par Elisabeth Bouvet
Article publié le 07/08/2007 Dernière mise à jour le 07/08/2007 à 16:26 TU
Décès le 4 août dernier aux Etats-Unis de Raul Hilberg. L’historien américain d’origine autrichienne (il avait 13 ans quand il quitta Vienne, sa ville natale en 1939, fuyant les persécutions) est mort à l’âge de 81 ans après avoir consacré toute sa vie au génocide des Juifs durant la Seconde guerre mondiale. Tout le travail de l’auteur de La destruction des juifs d’Europe a en effet consisté à étudier en toute impartialité les mécanismes de l’Holocauste, même si Raul Hilberg refusait d’employer ce terme, rejetant les connotations religieuses qu’il recèle. Si depuis sa parution en 1961, La destruction des Juifs d’Europe est sans cesse remanié et réédité, Raul Hilberg n’accèdera à la notoriété qu’au début des années 80. En 1985, son apparition dans le documentaire de Claude Lanzmann, Shoah, avait d'ailleurs contribué à renforcer cette notoriété tardive. En 1992, paraîtront Exécuteurs, victimes, témoins puis dans la foulée, Politique de la mémoire. L’historienne française Annette Wieviorka revient sur le parcours (et les controverses qui l’ont émaillé) de Raul Hilberg. Elle répond à Elisabeth Lequeret.
RFI : Que représente Raul Hilberg ?
Annette Wieviorka : Il représente l’historien qui a été le pionnier dans l’étude de la destruction des juifs d’Europe. Il représente un historien qui a consacré sa vie à cette étude, en dépouillant un nombre d’archives impressionnant, et qui n’a cessé d’enrichir son œuvre en la développant. C’est un immense historien et nous avons tous une dette à son égard.
RFI : Comment expliquez-vous que Raul Hilberg ait été reconnu si tardivement ? Que notamment La destruction des juifs d’Europe, qui est donc son œuvre majeure, ait été si mal accueillie par les instances juives ?
A W : . Elle a été mal accueillie par les instances juives parce qu’il y a eu une sorte d’interférence avec Eichmann à Jérusalem d’Hannah Arendt, qui a été jugé par les instances juives comme étant un ouvrage difficilement admissible, notamment par ce qu’elle disait des conseils juifs. Elle prétendait que les juifs avaient coopéré à leur propre destruction. Donc on a quelque chose de paradoxal, qui est qu’Hannah Arendt a littéralement pillé Raul Hilberg qui n’avait pas encore été publié aux Etats-Unis, pour écrire son livre, et qu’en même temps, elle a été une des personnes hostiles à sa publication aux Etats-Unis, puisqu’elle a fait un rapport de lecture négatif.
RFI : Mais comment expliquez-vous qu’encore aujourd’hui, l’essentiel de l’oeuvre de Raul Hilberg n’est pas encore traduite en hébreu ?
A W : Je pense, je ne crois pas me tromper, qu’elle est en cours de traduction. Mais vous savez, l’ensemble des historiens israéliens lit et écrit parfaitement l’anglais. Ce n’est pas parce que ce n’est pas traduit que les Israéliens n’y ont pas d’accès.
RFI : Aujourd’hui que le corpus sur la Shoah s’est considérablement élargi, comment peut-on situer, aujourd’hui en 2007, l’oeuvre de Raul Hilberg ?
A W : C’est à la fois une encyclopédie et un ouvrage qui permet d’avoir une vision globale. Moi, je l’ai dans ma bibliothèque, à côté d’un certain nombre d’ouvrages de base. Je le consulte constamment quand j’ai besoin d’avoir une précision. J’en relis certaines parties quand j’ai besoin de réfléchir sur tel aspect de la Shoah. Donc, je crois que c’est l’ampleur de ce travail qui le rend irremplaçable. Aujourd’hui, on a beaucoup viré dans de la micro-histoire, c'est-à-dire, dans l’étude de petits aspects. Et très peu d’historiens osent se lancer dans des grandes œuvres plus générales comme Raul Hilberg. Je verrai un seul historien qui travaille avec cette ampleur, c’est probablement Saul Friedländer. Sinon, si on considère les élèves d’Hilberg, comme Browning par exemple, il travaille sur des sujets plus restreints que Hilberg.
RFI : Raul Hilberg a aussi écrit sur le génocide Rwandais. Il est assez rare qu’un universitaire sorte comme ça de son champ d’étude privilégié.
A W : Je pense que Raul Hilberg était un très grand pessimiste. C’est un homme qui avait été beaucoup blessé dans sa vie et qui avait une sorte de désespoir dans l’idée que finalement, tout ce travail d’étude sur la destruction des Juifs, sur le génocide, ne servait à rien puisqu’il n’avait pas été capable d’apporter une meilleure compréhension de ce qui se déroulait au Rwanda et d’empêcher le génocide. Je pense que peut-être, s’il avait vécu davantage, il tirerait de la façon dont on parle du Darfour, et dont les juifs américains notamment se préoccupent du Darfour, un petit réconfort.
A lire
La destruction des Juifs d’Europe, éditions Fayard (1985)
Exécuteurs, victimes, témoins, éditions Gallimard (1994)
Politique de la mémoire, éditions Gallimard (1996)
Holocauste : les sources de l’histoire, éditions Gallimard (2001)