Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Art

«Théâtre», le mot-klee

par Elisabeth Bouvet

Article publié le 07/03/2008 Dernière mise à jour le 07/03/2008 à 14:43 TU

Paul Klee (1879-1940) était un passionné de spectacles. Théâtre, opéra, marionnettes, cirque, la salle de spectacle fut une source d’inspiration inépuisable pour le peintre suisse. Ce lien constitue précisément le cœur de l’exposition qui se tient actuellement au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, Paul Klee. Théâtre de la vie. La scène comme allégorie de la comédie humaine, c’est ici le thème du funambule, là celui du masque ou encore celui de la danse, prétexte à explorer de nouvelles voies tant techniques qu’émotionnelles. Jusqu’à l’ultime partie de l’exposition confiée au compositeur Pierre Boulez qui a choisi de mettre en exergue la structure musicale de certaines des œuvres de Paul Klee.

Génies (personnages d'un ballet), 1922.© Paul Klee

Génies (personnages d'un ballet), 1922.
© Paul Klee

« Théâtre here, there, everywhere », peut-on lire à l’entrée de l’exposition qui, comme le promet la citation, promène le visiteur de scènes en scènes pour mieux montrer l’incidence des arts du spectacle sur la genèse de l’œuvre de Paul klee. Une relation quasi organique car, ainsi que le rappelle la chronologie qui ouvre Paul Klee. Théâtre de la vie, l’artiste nait en 1879 dans une famille de musiciens, et durant toute sa jeunesse, il hésitera entre la musique et les arts plastiques. C’est à l’âge de 18 ans qu’il opte définitivement pour le pinceau sans pour autant abandonner totalement le violon, son instrument. Quoi qu’il en soit, ce choix l’amène en 1899 à s’installer à Munich pour y suivre les cours de l’Académie. Adresse dont il se détourne assez vite au profit de la découverte de la vie artistique singulièrement plus dense que dans sa Suisse natale. Dès lors, il n’aura de cesse, où que ses déplacements le mènent, de fréquenter les salles de spectacles. De tous les spectacles.

Le quotidien comme une scène de théâtre

Et ça commence par deux autoportraits. Le premier montrant Paul Klee, en 1904, en homme apparemment bien dans sa peau mais le visage en partie dissimulé par sa casquette et le second, intitulé Double autoportrait aux masques, le présentant affublé de deux visages aux expressions évidemment contradictoires, l’un et l’autre de ces tableaux interrogeant l’idée de « représentation », propre à la scène mais que le peintre se réapproprie pour redessiner les contours de la comédie humaine. Tous les arts de la scène serviront sa démarche et traduiront, à tour de rôle ou ensemble, ses préoccupations tant personnelles, notamment à la fin des années 30 avec la montée du Nazisme, que conceptuelles. Le parcours de l’exposition s’articule d’ailleurs autour de ces différents supports : l’opéra, la grande passion de Paul Klee, la danse, le théâtre, le cirque, les spectacles de marionnettes - il en construira pour son fils qui les a conservées, des répliques sont d’ailleurs présentées -, et, dans une moindre mesure, le cinéma.

Le Funambule, figure du double

<em>White framed polyphonically</em>© Paul Klee/ SABAM, Bruxelles

White framed polyphonically
© Paul Klee/ SABAM, Bruxelles

Paul Klee, qui étonnamment n’a jamais créé de décors de théâtre, cherchait moins dans les arts du spectacle, le réalisme que le mouvement, le rythme, les rotations, les lignes. Ce qui le passionne, ce sont les gestes ostentatoires, exagérés. La danse, de ce point de vue, sera pour lui une source d’études particulièrement foisonnante : « La danse et la lutte constituent les phases essentielles du spectacle », écrit-il en 1902 dans son journal. Toute une gestuelle qui le mène sur les rives de l’abstraction et lui permet d’exprimer ses émotions, ses angoisses. Ainsi de ce tableau de 1938 baptisé Danses sous l’empire de la peur et qui représente, dans un camaïeu de gris, des figures féminines et masculines, les bras levés au ciel, comme égarées, effrayées par une menace qui ne laisserait aucune issue possible. De même Paul Klee verra dans le cirque une parabole de l’existence de l’artiste, en ces années tourmentées. Emblématique, Le Funambule (1923). A l’époque, le peintre a rejoint le Bauhaus et se sent plus apaisé. Les débuts de Paul Klee furent en effet difficiles, lui qui ne commença à vendre des tableaux qu’à partir de 1916. La figure du trapéziste restera ainsi, jusqu’à la fin de sa vie, une sorte d’alter ego comme en témoigne ce Drame au trapèze de 1939 qui évoque la maladie qui l’empêche de dessiner et l’emportera bientôt.

Plus heureuses, les poupées qu’il confectionne pour son fils Félix, né en 1907. Ce travail qui date de 1915 correspond probablement à l’une des périodes les plus heureuses de sa vie. Il ira même jusqu’à construire un grand théâtre de marionnettes pour le petit garçon qui deviendra d’ailleurs acteur et metteur en scène au sein du Bauhaus, « ma plus belle réussite », dira Paul Klee.

La musique, « le pays fertile » de Paul Klee

Reste enfin la musique qui a toujours fait partie de son existence, son violon n’a, par exemple, jamais quitté son atelier. D’où à l’évidence cette dimension musicale de son œuvre que Pierre Boulez n’a eu de cesse de souligner depuis sa découverte de Paul Klee en 1947. Pour le compositeur français, « un grand nombre de ses tableaux révèlent des aspects de composition, de rythme et de mélodie ». Après Kandinsky qui fut le premier à tenter de transposer des éléments musicaux dans le domaine pictural, Paul Klee est probablement l’artiste qui a le mieux réussi à faire la synthèse entre les sons et les couleurs, à construire une œuvre à partir d’une partition, à rendre le rythme, l’impulsion, la ligne mélodique et même l’écho comme dans cette toile appelée La Fugue. Dans cette dernière partie joliment intitulée Le pays fertile, le visiteur peut découvrir quelques-unes des plus belles toiles, les plus émouvantes toiles de l’artiste dont Port avec voiliers (1927), exceptionnellement prêté par le MoMA de New York. C’est peut-être là, dans ce final musical, qu’éclate l’incroyable créativité, curiosité de cet artiste demeuré inclassable et qui, tout en ayant tutoyé les diverses écoles de son époque, n’a adhéré à aucune, prônant, revendiquant un individualisme irréductible. Et à maints égards, foisonnant.

<em>Fugue in red</em>© Paul Klee/ SABAM, Bruxelles

Fugue in red
© Paul Klee/ SABAM, Bruxelles

Paul Klee. Théâtre de la vie. A découvrir au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, en Belgique, jusqu'au 11 mai.