par Elisabeth Bouvet
Article publié le 02/11/2007 Dernière mise à jour le 02/11/2007 à 15:47 TU
Si Guitry nous était conté… Un demi-siècle après la mort de l’auteur, réalisateur et acteur français, la Cinémathèque de Paris propose un parcours qui met en lumière des facettes peu connues de la vie de Sacha Guitry (1885-1957). Amateur de bons mots, misogyne, provocateur, Guitry fut aussi un immense travailleur, ce que l’on sait sans doute moins. « Bas les masques ! », pourrait d’ailleurs être le slogan de cette rétrospective intitulée justement Sacha Guitry, une vie d’artiste. A prendre au pied de la lettre tant l’univers du réalisateur s’apparente à une vaste scène. Toc, Toc, Toc, la représentation prendra fin le 18 février prochain.
C’est Guitry qui reçoit. Il n’ouvre pas la porte mais presque. C’est d’abord un portrait signé Harcourt, d’où se détachent, sur un camaïeu de gris, des lunettes rondes et blanches qui dessinent un regard de clown à notre hôte. Ça tombe bien car pile en face, le même Guitry fait justement le pitre. Il s’agit cette fois d’une archive télévisée datant du 21 février 1952. Dans l’émission 36 chandelles de Jean Nohain, Sacha Guitry fête ses 70 ans. A sa manière, mi figue-mi raisin. On le voit assis derrière un gâteau garni des réglementaires petites bougies qu’il fait tourner comme on remonte le temps, d’aujourd’hui au jour de sa naissance. Soixante dix années qu’il égrène de décennies en décennies, soit 7 étapes qui nous valent à chaque halte, une remarque vache ou un bon mot. « 70 ans, pas de quoi rire », lâche-t-il, l’air las, de sa voix inimitable. Cette voix qui nous accompagnera avec bonheur tout au long de cette déambulation tout en couleurs chatoyantes, ombres, voilages et rondeurs. Humour dans le vestibule, raffinement dans les autres pièces, on est bien chez Sacha Guitry, parangon, dans les années 30, du chic made in France.
Le démiurge de sa vie
« Le parcours n’est ni biographique ni chronologique », prévient Noëlle Giret, conservateur général au département des Arts du spectacle à la Bibliothèque nationale de France et co-commissaire de l’exposition. « Il est divisé en 7 chapitres qui rendent compte de la diversité du travail de Guitry ». Et de ses talents. Car avant d’être le dramaturge, le cinéaste et le comédien que l’on sait, il s’illustra dans le dessin, le mime et même le music-hall. Il s’approprie toutes les formes de spectacles, allant jusqu’à faire de sa vie une représentation permanente, ce dont témoignent les photographies où on le voit sautillant, posant, s’amusant, se déguisant.
Sacha Guitry, Julien Rivière et Gaby Morlay dans la pièce de Sacha Guitry "Quadrille" (1937)
BNF, Arts du spectacle, fonds Guitry
© DR
« Vie privée, vie publique, il n’y a pas de frontière. A la scène comme à la ville, il cherche à recréer le monde enchanté de son enfance », explique Noëlle Giret. Fils de l’un des comédiens les plus en vue de la Belle Epoque, Lucien Guitry, le petit Sacha a grandi entre précepteurs particuliers et avant-garde. Les amis de son père s’appelle en effet Vuillard, Monet, Courteline, Toulouse-Lautrec, Lartigue sans oublier la grande Sarah Bernhardt. On comprend dès lors que Sacha Guitry ait voulu prolonger voire perpétuer ce monde fait d’insouciance et d’élégance, et donc jouer la comédie. Ou plutôt se regarder jouer la comédie. « J’ai grandi avec l’idée que jouer c’était travailler », confessera-t-il d’ailleurs. « C’est toute sa vie, surenchérit la commissaire de l’exposition, jusqu’aux comédiennes qu’il épouse. Et même sa 5e épouse, Lana Marconi qui n’est pourtant pas une actrice, il va la transformer en comédienne. Il est le grand démiurge de tous les moments de sa vie. Sa vie reste son matériau principal ». Naturel, sobre, deux qualificatifs à bannir quand on parle de Sacha Guitry sauf peut-être dans l’intimité de sa chambre, et encore…
Le goût du bonheur
Anonyme, Georges de Porto-Riche et Sacha Guitry en Deburau, 1919
© BNF, Arts du spectacle, fonds Guitry
« On n’a pas chercher à effacer le ‘Guitry Champagne’, c’est tout à fait son image de marque. Mais on a voulu rentrer un peu plus dans le processus de création et aller derrière le masque de la provocation », poursuit Noëlle Giret. Et cela, à la faveur des dernières archives acquises par la BnF, il y une dizaine d’années. « Ce sont pour l’essentiel des documents de travail, détaille la commissaire de l’exposition, qui prouvent que Sacha Guitry n’était pas aussi léger et dilettante qu’une partie de la critique s’est plu à le dire à l’époque. C’était un immense travailleur, comme le montrent les story-boards que l’exposition présente. Contrairement à l’idée reçue, Guitry arrivait sur un tournage avec une idée précise de ce qu’il voulait ». Mais toujours, même au travail, cette élégance d’être quoi qu’il arrive au dessus des contingences. C’est François Truffaut qui expliquait aimer Guitry car, disait-il, « il ne se lève jamais du pied gauche mais toujours du pied droit ». De la même façon que le réalisateur du Roman d’un tricheur s’est employé à poursuivre une idée de l’acteur comme on poursuit une illusion jamais atteinte, il s’est toujours attaché à défendre une notion du bonheur hérité de sa jeunesse, de son père. « Jusqu’à l’épuration, c’est une espèce de grand enfant heureux », reconnaît Noëlle Giret. Doit-on mettre sa « coupable » neutralité durant la Seconde guerre mondiale sur le compte de cette inconscience ? Toujours est-il que son attitude lui vaudra, à la Libération, soixante jours de prison. Un épisode qui marquera définitivement une césure dans l’existence de Guitry, que les années 50 vont de toute façon rejeter dans un monde désuet et révolu.
Guitry, un homme du passé
Sacha Guitry est en effet un conservateur. Les sujets de nombre de ses films, par exemple, lorgnent davantage vers le passé que vers les avant-gardes. Et Noëlle Giret de rappeler que « si Jean Cocteau et Sacha Guitry étaient de proches amis, contrairement à l’auteur des Enfants terribles, Guitry vivait dans un monde clos ». A l’image de l’hôtel particulier où il s’était installé, rue Elisée Reclus, à Paris, un véritable musée comme une ode au XIXe siècle, comme la marque aussi d’une indéfectible fidélité au passé, à un père admiré. La collection d’œuvres art de Sacha Guitry est incontestablement marquée du sceau du classicisme. Ici, un buste d’Anatole France, là un Renoir, ailleurs un Monet ou un Utrillo. Même son verbe est celui d’un autre temps. « Physique prépondérant », comme il aimait à le dire et « je ne sais quoi de sentencieux, de péremptoire », se plaisait-il à ajouter. Anachronisme qui n’enlève rien ni à l’humour ni à l’insolence ni à la pertinence de ses créations. Et si, pour reprendre une de ses expressions, « Jouer, c’est courir après soi », le visiteur sort ragaillardi, amusé de cette exposition conçue comme un théâtre sans cesse recommencé où la voix nasillarde du Maître des lieux résonne encore longtemps après que le rideau cramoisi fut tombé sur cet actor’s studio où la fantaisie le dispute à l'élégance.
Sacha Guitry, une vie d'artiste. Une exposition à la Cinémathèque de Paris jusqu'au 18 février 2008. Quant à la rétrospective de ses films, elle s'achèvera le 31 janvier 2008 avec la projection de Quadrille.