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Arts

Cuba s'invite au Canada

par Pascale Guéricolas

Article publié le 15/02/2008 Dernière mise à jour le 15/02/2008 à 14:29 TU

José A. Enguita
Le Malecón en été, La Havane, 1956Vicki Gold Levi Collection, New York

José A. Enguita Le Malecón en été, La Havane, 1956
Vicki Gold Levi Collection, New York

Jusqu’au 8 juin 2008, l’art cubain s’affiche au Musée des Beaux-Arts de Montréal, au Canada, dans une exposition unique. Pour la première fois en effet, cette institution montréalaise a pu réunir des œuvres majeures du Museo Nacional de Bellas Artes, de la Fototeca de Cuba ainsi que des pièces issues de collections privées et de musées américains. Soit une centaine de tableaux, quelque 200 photographies et documents d'archives, des affiches, des extraits de films et de musiques qui s'apparentent à une plongée visuelle dans les cent cinquante dernières années d’une île des Caraïbes, considérée par Christophe Colomb comme « la plus belle que l’œil humain ait jamais contemplée ».  

Parcourir l’exposition Cuba! Art et histoire de 1868 à nos jours, c’est un peu feuilleter un immense livre d’histoire, tant événements et culture vivent en étroite symbiose sur cette île des Caraïbes. En rafale sur les toiles des artistes, la quête identitaire liée à la décolonisation, les guerres d’indépendance, l’arrivée de la révolution et le questionnement autour de l’idéologie. Pour comprendre l’importance de l’art dans l’île, il faut se rappeler que dès la seconde moitié du XIXème siècle, cette riche colonie espagnole sucrière envoie ses peintres compléter leur formation en Europe. Et en 1841, Cuba deviendra le deuxième pays au monde, après les Etats-Unis, à ouvrir un studio de photographie. 

Wifredo Lam
Le Bruit, 1943© Succession Wifredo Lam / SODRAC (2007)

Wifredo Lam Le Bruit, 1943
© Succession Wifredo Lam / SODRAC (2007)

Au fil des quelque 400 œuvres qui composent l’exposition, l’identité artistique cubaine, nourrie d’influences étrangères, se définit peu à peu. Témoins, les paysages agraires de Frederico Amérigo ou la Marine de Leopoldo Romanach au début du siècle passé. Le style rappelle celui des maîtres du vieux Continent, tandis que les couleurs éclatantes parlent de la force du soleil cubain. Plus tard, Wilfredo Lam fusionne surréalisme européen et rites afro-cubains de la Santeria. Lui qui a découvert l’art africain à Paris, aux côtés de Picasso, prend conscience de la culture ancestrale de son propre pays à son retour d’Europe en 1941. « Je voulais de toutes mes forces peindre le drame de mon pays, mais en exprimant à fond l’esprit des nègres, la beauté plastique des Noirs », témoigne-t-il. Sa jungle, couleur vert canne à sucre et surtout ses créatures fantasmagoriques  comme le Coq des caraïbes, l’imposent  comme un artiste-phare de la cubanité.

Marcello Pogolotti
L'intellectuel ou jeune intellectuel, 1937Museo Nacional de Bellas Artes, La Havane (photo : Rodolfo Martinez)

Marcello Pogolotti L'intellectuel ou jeune intellectuel, 1937
Museo Nacional de Bellas Artes, La Havane (photo : Rodolfo Martinez)

Une démarche artistique qui ressemble à celle de Marcelo Pogolotti, beaucoup moins connu cependant en dehors de l’île. Les œuvres de ce peintre, dessinateur, essayiste, ami de Fernand Léger et de Pablo Picasso, ont frappé Nathalie Bondil, la directrice du Musée des Beaux-Arts de Montréal en visitant le Museo Nacional à La Havane. À ses yeux, « il synthétise l’esthétique futuriste, machine et surréaliste.» Dans la droite ligne du visage fermé de la chômeuse noire d’Alberto Pena ou des paysans squelettiques de Carlos Enriquez, les manifestes visuels de Pogolotti dénoncent les inégalités du capitalisme, et la dictature de Machado. Dans La brute, par exemple, les lignes claires et les couleurs dures mettent en scène un officier, revolver en main, non loin d’une tâche de sang. Cette conscience sociale à fleur de pinceau traverse aussi les très nombreuses photos du Cuba des cabarets, du petit peuple ou de la prostitution.

Alberto Korda
Milicienne, La Havane, vers 1962© Succession Korda / SODRAC (2007)

Alberto Korda Milicienne, La Havane, vers 1962
© Succession Korda / SODRAC (2007)

Plus tard, les photographes mettront leur camera obscura au service de la glorification de la révolution en marche. Sur les murs de l’exposition, se succèdent les marches des companeros, les drapeaux claquant au vent, et bien sûr en bonne place Le guerrier héroïque d’Alberto Korda, ce célèbre cliché du Che, le regard perdu vers des lendemains qui chantent. Sous la vitrine du Musée, voici d’ailleurs sur la même planche contact du photographe, les portraits de Simone de Beauvoir et de Jean-Paul Sartre, attirés dans l’île par la ferveur révolutionnaire. Bien d’autres intellectuels leur emboîteront le pas, notamment à l’occasion du Salon de Mai en 1967, une grande exposition d’art contemporain organisée à Paris tous les ans. Cette année-là, Wilfredo Lam convainc des artistes des quatre coins du monde de se rencontrer à La Havane. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? La murale révolutionnaire de 67, Cuba Colectiva, l'une des pièces-maîtresses de cette exposition : une immense création collective de 55 mètres carrés, colorée, pop art, échevelée, créée lors d’une nuit de folie, et exposée pour la première fois depuis 1968 hors de Cuba. Si le vent de la révolution qui soufflait alors sur l’île a perdu de son intensité, en revanche la création artistique garde toute son ardeur si l’on en croit les œuvres à la fin du parcours. Des œuvres marquées par trois grandes thématiques, l’enfermement, l’exil et surtout l’autodérision.

Collectif La Havane
Murale du Salon de Mai, 1967Museo Nacional de Bellas Artes, La Havane (photo : Rodolfo Martinez)

Collectif La Havane Murale du Salon de Mai, 1967
Museo Nacional de Bellas Artes, La Havane (photo : Rodolfo Martinez)