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Théâtre

La chute selon Dubillard

par Elisabeth Bouvet

Article publié le 05/12/2007 Dernière mise à jour le 10/12/2007 à 12:22 TU

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A chaque saison, un thème. « Le rire de résistance » est celui qu’a choisi, en cette fin d’année, le Rond-Point. Et c’est dans ce cadre que le comédien et auteur contemporain Roland Dubillard, aujourd'hui âgé de 84 ans, retrouve la scène du théâtre parisien, trois ans après le festival qui lui avait été consacré dans ce même lieu. A l'affiche, l'une des oeuvres les plus connues de ce frère, à la scène, de Beckett et Ionesco : Les Diablogues (1975) dans une mise en scène d’Anne Bourgeois. Sur le plateau, François Morel et Jacques Gamblin, enfants naturels de Dubillard tant leur prestation est éblouissante. Des retrouvailles épatantes avec cet auteur qui redonnent tout l’éclat, toute la tendresse, toute la mélancolie aussi à ces conversations (« et autres inventions à deux voix ») moins absurdes qu’il n’y paraît.

« Hop, hop hop »…On a beau fouillé l’obscurité, nulle forme, nul mouvement. Juste le noir et ces drôles d’onomatopées à deux voix qui percent la nuit. Est-ce parce que Les Diablogues ont été, en partie, écrits pour la radio que la mise en bouche se fait à l’aveugle ? Une merveilleuse invitation, quoi qu’il en soit, à tendre l’oreille aux beaux et bons mots de Roland Dubillard, passé maître dans l’art de désosser nos angoisses existentielles dissimulées sous l’apparente banalité et hilarité de nos conversations.

Perdus ensemble

© Ph. Delacroix

© Ph. Delacroix

Fiat lux…Les deux voix prennent corps. Deux hommes en costumes gris et cravates parme montés sur un demi-globe, résolus à sauter dans ce que l’on suppose le vide sidéral si l’on se fie au décor astral qui, derrière eux, occupe le fond de scène. Le plongeon est l’intitulé de ce premier diablogue - il y en aura une douzaine au total – qui donne le ton. « C’est une variation sur le duo c'est-à-dire que si on ne plonge pas ensemble, alors autant ne pas entrer en scène », explique Anne Bourgeois, la metteure en scène. Car si ces sketches ont été délibérément écrits pour faire rire, il y a plusieurs manières de les jouer. « Les deux personnages sont habillés de la même manière parce que c’est vous, c’est moi, c’est nous et cela renforce le côté empathique que l’on peut mettre dans ces Diablogues. On a gommé toute trace de méchanceté. Ce qui nous a intéressé c’est de les voir perdus ensemble et de les voir chercher une explication ensemble. Et finalement le public n’en rit que davantage ».

Une histoire de chute

De L’apéritif à La pluie, de La montagne au Compte-gouttes, de En attendant Grouchy à Nostalgie jusqu’au Sapin de Noël qui clôt ce petit théâtre de l’absurde, il est toutefois une idée, ou du moins une angoisse qui file d’un diablogue à l’autre, celle de la chute, inexorable et inexplicable. Celle aussi qui derrière le rire de ces conversations type « j’en ai marre, marabout, bout de ficelle, selle de cheval, etc » ou genre « J’ai trop grandi quand j’étais petit » nous amène à nous interroger sur l’existence. « La chute, c’est effectivement le fil rouge de cet agencement. Le décor également renvoie à cette idée, on est dans le cosmos sans plus de précision. Et c’est en fait l’histoire de l’échec, comme chez Beckett, comme dans tout le théâtre de l’absurde ». Un choix qu’ont également voulu François Morel et Jacques Gamblin, les deux acteurs ou, plus exactement, les deux fils spirituels de Dubillard tant leur jeu semble naturel : « Les sketches retenus sont ceux dans lesquels il y a très fort la dimension dérisoire de l’être humain au milieu de cet univers. Ce sont des diablogues qui mettent l’accent sur l’absence de certitudes, l’absence de repères. Ce qui n’empêche pas l’énergie, l’enthousiasme des personnages qui s’acharnent à vouloir comprendre ce qui leur arrive ».

Anecdotique et métaphysique

Un face à face avec le vide qui passe par de menues choses comme une désorientation dans le dédale d’un plan de Paris de moins en moins compréhensible, comme une montagne à décrire à un aveugle qui n’en a donc jamais vu ou encore comme 12 gouttes à remonter dans un compte-gouttes qui, démonstration faite, gagnerait beaucoup à se faire appeler « pousse-gouttes », bref du concret rehaussé par une langue faite d’images et d’onomatopées. Et pourtant, l’écriture se révèle à la fois éminemment poétique et philosophique. « C’est la  grande force de Roland Dubillard, reprend Anne Bourgeois. Au lieu que les personnages nous parlent de Dieu ou du désespoir d’être vivant et relié à rien, on parle de la confusion dans laquelle nous plonge le fonctionnement d’un compte-gouttes, par exemple. Ce sont des problématiques complètement anecdotiques mais qui ont une dimension métaphysique ».

Et une dimension « farcesque » absolument irrésistible. Surtout quand elle est portée par deux comédiens dont la générosité n’a d’égal que la virtuosité à faire entendre la petite musique de Dubillard, si désopilante, si touchante, si émouvante. Tsouin tsouin !!!

© Ph. Delacroix

© Ph. Delacroix

Auteur de pièces de théâtre et de recueils de poésie, Roland Dubillard a publié une trentaine d'ouvrages. Au nombre desquels, Les Diablogues (1975), Naïves Hirondelles (1961), Le jardin aux betteraves (1969), Olga ma vache (1974) ou encore La boîte à outils (1985).
Jacques Gamblin et François Morel dans les Diablogues.(© Philippe Delacroix)

Culture vive

Invités : Jacques Gamblin et François Morel

Un dialogue absurde signé Roland Dubillard, servi par deux acteurs exceptionnels !

10/12/2007