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Exposition

Les peintres japonais à Paris

par Elisabeth Bouvet

Article publié le 09/11/2007 Dernière mise à jour le 09/11/2007 à 16:20 TU

Profil de femme (1926-27)Takeji Fujishima © Pola Art Foundation

Profil de femme (1926-27)
Takeji Fujishima © Pola Art Foundation

Quand on évoque les peintres japonais et la France, on pense immédiatement à Foujita (1888-1968). C’est oublier qu’il ne fut pas le seul à s’installer à Paris. Même de manière plus passagère, moins durable, nombre de ses compatriotes ont rejoint la capitale française, et cela dès les années 1880. L’exposition qui se tient actuellement à la Maison de la culture du Japon à Paris propose précisément de passer en revue tous ces artistes qui ont contribué à créer puis donner ses lettres de noblesse au Yôga, la peinture de style occidental toujours vivace aujourd’hui. De Kuroda à Foujita, peintres japonais à Paris est l’intitulé de cette passionnante galerie de portraits d’artistes qui, s’ils sont de vraies vedettes au Japon à l’instar d’un Picasso, demeurent ici d’illustres inconnus.

Il aura fallu passer par la Maison du Japon pour entendre parler du peintre français Raphaël Collin (1850-1916). C’est même avec lui que s’ouvre l’exposition De Kuroda à Foujita, les peintres japonais à Paris. Car si le nom de Raphaël Collin n’a pas spécialement laissé de traces indélébiles en France, il en va tout autrement au Japon. Sans lui, la peinture japonaise de style occidental n’aurait peut-être même jamais vu le jour. « Il fallait réhabiliter Raphaël Collin, rendre justice à cet artiste tombé dans l’oubli alors que son influence a été  est considérable pour l’art japonais », se réjouit Kimiko Niizeki, professeur à l’Université des Beaux-Arts de Tokyo et commissaire de l’exposition. Foin de son académisme, hommage est donc rendu à celui qui sut accueillir dans son atelier des élèves étrangers parmi lesquels un certain Seiki Kuroda que rien, d’ailleurs, ne prédestinait à la peinture.

De l’étude au Yôga

La lecture (1891)  Seiki Kuroda © Tokyo National Museum

La lecture (1891)
Seiki Kuroda © Tokyo National Museum

Fils d’un haut fonctionnaire du gouvernement de Meiji, Seiki Kuroda (1866-1924) arrive en France en 1884 pour y étudier le droit. Alors qu’il travaille comme interprète à l’atelier de Raphaël Collin, il se découvre une réelle aptitude pour le dessin. Le sort en est jeté : Kuroda fils ne deviendra pas diplomate mais peintre. Et même un pionnier dans son genre. Placé sous le signe de l’ouverture, l’avènement de l’ère Meiji, en 1868, a en effet encouragé les élites japonaises à s’intéresser à la culture occidentale. Seiki Kuroda sera, dans le domaine de l’art, l’artisan de cette occidentalisation. Délaissant les matériaux traditionnels, il se met donc à la peinture à l’huile et s’adonne à reproduire les sujets en vogue ici. Les premières œuvres de Kuroda font d’ailleurs penser à celles d’un copiste. « Ce qui était intéressant, reprend Kimiko Niizeki, c’était de montrer pourquoi les peintres japonais se sont tournés à un moment vers le style occidental et comment, après l’avoir assimilé, ils ont petit à petit réussi à imposer leur propre griffe dans l’entre deux guerres ».

Même encore balbutiante, même encore maladroite, la démarche de Kuroda marque néanmoins la naissance du mouvement Yôga, nom donné à la peinture japonaise occidentalisante. Les appuis de Kuroda lui ouvrant grand les portes des divers salons d’exposition parisiens, dès 1891. Et sa position de fils de haut dignitaire lui permettra même de briser un tabou de taille en montrant, en 1895 à Kyoto, un tableau représentant un Nu. Mais cinq ans plus tard, l’enthousiasme est rudement voire cruellement mis à mal. A l’occasion de l’Exposition universelle de 1900, les peintres japonais qui se réclament du Yôga sont pour la première fois conviés. Du bonheur à la tourmente, la suite avec Kimiko Niizeki : « Cette année-là, les peintres japonais prennent brutalement conscience de leurs limites. C’est un choc pour les artistes exposés qui peuvent comparer leur travail avec celui des peintres français, les Ingres, Renoir, Cézanne, Manet. Tout d’un coup, ils perdent toute confiance en eux et remettent en cause ce qui a été fait jusqu’à présent ». 1900, une date-clé effectivement dans l’histoire du yôga.

Le temps de l'émancipation

Femme (1930)Sôtarô Yasui © The National Museum of Modern Art, Kyoto.

Femme (1930)
Sôtarô Yasui © The National Museum of Modern Art, Kyoto.

Et dans l’histoire personnelle du peintre Chû Asai (1856-1907). « Il est affligeant de constater que les œuvres présentées par les peintres japonais (y compris les miennes) semblent aussi bancales qu’un vieillard à l’agonie essayant de se redresser sur sa canne », écrit-il à son retour au Japon. En fait, son désarroi est tel qu’il décide du jour au lendemain de renoncer à son art. Il a 45 ans. « Estimant sa carrière ratée, explique le commissaire de l’exposition, Chû Asai se dit alors qu’il est de son devoir d’aider les générations futures en favorisant leur apprentissage technique ». Renonçant à enseigner à l’Ecole des Beaux-Arts de la capitale, il ouvre sa propre école à Kyoto, sa ville natale. D’où sortiront bientôt deux artistes qui joueront un rôle déterminant, essentiel dans l’évolution et le rayonnement de l’école occidentale : Yasui Sôtarô (1888-1955) et Umehara Ryûzaburo (1888-1986).

Montrant du doigt les œuvres de ces deux artistes, Kimiko Niizeki s’inquiète de savoir ce que nous en pensons. En l’occurrence, lui rétorque-t-on, ces tableaux sont nos préférés. Confidence qui la libère aussitôt d’une appréhension quasi palpable. « Ce sont eux, explique-t-elle, qui, suite à leur séjour à Paris, ont réintroduit l’esthétique japonaise dans cet art occidental, tout en développant un style très original. A la fin des années 30, Umehara Ryûzaburo se mettra à utiliser des supports traditionnels tels que le washi (papier japonais à base d’écorce de mûrier) sans pour autant abandonner la peinture à l’huile. C'est pourquoi, pour nous, ils sont si importants ». Nommés tous les deux à la tête de l’Ecole des Beaux-Arts de Tokyo en 1944, ils contribueront à re-dynamiser l’enseignement et à insuffler une vitalité nouvelle, faisant de cette Ecole, une référence incontournable dans les cercles artistiques de l’après-guerre.

Foujita l’international

Femme nue à la tapisserie (1923).Léonard Tsuguharu Foujita © Kimiyo Foujita/ ADAGP, Paris & SPDA, Tokyo 2007.

Femme nue à la tapisserie (1923).
Léonard Tsuguharu Foujita © Kimiyo Foujita/ ADAGP, Paris & SPDA, Tokyo 2007.

Si la plupart des artistes japonais venus à Paris ont tous fini par regagner leurs pénates, il en est un qui a fait le choix de demeurer en France, allant même jusqu’à demander la nationalité française et se convertir au catholicisme : Léonard Tsuguharu Foujita (1886-1968). « Contrairement à ses compatriotes qui ont tous regagné le Japon, avant la Première guerre mondiale, Foujita, qui est arrivé en 1913 en France, décide, lui, de rester et de trouver sa place ici », raconte Kimiko Niizeki. Loin effectivement des cercles nippons. Ses amis ont pour nom, Picasso, Modigliani, Soutine, et son travail est le fruit d’une réflexion personnelle. Avec ses délicates lignes de contour sombres et ses corps d’une blancheur immaculée, sa peinture acquiert bientôt un style immédiatement reconnaissable. Et rapidement reconnue. L’identité japonaise est bien là mais Foujita a très vite atteint une dimension et une renommée internationales. Tant et si bien qu’il contribuera à écrire les belles pages de l’Ecole de Paris entre 1920 et 1930.

Il faudrait encore citer Hanjirô Sakamoto (1882-1969), Zenzaburô Kojima (1883-1962) et bien sûr Tarô Okamoto (1911-1996) qui, à son retour au Japon, au lendemain de la Seconde guerre mondiale, a activement travaillé à la reconstruction du milieu de l’art contemporain japonais, alors très en retrait sur la scène mondiale. Autant de noms, de figures qui habitent sans esbroufe mais en toute beauté (A cet égard, la scénographie est une réussite de délicatesse) les 5 salles de l’exposition. Pour un aller-retour entre le Japon et la France des plus curieux, des plus captivants.

De Kuroda à Foujita, les peintres japonais à Paris. L'exposition est à voir à la Maison de la culture du Japon jusqu'au 26 janvier.