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Exposition

«Goya graveur»

par Elisabeth Bouvet

Article publié le 10/04/2008 Dernière mise à jour le 11/04/2008 à 10:08 TU

(DR)

Des premières imitations à l’influence qu’il exerça sur les artistes du XIXe siècle, l’exposition Goya graveur, qui se tient jusqu’au 8 juin au Petit Palais, présente une part moins connue de l’œuvre de l’artiste espagnol. Une part plus « intime », nous disent les commissaires de l’exposition, qui permet de corriger l’image que l’on peut avoir de Goya (1746-1828), communément perçu comme un artiste « obscur, irrationnel et romantique ». On découvre, au contraire, un Goya, émule des Lumières et qui fit de la gravure l’expression de convictions plus personnelles. En cinquante ans, le peintre espagnol a gravé environ 300 planches qui nous éclairent aussi sur son parcours d’artiste.

De Velasquez à Manet en passant par Delacroix, Goya se présente comme le trait d’union entre les artistes d’hier et d’aujourd’hui. C’est du moins ainsi que s’articule l’exposition Goya Graveur qui, depuis les premières imitations « selon Velasquez » datant de 1778 jusqu’aux échos chez Redon ou Manet, survole près de cinquante ans de travail autour de la gravure, un travail par intermittence mais une forme de création que seule la mort l’obligera à abandonner en 1828. Une approche chronologique qui, de fait, renvoie aussi le visiteur au contexte politique et diplomatique dans lequel le peintre officiel de la cour d’Espagne évolue, et trouve matière à dénoncer.

Goya humaniste

Car c’est bien là que réside « le fil conducteur de l’exposition », nous dit Simon André-Deconchat, co-commissaire de Goya Graveur : « Dans l’humanité qui se dégage des planches car Goya est avant tout un homme du XVIIIe siècle, autrement dit un homme des Lumières qui dénonce inlassablement la guerre, la prostitution, la misère ». Et cet engagement affleure surtout dans ses gravures, loin de la monumentalité de ses tableaux. « Si la virtuosité est évidente, bien que  Goya ne se soit jamais considéré comme un graveur, ce qui frappe, c’est l’œil compatissant avec lequel il aborde ses sujets ». Et Simon André-

Deconchat de raconter que Goya na pas hésité, durant l’occupation française (1808), à sacrifier quelques-unes de ses eaux-fortes parmi les plus réussies pour en réaliser de nouvelles, dans l’urgence qu’il ressentait « à témoigner des atrocités perpétrées par les soldats français durant l’invasion ».

Les Désastres de la Guerre, "Il n'y a pas de remède". 1810-1811.
Eau forte, pointe sèche et burin.© Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet.

Les Désastres de la Guerre, "Il n'y a pas de remède". 1810-1811. Eau forte, pointe sèche et burin.
© Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet.

La série baptisée Les désastres de la guerre (1810-1820) est l’un des temps forts, effectivement, de cette exposition. Viols, exécutions arbitraires, massacres mais également, louant le courage de ses compatriotes, des scènes de résistance face à l’ennemi français. Au total 90 planches sur dix ans réalisés alors que la guerre d’indépendance fait rage et que Goya espère, par ce biais, communiquer sur les horreurs entrevues. Tout l’avantage de ce moyen d’expression plus commode à « faire passer » qu’une toile réservée à l’élite. Sans compter que l’effet « noir et blanc » sied à merveille, renforçant les contrastes entre le bien et le mal, l’obscur et la clarté. Si la thématique qui ouvre l’exposition, Les caprices (1791-1799), n’a évidemment pas la noirceur de la précédente, elle répond toutefois au même désir de dire la vérité. Et là encore, le petit format des gravures sert à merveille ses desseins satiriques. Entre décadence et retour de l’ordre moral, l’Espagne de cette époque véhicule un certain nombre de croyances que Goya va s’appliquer à stigmatiser. Célèbre entre toutes, cette planche intitulée Le sommeil de la raison engendre des monstres l’on voit un homme endormi cerné par des chauves-souris, mammifères de mauvais augures s’il en est.

Goya, graveur concentré

"Divertissement d'Espagne", 1825. 
Lithographie.© Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet.

"Divertissement d'Espagne", 1825. Lithographie.
© Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet.

Entre 1815 et 1823, Goya s’attèlera à deux autres séries, la Tauromachie et les Disparates. Difficile pour un Espagnol de ne pas s’intéresser à la corrida, d’autant que Goya est un fervent adepte de ce sport national. L’intérêt de cette série réalisée entre 1815 et 1816 est tout à la fois historique et esthétique. Historique car l’artiste y raconte les origines de la tauromachie, esthétique car c’est dans la description de ces face-à-face entre l’homme et le taureau que l’on note le parti-pris de Goya, de plus en plus attiré par « l’épure, par la simplification des compositions ». Et Simon André-Deconchat de poursuivre, « comme on peut suivre l’évolution de son travail, on remarque qu’aux premières arènes surpeuplées succèdent finalement un dessin recentré sur le combat, les gradins ont disparu, le public aussi ». L’effet dramatique n’en est évidemment que plus renforcé. Ce goût pour la tauromachie, Goya l’exploitera de nouveau vers la fin de sa vie, en 1825, durant son exil à Bordeaux. Alors qu’il est déjà en partie aveugle, alors qu’il approche des 80 ans, il vient de découvrir la lithographie et les possibilités plastiques propres à cette nouvelle technique. Le résultat est brillant. Témoins, ces 4 scènes baptisées Taureaux de Bordeaux où « il fait preuve d’une liberté et d’une vivacité de traitement absolument remarquable ».

Hommage à Goya

Disparate d'idiot, 1815-1824.
Eau-forte pure.© Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet.

Disparate d'idiot, 1815-1824. Eau-forte pure.
© Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet.

Si la série Tauromachie permit à Goya de gagner assez facilement de l’argent, rien de tel avec les Disparates qui ne furent pas édités de son vivant. Cette nouvelle série est même demeurée inachevée. Qu’y voit-on ? Une galerie de personnages difformes et de monstres, de gnomes et autres ridicules qui « évoque en fait les thèmes de toute une vie de création, les obsessions de Goya ». Obsessions qui impressionneront durablement les symbolistes français à l’instar d’un Odilon Redon dont l’œuvre, entre mystère et poésie, renvoie directement à Goya. La dernière partie de l’exposition consacrée à la diffusion de son travail et, partant, à l’influence de Goya sur les artistes français, montre que certaines de ses gravures, les Caprices notamment, ont circulé dans l’hexagone dès 1801. Premiers à copier Goya, les romantiques tels que Delacroix et George Sand tandis que « sa pratique très énergique de la lithographie inspirera Manet qui voit par ailleurs en Goya, le modèle de l’artiste engagé qui a su dénoncer les mœurs de son époque ». Quand, dans la seconde moitié du XIXe siècle, les symbolistes font référence à l’Espagnol, on a cessé de le copier, et ce n’est plus tant sa virtuosité ou son courage qui sont salués que le Goya intimiste dont les monstres appellent de lointains descendants.

Ainsi s’achève cet Hommage à Goya, titre d’une lithographie d’Odilon Redon datant de 1885. Un hommage d’autant plus appuyé que l’exposition présente un grand nombre d’épreuves d’état, ce qui permet au public de découvrir la subtilité de l’œuvre gravé de Goya « que les tirages réalisés au XIXe siècle, conclut Simon André-Deconchat, ont très souvent gommée ».

"L'exécution de l'Empereur Maximilien", 1867.
Lithographie. Edouard Manet.© Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet.

"L'exécution de l'Empereur Maximilien", 1867. Lithographie. Edouard Manet.
© Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet.

Goya dans le nord de la France également. A partir du 25 avril, et jusqu'au 28 juillet, le musée des Beaux-Arts de Lille présente une exposition consacrée à sa première série de gravures, Les Caprices.

Goya enfin à l'honneur dans son pays. A l'occasion du bicentenaire des événements de mai 1808 et du début de la guerre d'indépendance espagnole, le musée du Prado à Madrid présente, à partir du 15 avril, une grande exposition consacrée au peintre ibérique. Elle s'articule notamment autour des deux grandes toiles des 2 et 3 mai 1808 à Madrid, restaurées pour cet événement.