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Salon du Livre

Sayed Kashua, Arabe et israélien

par Tirthankar Chanda

Article publié le 13/03/2008 Dernière mise à jour le 14/03/2008 à 08:34 TU

Sayed Kashua est arabe et israélien. Les protagonistes de ses deux romans sont bi-culturels comme lui, à cheval sur deux mondes. A travers ces récits qui ont pour cadre l’histoire immédiate de son peuple, Kashua interpelle les deux réalités en guerre qui constituent son vécu. Il ne s’agit pas pour autant de récits autobiographiques ou d’autofiction. « Rien de tout cela n’est passé et, pourtant, tout est réel ! » Portrait de l’artiste en pays dominé.

Sayed Kashua© Dan Porges

Sayed Kashua
© Dan Porges

« Si vous ne lisez que deux romans par an, il faut que Et il y eut un matin de Sayed Kashua fasse partie des deux livres que vous lirez cette année ». C’est en ces termes enthousiastes que Radio Israël a rendu compte du dernier opus du romancier israélien lors de sa parution en Israël il y a quatre ans.

Israélien, mais d’origine arabe, Kashua qui écrit en hébreu n’est pas inconnu des fidèles des émissions littéraires de la Radio Israël. Il avait déjà fait un tabac avec son premier roman Les Arabes dansent aussi, qui avait été salué par la critique israélienne et internationale pour sa bouleversante sincérité de ton et pour la force saisissante non dénuée d’humour avec laquelle il décrivait la condition marginale des Arabes de ce côté-ci de la frontière. A travers le parcours initiatique d’un jeune garçon issu de la minorité arabe d’Israël rejeté à la fois par les siens et par ses pairs juifs, ce premier roman racontait la quête schizophrène d’identité de toute une communauté.

Originaire lui-même de la communauté dont il brosse le portrait dans ses romans, Sayed Kashua a grandi à Tira, en Galilée, un village devenu israélien en 1948 lors de la création de l’Etat d’Israël. Editorialiste et critique de cinéma dans un hebdomadaire de Tel Aviv, il vit aujourd’hui dans le quartier palestinien de Beit Safafa, près de Jérusalem. Kashua fait partie du courant peu commun d’écrivains arabes d’Israël qui ont fait le choix d’écrire en hébreu et qui, ce faisant, sont en train de redéfinir la littérature israélienne. L’émergence d’une littérature palestinienne en hébreu n’est pas sans rappeler le phénomène de la littérature post-coloniale en Asie et en Afrique où se sont imposés au cours des dernières décennies des auteurs qui écrivent dans la langue de leur colonisateur. De même que les Koffi Kwahule, les Salman Rushdie, des Assia Djebar qui sont en train de renouveler les littératures en vieilles langues européennes (anglophonie, francophonie) en y inscrivant des voix et des expériences venues des profondeurs des anciens empires coloniaux, les écrivains arabes « hébreuphones » ont réussi à imprimer dans les interstices de l’idiome conquérante de leur pays le désespoir et la marginalité de l’expérience palestinienne. Cette originalité à laquelle s’ajoute une satire mordante et sans concession explique le succès des romans de Kashua.

DR

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Tout comme Les Arabes dansent aussi, Et il y eut un matin est un roman profondément satirique. La satire vise à la fois les Juifs et les Arabes et expose la cruauté sociale et l’hypocrisie de part et d’autre. D’une part, la paranoïa et le sentiment de supériorité et d’autre part l’arriération sociale et la corruption. Au milieu des deux camps, un narrateur anonyme, journaliste dans un quotidien israélien de gauche. L’explosion de la deuxième Intifada le précarise un peu plus au sein d’une société israélienne où il ne s’est jamais senti sur un pied d’égalité avec ses collègues juifs (« ils s’ingéniaient à me faire sentir ma différence »). Relégué au rang de pigiste occasionnel, il décide de rentrer vivre dans son village parmi les siens. Or la vie au village se révèle être cauchemardesque à cause du conservatisme de la société arabe dans son ensemble, à cause de la servilité des adultes et de l’hystérie des jeunes. La distraction favorite de ces derniers consiste à circuler en voiture à tombeau ouvert et musique à fond. Quant aux adultes, pour se faire bien voir des Israéliens, ils leur livrent leurs ouvriers palestiniens clandestins, après les avoir exploités sans scrupules. Le blocage de la société est signifié par l’encerclement du village par les soldats de Tsahal. Toutes les voies de communication sont coupées. Entre Israéliens et Palestiniens. Mais aussi à l’intérieur de la société palestinienne, menacée de paralysie et de mort spirituelle.

C’est dans un style journalistique, non dénué d’humour et de cocasserie, que Sayed Kashua rend compte de la descente aux enfers de son peuple, autant victime de l’histoire que de sa propre incapacité à imaginer la liberté et l’avenir.