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Retrouvailles

Jonas Mekas, de retour au pays

par Marielle Vitureau

Article publié le 09/11/2007 Dernière mise à jour le 09/11/2007 à 10:45 TU

Jonas Mekas.(Photo : Marielle Vitureau/ RFI)

Jonas Mekas.
(Photo : Marielle Vitureau/ RFI)

La Lituanie se souvient de Jonas Mekas. Depuis le 4 novembre, Vilnius accueille le Centre des arts visuels Jonas Mekas dont l'inauguration a donc scellé les retrouvailles entre le pape de l'underground et son pays natal. Les Lituaniens vont pouvoir enfin découvrir le travail de leur compatriote qui vit aux Etats-Unis ainsi que la collection de Jurgis Maciunas, fondateur dans les années 60 du mouvement iconoclaste Fluxus. L'avant-garde, du Futurisme à Fluxus est d'ailleurs l'intitulé de la première exposition du Centre des arts visuels Jonas Mekas. Histoire de redécouvrir également une page de la culture lituanienne méconnue.

A quoi reconnait-on Jonas Mekas ? A son chapeau noir et à sa caméra, deux objets dont Jonas Mekas, presque 85 ans, ne se sépare jamais. Lui qui se définit comme un simple petit paysan lituanien de la région de Birzai a, en fait, révolutionné le monde cinématographique. Jonas Mekas, qui a connu les camps des personnes déplacées en Allemagne pour avoir fui les Nazis, a tenu sa première (caméra) Bolex entre les mains, à son arrivée à New York en 1949. Il a inventé le journal filmé, « aujourd’hui si bien utilisé dans les blogs vidéos », note Kristijonas Kucinskas, directeur du Centre des arts visuels. Dans deux de ses oeuvres maîtresses, Walden (1969) et Lost, Lost, Lost (1976), il filme le quotidien, ses amis et la nostalgie d’un homme qui a dû s’exiler. Le cinéma s’y transforme en poésie et devient sa nouvelle patrie. Jonas Mekas a également créé la revue Film Culture, mais surtout il a fondé l’Anthology Film Archive en 1970 à New York. Dans cette immense cinémathèque, il conserve toute la production underground et indépendante qu’il estime devoir être gardée. « Leur contenu est unique au monde. Tous ces cinéastes ont trouvé là leur maison », explique Jurga, organisatrice de festivals de films en Lituanie qui y a travaillé pendant huit mois, « ces auteurs n’ont jamais été aidés pour mener à bien ce travail, Jonas Mekas non plus ».

« On parle beaucoup de Fluxus, de Mekas, de l’avant-garde, mais jusqu’à present, il n’existait aucun endroit où il était possible de regarder ces films », note Saulius Zukas, l’éditeur de Jonas Mekas. La question de la nécessité de l’existence d’un tel centre en Lituanie ne se pose même pas. Dix années d'efforts ont été nécessaires pour enfin pouvoir rendre hommage à ce cinéaste hors pair. Jonas Mekas a décidé de tout offrir à ce centre financé par des fonds privés : sa bibliothèque de 12 000 livres, ses manuscrits, sa correspondance et ses films. Zefiro Torna consacré à Jurgis Maciunas, également lituanien et fondateur du mouvement Fluxus, qui voulait effacer les barrières entre l’art et la vie, est le premier visible. La municipalité de Vilnius fondatrice de ce centre a tout de même fait l’acquisition de la collection Fluxus appartenant à Mekas pour 5 millions de dollars. Avec cet argent, Jonas Mekas fera réparer le toit de l’Anthology Film Archive à New York. Ce centre permettra aussi aux Lituaniens de découvrir une autre forme de cinéma, note le directeur de l'établissement se référant au passé du pays : « L’époque soviétique a laissé de longues pages blanches dans l’histoire culturelle et le pays est actuellement marqué par le déferlement de la production cinématographique hollywodienne ».Car si Jonas Mekas est connu à New York pour l’Anthology, à Paris pour ses films, à Vilnius, il l’est pour sa poésie, publiée dès l’époque soviétique. « Une poésie différente, simple, compréhensible, et pour celtte raison, appréciée », explique son éditeur. Lors de sa visite en Lituanie à l’occasion de l’inauguration du centre, Jonas Mekas a d’ailleurs présenté son nouveau recueil Mots et lettres (Zodziai ir raides) publié cet automne.

(Photo : Marielle Vitureau/ RFI)

(Photo : Marielle Vitureau/ RFI)

A la faveur de la toute première exposition intitulée L’avant-garde, du futurisme à Fluxus, on peut ainsi voir les photogrammes de Jonas Mekas où se côtoient ses amis Andy Wharol, Jackie Kennedy, John Lennon ou ses enfants. On y voit aussi les frame work et les ready made de Fluxus, incitant par exemple à jouer au football avec des échasses ainsi que les documents de la fondation de la première coopérative d’artistes à Soho à New York. « Les petites nations renoncent rapidement à leurs compatriotes », a souvent répété Mekas. Le président vient de lui accorder la citoyenneté lituanienne par décret exceptionnel. Une reconnaissance tardive du travail de cet homme qui a toujours dit que « la culture était [s]on pays », mais qui n’a pourtant jamais oublié la Lituanie. « C’est un petit pays qui a une petite langue. Il lui faut donc une épine dorsale. Seulement deux de ses artistes d’avant-garde,  Mekas et Maciunas, sont de renommée mondiale. C’est une graine qui a poussé, il est donc intéressant de replanter la graine dans sa terre », souligne l’artiste Ben Vautier, ami de Mekas depuis 1963.

Pour Jonas Mekas, ce nouveau centre des arts visuels doit être « un lieu artistique vivant », un lieu consacré à toutes les avants-gardes passées et à venir, et donc aux nouvelles formes d’art, multimédia en particulier. Des techniques que Jonas Mekas maîtrise, puisqu’il met chaque jour en ligne sur son site Internet, son ciné-journal, à l'instar, par exemple, de sa rencontre avec le Président lituanien qu’il n’a pas manquée de filmer. Avis donc aux amateurs, http://www.jonasmekas.com/... Un clic suffira !

(Photo : Marielle Vitureau/ RFI)

(Photo : Marielle Vitureau/ RFI)

L'exposition L'avant-garde, du Futurisme à Fluxus se tient jusqu'au 3 février au Centre des arts visuels Jonas Mekas, à Vilnius.