de l’exposition.

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L’exposition Rock’n’Roll, 1939-1959 ne se contente pas, effectivement, d’exposer costumes, guitares, affiches, postes de radio, juke-box et autres contrats d’époque, elle replace également et, peut-être principalement, le rock dans son environnement social et politique. Les photographies montrant, entre autres, des réunions du Klu klux Klan sont là pour rappeler que, dans les années 50, les Etats-Unis sont un pays ségrégationniste. « L’émergence du rock, souligne Katell Jaffres, coïncide avec les premières mesures prises en faveur des Noirs. C’est notamment l’arrêt Brandt qui, en 1954, permet aux étudiants noirs d’accéder aux études universitaires. C’est le début du mouvement des Droits civiques qu’un certain nombre de jeunes Blancs vont soutenir, en choisissant de tourner le dos à la culture de leurs parents ». Et le rock’n’roll participe justement de cette mouvance contestataire comme le prouvent, par exemple, les images du photographe Bruce Davidson, témoin privilégié de cette jeunesse qui aspire à une nouvelle société, plus démocratique, plus libre. Même Hollywood s’est mis au diapason livrant, coup sur coup, deux films pour le moins emblématiques : en 1953, L’Equipée sauvage de Laslo Benedek qui met en scène une horde de motards « rebelles » emmenés par un Marlon Brando tout de cuir vêtu et, deux ans plus tard, La fièvre dans le sang d’Elia Kazan avec James Dean, en mauvais garçon incarnant le malaise de la jeunesse de ces années 50. Malaise ou souci d’indépendance qui s’épanouissent, qui plus est, sur un terreau particulièrement fécond. Le pays est sorti victorieux de la Seconde guerre mondiale, les temps sont de nouveau placés sous le signe de la prospérité économique, comme le rappelle Katell Jaffres : « Le développement des nouvelles technologies avec le lancement du pick-up et du 45 tours qui permettent aux jeunes d’écouter la musique de leur choix, ou encore la multiplication des transistors qui leur offre la possibilité de choisir leurs programmes, tout cela contribue à remodeler le visage de la société américaine ».

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Si le rock inspire à certains pasteurs des sermons réprobateurs, pour ne pas écrire haineux, c’est qu’il exprime justement ce souffle de liberté qui force les esprits à s’ouvrir. « Pour la première fois, en effet, explique Katell Jaffres, il y a de vrais échanges entre les communautés noire et blanche. On montre des posters de concerts où l’on retrouve justement des chanteurs noirs et blancs en tournée ensemble et où, même parfois, on peut voir des Noirs tenir le haut de l’affiche alors que les Blancs font la première partie. Et on n’aurait jamais pu imaginer cela, quelques années plus tôt ». Et si l’exposition débute en 1939, ce n’est évidemment pas un hasard. Un arbre généalogique musical est d’ailleurs là pour remonter aux sources du rock. Une origine à chercher du côté du Sud des Etats-Unis autrement dit du boogie-woogie, du gospel, du blues et du jazz. Le répertoire d’Elvis Presley emprunte pour beaucoup, rappelle l’exposition, à la musique afro-américaine qu’il a non seulement revisitée mais surtout réinterprétée. Preuve que celui-ci n’avait pas que le déhanchement « trop racial », pour reprendre la réponse d’un manager californien au producteur du « King » que ce dernier essayait de lancer sur la côte Ouest. Les dernières résistances ne tarderont toutefois pas à voler en éclats.

© Alfred Wertheimer

© Alfred Wertheimer

En 1956, considérée comme le point d’orgue de l’histoire du rock, les vedettes qui se partagent les faveurs du public appartiennent aux deux cultures. Des bornes musicales disséminées dans toute l’exposition permettent ainsi de réécouter tant Jerry Lee Lewis que Chuck Berry, tant Buddy Holly que Little Richard, tant Elvis Presley que Fats Domino. Tous également célèbres même si le roi incontestable reste Elvis Presley qui, en 1956, enregistre le 45 tours le plus vendu de la décennie : sur la face A, Don’t be cruel, sur la face B, Hound dog. A la fin des années 50, les mauvais garçons sont devenues des idoles. 1959 marque cependant un tournant dans l’histoire de rock : « C’est même la fin de l’âge d’or », confirme Katell Jaffres. En 1958, Elvis Presley, qui s’est également illustré au cinéma, est appelé sous les drapeaux, il embarque pour l’Allemagne où il restera deux ans. En cette même année, Jerry Lee Lewis voit sa carrière s’arrêter brutalement à la suite de son mariage avec sa petite cousine de 13 ans. En 1958 toujours, Little Richard, en pleine crise mystique, tourne le dos au monde du rock pour faire des études de théologie. Enfin, en 1959, Buddy Holly disparaît dans un accident d’avion à l’âge de 23 ans. Si les trois premiers reviendront sur le devant de la scène, plus ou moins vite, et avec plus ou moins de succès, il s’agira dans tous les cas pour eux d’une seconde carrière ou, pour reprendre l’expression de Katell Jaffres, « d’une autre histoire ». Avec les années 60, le rock franchit en effet l’Atlantique et l'Europe s'apprête à succomber au charme de quatre garçons dans le vent.