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Retrouvailles

Retour au Grand Palais pour la Figuration narrative

par Elisabeth Bouvet

Article publié le 28/04/2008 Dernière mise à jour le 07/05/2008 à 10:38 TU

Trente et un ans que les artistes connus sous l’appellation « Figuration narrative » n’avaient pas été réunis à Paris à la faveur d’une exposition collective. C’est au Grand Palais que ces retrouvailles sont célébrées. Jusqu’au 13 juillet, le musée parisien propose Figuration narrative 1960-1972, soit le récit des premières années d’un mouvement placé sous le double signe de l’engagement, esthétique et politique. Né en réaction (voire en marge) tant au Pop Art qu’à l’école de Paris, ce mouvement offre, à l’aube des années 60, « une vision distanciée, ironique, souvent pleine d’humour, de la nouvelle société d’images diffusées par les mass media », selon la formule de Jean-Paul Ameline, l’un des deux commissaires de l’exposition.

Ni cordon de CRS ni escorte policière à l’entrée du Grand Palais, juste l’habituel dispositif de sécurité. Pas de doute, la « Figuration narrative » qui, il y a trente-six semait le trouble à cette même adresse, appartient bel et bien à une époque révolue. L’exposition, qui a débuté le 16 avril dernier et qui réunit 19 artistes sur la trentaine qu’a pu compter le groupe, vise d’ailleurs en partie à rendre hommage à un « mouvement un peu oublié et à des peintres qui ont souffert pendant très longtemps d’avoir été considérés comme des marginaux dans le monde de l’art », indique Jean-Paul Ameline. L'occasion en effet de se remémorer qu'à Paris aussi, l'art s'inventait, n'en déplaise aux mouvements dominants de l'époque. 

En marge du Pop Art

Bernard Rancillac «Où es-tu ? Que fais-tu ?» (1965)Coll. Part., France © Adagp, Paris 2008

Bernard Rancillac «Où es-tu ? Que fais-tu ?» (1965)
Coll. Part., France © Adagp, Paris 2008

La « Figuration narrative » naît au moment où le Pop Art commence à triompher aux Etats-Unis alors que, dans le même temps, en France, les mouvements avant-gardistes des années 45 commencent, eux, singulièrement à s’essouffler. « Mais, reprend le co-commissaire de l’exposition, elle s’est constituée en parallèle, voire en réaction, au Pop Art, en puisant son imaginaire dans la surabondance d’images, BD, cinéma, photographie, publicité, etc, qui déferlent alors à cette époque ». Et si cette voie nouvelle est d’emblée engagée, c’est d’abord du point de vue pictural. Dans sa ligne de mire, l’art abstrait : « Pour les artistes de la ‘Figuration narrative’, il s’agit d’inventer une nouvelle façon de raconter le monde, en désacralisant l’art, en parlant de choses du quotidien d’où d’ailleurs l’intitulé de l’exposition fondatrice, ‘Mythologies quotidiennes’ ». C’était en juillet 1964, au musée d’art moderne de la ville de Paris. Organisée par les artistes Télémaque et Rancillac, les deux « historiques », et le critique Gérald Gassiot-Talabot, l’exposition présente des artistes qui, contrairement aux Nouveaux Réalistes apparus dans les années 60 également, « continuent à faire de la peinture avec des figures, un récit et des histoires ». Et une bonne dose d’ironie.

Jacques Monory «Meurtre n° 20/2» (1968)Coll. de l’artiste © Adagp, Paris 2008

Jacques Monory «Meurtre n° 20/2» (1968)
Coll. de l’artiste © Adagp, Paris 2008

Pourtant, s’il est un groupe hétérogène, c’est bien celui de la « Figuration narrative ». Espagne, Italie, Allemagne, pays scandinaves, Etats-Unis, Haïti… Les artistes qui composent ce groupe viennent de tous les horizons. D’où le choix d’une exposition thématique qui permet ainsi de présenter les différents axes de travail de ces peintres réunis certes par la même hostilité à l’égard de l’école de Paris ainsi que par la référence commune et continuelle aux images mais qui développeront, chacun, des voies particulières pour s’exprimer. « Quand on regarde un tableau de Télémaque et une toile de Rancillac, on note beaucoup de différences : Rancillac, dès 66, se sert de l’iconographie du magazine Paris-Match alors que Télémaque utilise, lui, différents éléments qu’il colle de façon hétéroclite ». Le roman noir de série B, et même, le fait divers pour Monory, la BD chez Erro, l’art du détournement pour Arroyo qui pastiche les maîtres comme Rembrandt, Goya ou Velasquez, bref toute une palette d’inspirations et d’expressions qui, à partir des années 65, va fortement se teinter de militantisme.

Efficacité et militantisme

Gilles Aillaud «Vietnam, La Bataille du riz» (1968)
Coll. Part. Courtesy Galerie de France © Adagp, Paris 2008

Gilles Aillaud «Vietnam, La Bataille du riz» (1968)
Coll. Part. Courtesy Galerie de France © Adagp, Paris 2008

La guerre du Vietnam, la guerre d’Algérie, le conflit israélo-arabe, la mort du Che, l’affaire Ben Barka, Mai 68… Les événements pousseront certains des membres de la « Figuration narrative » à se servir de la peinture pour prôner l’insoumission. Pour Gilles Aillaud, l’auteur de La Bataille du riz (1968), l’important est de « soumettre l’art à des préoccupations idéologiques plutôt qu’esthétiques ». Le mot-clé devient alors « efficacité » avec ce que cela suppose de peinture froide, directe et distanciée. En cette année-anniversaire, l’exposition évoque d’ailleurs la participation de quelques-uns des artistes réunis au Grand Palais, aux événements de Mai 68 quand, à l'instar d'un Rancillac, ils épaulaient l’atelier des Beaux-Arts qui réalisait des affiches pour soutenir les grévistes de ce printemps effervescent. 

Volontiers définitifs voire violents dans leurs choix, ils n’hésitent pas à désigner ouvertement les ennemis. Premier d’entre eux, Marcel Duchamp, l’incarnation de l’avant-garde que Racalcati, Aillaud et Arroyo assassinent dans une suite de tableaux où l’on peut voir Duchamp se faire tabasser lors d’un interrogatoire musclé avant de faire une chute fatale dans un escalier. En haut des marches, les 3 signataires de la toile. Scandale : en 1965, date de Vivre et laisser mourir ou la mort tragique de Marcel Duchamp, le père du « ready made » est encore vivant.

Gilles Aillaud, Eduardo Arroyo et Antonio Recalcati «Vivre et laisser mourir ou la fin tragique de Marcel Duchamp» (1965) 
Coll. Administración Concursal Afinsa, Madrid (Espagne) © Adagp, Paris 2008

Gilles Aillaud, Eduardo Arroyo et Antonio Recalcati «Vivre et laisser mourir ou la fin tragique de Marcel Duchamp» (1965)
Coll. Administración Concursal Afinsa, Madrid (Espagne) © Adagp, Paris 2008

Et si l’exposition fait le choix de se refermer en 1972, c’est précisément parce que cette année-là, un nouveau scandale vient émailler le parcours de la « Figuration narrative ». Une sorte d’apothéose, en quelque sorte. Au Grand Palais, se tient une exposition voulue par le président Georges Pompidou. Devant la convocation des forces de l’ordre pour le vernissage de cette manifestation, les 5 auteurs (dont Cueco et Fleury) de la grande fresque longue de 65 mètres qui narre de manière sarcastique et peu amène l’histoire de la Ve République, décident tout simplement de la décrocher, en signe de protestation. Ou l’art décidément de ne pas composer avec le pouvoir !   

A écouter

Pascal Paradou(Photo : D. Kianpour)

Culture vive

Invité : Le peintre Valerio Adami

22/04/2008