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Littérature

Le Nobel pour Lady Lessing

par Elisabeth Bouvet

Article publié le 11/10/2007 Dernière mise à jour le 11/10/2007 à 15:23 TU

Doris Lessing.(Photo : Reuters)

Doris Lessing.
(Photo : Reuters)

Doris Lessing, prix Nobel de Littérature. En choisissant la romancière britannique, l’Académie suédoise a tenu à récompenser « la conteuse épique de l’expérience féminine qui ,avec scepticisme, ardeur et une force visionnaire scrute une civilisation divisée », selon ses propres termes. Communiste jusque dans les années 50, féministe, Doris Lessing a publié une quarantaine d’ouvrages parmi lesquels Le Carnet d’or (1962), son livre le plus connu, Le Journal d’une bonne voisine (1984) et bien sûr, Enfants de la violence, sa première saga rédigée de 1952 à 1969. Changeant radicalement et de style et de genre, elle s’adonne depuis quelques années à la science-fiction. En témoigne la série intitulée, Canopus in Argos écrite entre 1979 et 1983. Portrait d’« une vieille dame indigne ».

Etait-ce le genre de cadeau d’anniversaire dont Doris Lessing rêvait, sans oser le formuler ? Toujours est-il qu'à quelques jours de fêter ses 88 ans, ce sera le 22 octobre, la romancière britannique rejoint le cercle très restreint des auteures figurant parmi les lauréats du Prix Nobel de Littérature en devenant la 11e femme récompensée, en plus d’un siècle d’attributions. Et la première Anglaise. Ce qui ne saurait déplaire à celle qui est considérée comme l’une des grandes figures du féminisme.

Née en 1919 en Perse, l’actuel Iran, où son père, ancien capitaine dans l’armée Britannique, exerce la profession de banquier, Doris May Taylor a 6 ans quand ses parents s’installent en Rhodésie (le Zimbabwe, aujourd’hui), attirés par la promesse d’y faire fortune. Une enfance africaine qui a incontestablement marqué son œuvre. Tout comme son opposition avec sa mère qui l’amènera à 15 ans à embrasser la carrière d’aide-soignante pour échapper à l’emprise maternelle. A 18 ans, elle devient standardiste avant d’épouser, un an plus tard, Frank Wisdow avec lequel elle aura deux enfants. Un premier mariage qui ne durera pas. Elle abandonne bientôt sa famille et rencontre peu après Gottfried Lessing qu’elle épouse en secondes noces. Un fils naîtra de cette union qui finira, comme la première, par un divorce faisant dire à l’intéressée que « le mariage est un état qui ne lui convient pas ». Mais ce n’est qu’au tournant des années 50 que Doris Lessing, qui a rejoint Londres avec son fils, entame sa carrière d’écrivain, s’inspirant d’abord de son expérience personnelle. « Je suis toujours étonnée de ce que je découvre en moi », aime à répéter l'auteur de Mémoires d'une survivante qui, pour sa première saga, rédigée de 1952 à 1969, Enfants de la violence, s’inspirera effectivement de son enfance écartelée entre plusieurs cultures, plusieurs continents. Le personnage principal Martha Quest apparaît d’ailleurs étonnement proche de l’auteure.

DR

L’Afrique, Doris Lessing y reviendra régulièrement tout au long de sa carrière. A plusieurs reprises, elle prendra sa plume pour dénoncer la corruption de certains gouvernements. En 1956, elle sera même interdite de séjour dans toute la Fédération de Rhodésie et du Nyassaland et en Afrique du Sud. Ardente militante anti-Arpatheid, Doris Lessing ne retournera en Afrique du Sud qu’en 1995. Conflits de cultures, inégalités raciales, contradiction entre le bien commun et la consciences individuelles sont parmi les thèmes régulièrement évoqués dans ses romans. C’est également en 1956 qu’elle rompt avec le Parti communiste britannique suite à l’écrasement de la révolte hongroise. Si dès son tout premier roman, Vaincue par la brousse (1950), elle accède à la notoriété, l’année 1962 marque toutefois un tournant dans sa vie d’écrivain avec la publication de ce qui reste aujourd’hui comme son chef d’œuvre, Le Carnet d’or. Ce livre raconte l’histoire d’une femme-écrivain à succès qui tient son journal sur quatre carnets différents, comme les quatre points cardinaux du parcours d’une femme de lettres et de son évolution à travers ses engagements politiques, sa vie privée, sa carrière littéraire et sa quête d’une vérité par le biais de la psychanalyse. Avec ce roman, Doris Lessing devient une sorte d’icône du féminisme. Un peu malgré elle d’ailleurs, elle qui s’est toujours appliquée à nier avoir jamais été une militante. Elle a même tenu des propos singulièrement durs à l’égard du mouvement féministe dont elle n’a pas hésité à dire, par exemple, qu’il avait « gaspillé son énergie et son temps à causer et à former des groupes ». En 2001, elle fera carrément scandale en prenant publiquement la défense des pauvres hommes opprimés par les féministes, « des femmes ignorantes et méchantes ». Contestataire, Doris Lessing mais résolument indépendante. Voire provocatrice comme en 1984 où elle sera l'auteur d'un canular qui mettra le monde de l'édition dans l'embarras. Cette année-là, tentant de faire publier son nouveau roman Le journal d'une bonne voisine sous le pseudonyme de Jane Somers, elle essuye tout bonnement le refus de son propre éditeur avant de trouver preneur, ailleurs mais dans l'indifférence critique générale.  

Quoi qu'il en soit, son œuvre, forte d’une quarantaine de titres empruntant à tous les genres (roman, saga, théâtre, science-fiction), est aujourd’hui lue et étudiée dans le monde entier. Et loin d’être achevée. Doris Lessing confiait en septembre dernier au quotidien Libération qu’elle travaillait actuellement à un livre traitant de la Première guerre mondiale, « là où tout a commencé », selon son expression. Pas de doute donc, ce Prix Nobel de Littérature ne sera pas une fin en soi même si, à bientôt 88 ans, Doris Lessing est la plus âgée de tous les lauréats. D'où ce commentaire en apprenant la nouvelle : « C'est un flush royal ! ». Après tous les prix glanés en un demi-siècle de carrière, cette joueuse invétérée pouvait, à juste titre, se réjouir de remporter enfin ce Nobel qui semblait l'avoir oubliée. Bref, bon anniversaire Miss Lessing.

Les livres de Doris Lessing ont, pour la plupart, été publiés en France aux éditions Albin-Michel. Ils sont également disponibles aux éditions du Livre de poche.   

Isabelle D. Philippe

Traductrice des livres de Doris Lessing

« Au travers de personnages qui actent des situations difficiles, on retrouve chez Doris lessing des thèmes tels que le racisme ou la pauvreté par exemple. »

11/10/2007 par Catherine Fruchon-Toussaint

Patrice Hoffman

Editeur de Doris Lessing en France

« C'est une femme de tous les combats et qui est très curieuse. »

12/10/2007 par Romain Farrugia