Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Cinéma & Hommage

Rétrospective Alain Resnais : A la recherche de Harry Dikson

par Elisabeth Bouvet

Article publié le 15/01/2008 Dernière mise à jour le 23/01/2008 à 11:07 TU

DR

DR

Tout Resnais depuis ses premiers court-métrages jusqu’à Cœurs, son dernier long métrage. A partir du 16 janvier et jusqu’au 3 mars, le Centre Pompidou à Paris permet aux spectateurs de revoir l’intégralité de l’œuvre du cinéaste français qui aura 86 ans en juin prochain. L’occasion aussi d’exhumer un projet de film avorté qui aurait dû s’appeler Les aventures de Harry Dickson. Les éditions Capricci ont publié en décembre Le scénario de Frédéric de Towarnicki pour un film (non réalisé) par Alain Resnais. Emmanuel Burdeau, le directeur de la collection et Jean-Louis Leutrat, co-responsable de cet ouvrage nous disent tout sur « ce film dont il est évident aujourd’hui qu’il aurait infléchi le destin du cinéma français », selon l’appréciation de Henri Langlois, le fondateur de la Cinémathèque française.

« J’ai lu les 16 volumes de Jean Ray qui ont été publiés aux éditions Marabout entre 1968 et 1974 ». Soit un travail de titan effectué par Jean-Louis Leutrat, professeur de cinéma et spécialiste de l’œuvre d’Alain Resnais, et qui a donc passé au crible tout Harry Dikson, « le Sherlock Holmes américain », selon la formule consacrée pour, justifie-t-il, « marcher dans les pas de Frédéric de Towarnicki et comprendre comment il avait procédé ». En l’occurrence en piochant, au gré des différents numéros, des formules qui émaillent les 5 tableaux des Aventures de Harry Dickson telles que mises en forme pour le cinéma par les soins d’un spécialiste de Heidegger, par ailleurs grand amateur de littérature populaire comme son ami Alain Resnais. 

Ambition internationale

DR

DR

C’est à la fin des années 50, raconte Jean-Louis Leutrat, que les deux hommes qui se sont connus à Nice en 1941, s’attèlent à ce projet : « L’idée d’adapter Jean Ray au cinéma germe en 1958. Dans leur enfance, Resnais qui était en Bretagne et Towarnicki, à Paris, ont tous deux dévoré les histoires, alors anonymes, de Harry Dickson. C’est d’ailleurs grâce à eux qu’a été identifié l’auteur de ces fascicules qui paraissaient en Belgique. Quoi qu’il en soit, ce travail les occupera pendant dix ans, et s’il y a une période où le film a failli se faire, c’est entre 1962 et 1963 ».Et avec un casting de rêve. Vanessa Redgrave, Dirk Bogarde, Delphine Seyrig, entre autres, devaient figurer au générique ! Pas rien pour l’époque. Les explications d’Emmanuel Burdeau, également rédacteur en chef des Cahiers du cinéma : « On est au début des années 60, la Nouvelle Vague a réussi son coup, entre 1958 et 1961, quelque 150 réalisateurs font leur premier film, et on pense à ce moment-là qu’il est possible pour le cinéma français d’accomplir une espèce de mutation qui lui permettrait de réaliser des superproductions d’auteur comme l’a essayé Truffaut avec Farhenheit 451 ».

Resnais, inventeur de formes

DR

DR

Harry Dickson, en « superproduction d’auteur » ? Pour Jean-Louis Leutrat, pas de doute, il s’agissait bien d’un projet ambitieux. Dans sa forme d’abord : « Ils avaient remodelé la matière pour en faire quelque chose d’original et cela aurait donné un film qui était à la fois du côté du fantastique, du surréalisme qui a beaucoup marqué Resnais, du musical puisque Towarnicki a même écrit des songs qui faisaient autant référence à Brecht qu’aux comédies musicales, Béjart était d’ailleurs prévu dans le projet qui, en plus, alternait passages en couleur et séquences en noir et blanc ». Ambitieux encore dans le déroulé de la carrière de Resnais car, ajoute-t-il, « Alain Resnais, au début des années 60, sort d’une série prestigieuse de courts métrages, il a réalisé coup sur coup Hiroshima mon amour et L’année dernière à Marienbad. Ce sera bientôt Muriel. A cette époque, Resnais est le grand créateur de formes, plus que Godard qui prendra le relais un peu plus tard. Avec cette adaptation, il aurait frappé un coup très fort ». Ce coup qui manque, selon Jean-Louis Leutrat à la filmographie de Resnais qui apparait dès lors, « comme assagie ». Voire en retrait. L’abandon du projet en 1968 l’a probablement démobilisé un peu tout comme il a déçu une partie de son public qui, poursuit Jean-Louis Leutrat, « encore aujourd’hui ne lui pardonne pas cette bifurcation ».

Le fantôme de Dickson 

DR

DR

Si Harry Dickson, un peu comme Godot, n’est jamais venu, son fantôme hante toutefois l’œuvre de Resnais au point d’y avoir laissé des traces. La grande ombre de Harry Dickson est d’ailleurs l’intitulé du dernier chapitre de l’ouvrage paru chez Capricci qui fait plus particulièrement référence au dernier film d’Alain Resnais, Cœurs sorti en 2006. Ainsi du  personnage de Sabine Azéma, à la fois aide-soignante et ange de la mort qui se veut le double, à quarante ans de distance, de la gorgone des Aventures de Harry Dickson. Il faudrait encore parler du découpage du film, etc. « Alain Resnais a carrément dit, rapporte Emmanuel Burdeau, que dans L’année dernière à Marienbad, il y a un plan de Harry Dickson, sans préciser lequel. Dans un de ses derniers courts métrages, il y a un travelling sur une pile de fascicules Harry Dixon. Le détective n’a jamais cessé de l’accompagner ».

Cette présence-absence témoigne également d’une certaine constance dans les goûts de Resnais. Tout l’intérêt de ce scénario inédit que « de redire, reprend Emmanuel Burdeau, que ses grandes passions pour le théâtre, la musique, la littérature populaire et la bande-dessinée, Resnais les a eues dans les années 30 et 40 et qu’elles ont toujours profondément nourri son œuvre même si celle-ci reste attachée à l’image d’un cinéaste intellectuel ». De la même manière qu’il ne faut pas penser qu’en tournant Pas sur la bouche ou Coeurs, il serait passé sans crier gare à la comédie. « C’est un cinéaste, poursuit le directeur de la collection, qui a toujours cherché à concilier les deux extrêmes, le sophistiqué et le populaire ».

Et même si Resnais feint aujourd’hui de ne plus guère se souvenir de ce projet, Burdeau et Leutrat parlent de son abandon comme d’une « douleur », un de ces renoncements - dont le cinéma fourmille pourtant - qui équivalent à un manque tant pour son auteur que pour le public. D’où le soin apporté à la publication de ce Scenario de Frédéric de Towarnicki pour un film (non réalisé) par Alain Resnais qui réunit aussi des photographies prises par le cinéaste à Londres, lors d’un séjour de repérage et des reproductions des couvertures des fascicules de Jean Ray. Pour lui montrer, conclut Jean-Louis Leutrat, que « Harry Dickson vivait aussi dans la périphérie de Resnais et pas seulement chez lui ».

Alain Resnais avec Jean-Paul Belmondo (à g.) sur le tournage de Stavisky en 1974.Collection Positif

Alain Resnais avec Jean-Paul Belmondo (à g.) sur le tournage de Stavisky en 1974.
Collection Positif

Audio

Chronique Culture

Le centre Pompidou rend hommage au cinéaste français Alain Resnais.

16/01/2008 par Elisabeth Lequeret