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Les signes et les lettres

Les chemins d’écriture

par Elisabeth Bouvet

Article publié le 26/09/2007 Dernière mise à jour le 26/09/2007 à 09:30 TU

 Jean-François ChampollionPortrait par Léon Cogniet 1831, domaine public.

Jean-François Champollion
Portrait par Léon Cogniet 1831, domaine public.

Le nom de Champollion de nouveau honoré à Figeac. C’est là dans cette ville médiévale du Lot que ce pionner de l’égyptologie a vu le jour en 1790. Quelque 200 ans plus tard, la maison familiale ouvre ses portes au musée des Ecritures du monde. Hommage à l’échelle de la planète à celui qui, s’il reste dans les esprits comme le déchiffreur des hiéroglyphes, se passionna pour toutes les langues. De l’apparition des premières formes d’écriture vers 3 300 ans avant notre ère au livre électronique dernier cri, le musée propose donc au public un vaste panorama à travers l’histoire des écritures. Pédagogique et ludique à la fois, ce musée prolonge ainsi de la plus émouvante manière qui soit la mémoire de l’opiniâtre et pionnier Jean-François Champollion, son inspirateur.

Ex-libris Jean-François Champollion, oeuvre de Joseph Kosuth (1990).(Photo : Elisabeth Bouvet / RFI)

Ex-libris Jean-François Champollion, oeuvre de Joseph Kosuth (1990).
(Photo : Elisabeth Bouvet / RFI)

Ce samedi-matin là, c’est sur l’immense pierre de Rosette qui recouvre la place dite des écritures que la mariée se fait photographier. Blanc sur noir, les œuvres d’art à Figeac font partie du décor. Hommage à la vraie pierre de Rosette actuellement au British Museum et dont la découverte en 1799 permit à l’enfant du pays, Jean-François Champollion, de déchiffrer les hiéroglyphes, cette dalle sombre jouxte le musée des Ecritures du monde. Introduction polyglotte, puisqu’on y voit toutes sortes de signes, au voyage à travers le temps et l’espace que nous réserve ce tout nouveau musée installé dans la maison natale de Champollion. Ce dernier, indique Marie-Hélène Pottier, la conservatrice du musée, ayant très tôt « fait preuve d’une vraie passion pour toutes les langues ». Ce que rappelle également la seconde façade de la demeure. En retrait des pierres apparentes ont en effet été fixés des panneaux de verre qui enserrent une feuille de cuivre percée de quelque 1000 caractères issus de différents systèmes d’écriture. Sa curiosité ainsi aiguisée, le visiteur n’a plus qu’à grimper les trois étages du musée comme on remonte le temps, à travers, en l’occurrence, plus de 5 000 ans d’histoire des écritures et des hommes.

Dans les pas du déchiffreur Champollion

Une façade du musée Champollion.DR

Une façade du musée Champollion.
DR

Si Jean-François Champollion occupe le rez-de-chaussée, sa présence est moins celle d’un invité d’honneur ou d’un propriétaire que celle d’un passeur. De la cheminée (authentique), au pied de laquelle l’orientaliste apprit enfant à écrire, à son séjour en Egypte (1828-1829) qui viendra couronner 10 ans de travaux sur les hiéroglyphes qu’il réussit à déchiffrer en 1822, le musée met l’accent sur les différentes étapes qui, d’erreurs en tâtonnements, ont permis cette prodigieuse découverte après 15 siècles de silence. Le parcours du musée s’inspire d’ailleurs de la démarche du scribe Champollion : « Le musée de Figeac, explique sa directrice, permet au visiteur de se situer dans cette extraordinaire histoire des écritures, de comprendre son cheminement des origines à aujourd’hui ». C’est bien l’enjeu des deux étages suivants consacrés, d'une part, aux 4 écritures fondatrices apparues entre le 4ème et le 1er millénaire avant J-C à savoir le cunéiforme, les hiéroglyphes, les caractères chinois et les glyphes mayas et, d'autre part, à l’élaboration des premiers systèmes d’écriture aux alentours du 16e siècle avant notre ère. « Il ne s’agit pas de donner un cours, insiste Marie-Hélène Pottier, mais d’inviter le public à un jeu de déchiffrement ». Sur la base de ce que l’on connaît a priori le mieux, notre propre langue.

(Photo : Elisabeth Bouvet / RFI)

(Photo : Elisabeth Bouvet / RFI)

Du cunéiforme mésopotamien aux alphabets méditerranéens (grec, latin, arabe, hébraïque, etc), le musée de Figeac invite le visiteur à remonter le fil du temps et, partant, à regarder derrière les 26 lettres qui composent notre alphabet. Et si le recours aux documents et autres objets historiques est évidemment incontournable, la conservatrice a cherché à rendre cette leçon de géographie et d’histoire la plus attractive possible en jouant notamment la carte de l’interactivité. Ecrans tactiles, visuels émaillent ce tour du monde des premiers signes et des systèmes d’écritures, aussi, confie notre cicérone, « parce que le sujet que traite le musée peut évoquer des souvenirs scolaires difficiles pour beaucoup de gens. Or, continue-t-elle, à travers l’écriture, c’est le monde que l’on veut comprendre. Quand Champollion déchiffre les hiéroglyphes, c’est pour accéder à l’antiquité. Et l’un des grands enjeux du musée, c’est justement d’expliquer comment, pourquoi les hommes ont utilisé l’écriture ». Mésopotamie, Egypte, Chine ou Amérique du Sud… Partout, « l’enquête » aboutit à la même conclusion : « les hommes ont d’abord utilisé l’écriture pour parler aux dieux, puis pour imposer leur pouvoir, contrôler les peuples et les individus, en un mot conquérir. L’écriture fut également mise au service du développement économique et, bien sûr, de la transmission des connaissances ».

La mutation des écritures

Statue de Hadad-iri, gouverneur de Gucana, fin IXe s. av.J.C. (Damas)(Photo : Elisabeth Bouvet / RFI)

Statue de Hadad-iri, gouverneur de Gucana, fin IXe s. av.J.C. (Damas)
(Photo : Elisabeth Bouvet / RFI)

Du signe à la lettre… Ce voyage au cœur des écritures est décidément tout sauf figé. Par delà les alphabets et donc les langues qui ont disparu à l’instar de l’araméen ou du sub-arabique, aujourd’hui encore toutes les énigmes ne sont pas résolues puisqu’il reste une vingtaine d’écritures à décoder y compris parmi les 29 langues mayas qui se pratiquent toujours en ce début de XXIe siècle. L’exposition s’emploie également à rectifier certaines fausses idées (reçues) en rappelant, par exemple, qu’une écriture n’est aucunement liée à une seule langue : « Une écriture voyage, elle part dans les bagages des marchands et des conquérants et sert à transcrire différentes langues, même appartenant à des systèmes différents. On voit, par exemple, des écritures sémitiques transcrire des langues d’Asie centrale ou des écritures syllabiques transcrire des langues phonétiques. En fait, une écriture peut se retrouver dans différents systèmes linguistiques ». Singulier en revanche, du moins jusqu’à une certaine époque, l’outil qui a servi à s’exprimer. Et c’est peut-être là, l’aspect le plus touchant de ce périple à travers les écritures du monde : voir se dessiner sous nos yeux une civilisation ancienne. Ainsi de ce « nécessaire » du parfait calligraphe chinois qui date du 2e siècle après notre ère avec son pinceau, son papier de soie et même sa pierre dite de « concentration ».

Actes notariés, lettres, manuscrits, pétitions…

En Europe, si l’écriture latine se stabilise définitivement à l’époque romaine, le grand bouleversement viendra avec l’apparition du livre vers le 3e siècle après notre ère et, bien sûr, avec la découverte de l’imprimerie au XVe siècle qui permet alors de transmettre le savoir au plus grand nombre. Evolution dont le dernier étage du musée se fait l’écho. Ce sont d’abord, réunis dans une vitrine, toutes sortes de manuscrits ou d’ouvrages allant du précieux Livre des rois iranien qui date de 1572 à une bande-dessinée d’Hergé, d’un superbe livre en langue batak (Nord de Sumatra) écrit sur des lamelles d’écorces de bois et qui, une fois déplié, s’étale sur une longueur de 6 mètres au dernier-né en matière de livre électronique, manière d’embrasser en un regard 20 siècles ou presque de l’histoire du livre. Mais, avant de regagner définitivement le monde contemporain, le visiteur est invité, une dernière fois, à s’interroger sur les usages de l’écrit. Cachés dans des placards, des textes de tous genres et de tous styles tantôt revendicatifs, tantôt administratifs, tantôt informatifs. En ouvrant l’une de ces « caches », le visiteur se fait donc ou interpeller ou rabrouer ou prendre à témoin. Et de ces documents, on en retiendra un : un pamphlet d’André Breton datant de 1956 et intitulé Sus au misérabilisme. Une formule que le musée de Figeac pourrait reprendre à son compte dès lors que « l’un de ses objectifs, reconnait Marie-Hélène Pottier, consiste aussi à lutter contre l’illettrisme en présentant l’écriture non pas comme un obstacle mais plutôt comme un jeu ». Pas de doute, l’esprit du déchiffreur Champollion est bel et bien respecté… à la lettre.

Manuscrit birman kamavaca.
Le kamavaca est un document rédigé lors de l’ordination des prêtres. Il s’agit d’un extrait du canon bouddhique en langue pali.DR

Manuscrit birman kamavaca. Le kamavaca est un document rédigé lors de l’ordination des prêtres. Il s’agit d’un extrait du canon bouddhique en langue pali.
DR