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Civilisation

«Babylone», mythe et réalité

par Elisabeth Bouvet

Article publié le 26/03/2008 Dernière mise à jour le 27/03/2008 à 10:23 TU

© Photo RMN/ Franck Raux.

© Photo RMN/ Franck Raux.

S’il est un nom dont l’énoncé, tel un sésame, ouvre des horizons infinis, c’est bien celui de « Babylone ». Qu’elle suscite délices ou effroi, quoi qu’il en soit, l’évocation de la cité disparue parle à chacun d’entre nous, et a inspiré nombre d’artistes qu’il s’agisse de peintres, de romanciers, de cinéastes et même de chanteurs. Nul autre indication ou précision d’ailleurs que ce Babylone en guise d’intitulé à l’exposition qui se tient jusqu’au 2 juin au musée du Louvre, à Paris et qui propose, à travers un peu plus de quatre millénaires, de raconter l’histoire autant que la légende de cette ville mythique. 450 pièces composent le parcours chronologique de cette exposition savante et passionnante. 

Le visiteur n’a pas encore pénétré dans le « saint des saints » qu’il prend d’emblée la mesure de ce qui l’attend derrière la « muraille » couleur pierre sur laquelle les lettres B.A.B.Y.L.O.N.E, imposantes et comme indestructibles, se détachent. Ne pas se laisser toutefois intimider même s’il est hautement recommandé de prendre son temps. L’abondance des pièces présentées, la richesse d’une histoire millénaire : Babylone, l’exposition, est à l’image de son modèle, impériale.

"La reine de la nuit", terre cuite.© The Trustees of the British Museum.

"La reine de la nuit", terre cuite.
© The Trustees of the British Museum.

Une carte, des dates. D’abord replacer Babylone dans son contexte géographique et historique. Soit en Mésopotamie, Babylone ayant été fondée à quelque quatre vingt-dix kilomètres de Bagdad, l’actuelle capitale irakienne. Quant à la situation dans le temps, l’exposition s’ouvre sur la très belle stèle de basalte noir du code d’Hammourabi (1792-1750), le premier roi législateur du premier Empire babylonien soit aux environs de 1750 avant notre ère. Toute la première partie de l’exposition s’articule autour des grandes périodes qui ont marqué le rayonnement de la cité et dont témoigne un certain nombre de pièces telles cette tablette représentant La Reine de la nuit, prêtée par le British Museum de Londres ou ce Sceptre en Onyx en provenance du Museum de Berlin.  

Babylone, berceau de l’humanité

On reconnait la reine Sémiramis, à qui, dit-on, l’on doit les jardins suspendus, Nabuchodonosor II (605-562), le monarque de la renaissance qui, après une longue léthargie, redonne à l’Empire son rayonnement en faisant reculer les frontières jusqu’aux rives de la Méditerranée, en édifiant des murailles décorées de panneaux de brique à glaçure où figurent lions et dragons, entre autres, en construisant le sanctuaire du dieu Marduk ou « temple au sommet élevé » et surtout en détruisant Jérusalem et en déportant les Hébreux en Babylonie, point de départ de la part d’ombre de l’héritage laissé par la ville et son roi « impie » dont la Bible se fait d’ailleurs l’écho. La légende autour de la Tour de Babel (« à l’image d’un empire où tous les peuples d’Orient affluaient, où l’on parlait toutes les langues sans plus réussir à se comprendre », raconte Béatrice André-Salvini, la commissaire de l’exposition) prendrait également sa source là.

Le déclin de l’Empire babylonien débute avec l’invasion des Perses qui entrent à Babylone en 539 avant notre ère. La ville passera ensuite sous domination grecque (C’est à Babylone qu’Alexandre le Grand meurt en 323 avant notre ère) avant de se perdre dans les sables du désert. Le transfert de la capitale à Séleucie au IIe siècle avant notre ère donnant le coup de grâce à l’antique cité dont il ne reste bientôt plus que des ruines comme le rapporte Pline l’Ancien, au Ier siècle de notre ère qui raconte que seul « le temple du sommet élevé » est encore debout. Mais même détruite, Babylone va survivre. Mieux, la légende n’a pas attendu les archéologues pour s’emparer de la cité détruite. « C’est même la seule ville, ajoute Béatrice André-Salvini, dont l’archéologie n’a pas entamé le mythe, l’a au contraire réconcilié ». D’où probablement le choix de prendre 1917, l’année des premières fouilles, comme « date-aboutissement » de l’exposition.

L’ambivalence de Babylone

"La fin/mort de Babylone" par Georges Rochegrosse (1859-1938).© Paris, collection particulière.

"La fin/mort de Babylone" par Georges Rochegrosse (1859-1938).
© Paris, collection particulière.

Entre la destruction et l’exhumation, Babylone jouera à pile ou face sa réputation. Tantôt sombre, tantôt lumineuse selon les sources. L’exposition distingue deux types d’approche, l’une « classique » héritée des Grecs qui voient en Babylone l’archétype de la ville extraordinaire et l’autre « biblique » qui l’assimile à l’Apocalypse. Le contexte social, politique, culturel contribue également à entretenir cet effet de balancier. Durant les périodes de crise, le mythe sert de repoussoir « comme ce sera le cas pendant la Réforme à Rome alors qu’au temps des Lumières, au XVIIIe siècle, Babylone est perçue comme le dernier moment où l’humanité a été unie ». L’industrialisation des villes, au siècle suivant, verra un nouveau renversement du mythe. Babylone n’est plus la huitième merveille du monde et redevient l’enfer sur terre.

"La petite tour" par Peter Bruegel l'Ancien (1563).© Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam.

"La petite tour" par Peter Bruegel l'Ancien (1563).
© Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam.

Symbole de cette permanence à travers les temps, la Tour de Babel à laquelle une salle entière est dédiée. C’est là, au milieu de toutes ces représentations plus ou moins fantasmagoriques, que le visiteur peut admirer, autre œuvre rare et splendide de l’exposition, La petite tour (1563) de Brueghel l’Ancien où la présence des nuages laissent planer une menace. Delacroix, John Martin, William Blake… Autant de peintres qui s’empareront, à leur tour, de la légende. Voltaire écrira une tragédie au titre évocateur de Sémiramis (1748), Verdi composera, lui, un opéra baptisé du nom de l’un des plus grands rois de l’histoire babylonienne Nabuchodonosor (1836) tandis que le réalisateur américain Griffith reprendra, en 1916, dans son film Intolérance le thème de la chute de Babylone.

Mais Intolérance marque aussi le point de jonction entre le mythe et l’histoire. Les premières fouilles entamées en 1899 à Babylone sous la houlette de l’Allemand Robert Koldewey ont en effet permis au cinéaste de donner une image de la cité antique assez fidèle à la réalité, tout en préservant la puissance évocatrice du mythe. Dès les premiers jours des fouilles, des vestiges sont en effet apparus que l’assistant de Robert Koldewey, l’artiste Walter Andrae s’est appliqué à reproduire. Certains de ses dessins et autres aquarelles sont présentés dans l’ultime salle, dernier rendez-vous avec cette Babylone tant rêvée.  

"Belshazzar's feast" de John Martin (1820).© Yale Center for British Art, Paul Mellon Collection, USA/The Bridgeman Art Library.

"Belshazzar's feast" de John Martin (1820).
© Yale Center for British Art, Paul Mellon Collection, USA/The Bridgeman Art Library.

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Chronique Culture

Babylone

25/03/2008 par Muriel Maalouf