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Sélection officielle

" La femme sans tête" : quelque chose de pourri...

par Elisabeth Bouvet

Article publié le 20/05/2008 Dernière mise à jour le 26/05/2008 à 13:01 TU

© Ad Vitam

© Ad Vitam

Elle a beau, à 42 ans, être l’une des plus jeunes cinéastes de la compétition, Lucrecia Martel n’est pas une inconnue sur la Croisette. Avec La femme sans tête, c’est la deuxième fois qu’elle concourt pour la Palme d’or, quatre ans après avoir présenté La Nina Santa. Après Pablo Trapero, l’Argentine hisse pour la seconde fois ses couleurs sur le festival de Cannes. Et pour la seconde fois offre un portrait de femme, à rebours néanmoins de l’héroïne de Leonara. Il s’agit en l’occurrence d’une bourgeoise sans scrupules présentée comme dans un rêve. Et de fait, le spectateur a du mal à y croire.

Une route non goudronnée. Trois gamins, que l’on devine surgissant d’un village ou d’une périphérie défavorisée, jouent avec un chien, le long d’un canal asséché. Leurs cris nous suivent bien après que leurs silhouettes ont quitté l’écran. Surgissent alors d’autres visages d’enfants. La fin d’une réunion de famille, chacun s’apprête à regagner ses pénates. Une femme, blonde, monte dans sa voiture. C’est elle, désormais que la caméra de Lucrécia Martel ne quittera plus d’une semelle. Sur la route non goudronnée bordant le canal entraperçu à l’ouverture du film, elle heurte quelque chose. Pour autant, elle poursuit son chemin, sans s’arrêter. Comme si de rien n’était rejoint son amant puis rentre à son domicile.

Ce n’est qu’après deux jours qu’elle va enfin parler de cet accident, déclarant subitement à son mari qu’elle a tué quelqu’un. Ils retournent ensemble sur la route mais ne trouvent que le cadavre d’un chien. Sollicité, l’amant - dont on découvre qu’il est aussi son cousin, et surtout, le mari de sa meilleure amie -, confirme qu’aucun accident mortel n’a été enregistré par la police. La vie reprend son cours jusqu’au jour où le corps d’un enfant est découvert dans un égout, à proximité du canal. Dès lors, chacun va s’appliquer à effacer tous les indices qui pourraient permettre de remonter jusqu’à la femme. L’aile froissée de la voiture est redressée, la réservation de la chambre où les deux amants se sont retrouvés après l’accident a disparu des registres de l’hôtel et quant à la femme, elle est devenue brune, ce qui lui vaut d’ailleurs les commentaires enthousiastes de tous ses proches et cette remarque (incroyable au regard de la situation) de l’épouse de son amant, « Tu n’as peur de rien, toi ».

Cette réplique est assez emblématique de ce film qui repose sur une espèce de décalage permanent. Décalage incarné par la femme toujours extérieure à ce qui se passe autour d’elle et par la manière de filmer de Lucrecia Martel qui donne à ce cauchemar une tonalité irréelle. Tout parait doux, gentillet, ouaté alors qu’en vérité, tout est pourri chez ces bourgeois qui ne songent qu’à effacer toutes traces de leur délit. Même à l’intérieur de la famille, la trahison, le mensonge sont devenus la norme. « Pour moi, le mal ne résulte pas d'une organisation mafieuse, c'est quelqu chose de gentil, d'inoffensif », a déclaré la réalisatrice lors de la conférence de presse.

La réalisatrice argentine reprend les thèmes qu’elle a déjà traités dans ses deux précédents films, La Ciénaga (2001) et La Nina Santa (2004), la bourgeoisie argentine, les inégalités sociales, la famille - un motif décidément récurrent cette année - et au-delà sans doute, la dictature et partant l’aptitude de son pays, l’Argentine, à l’amnésie. Nous ne verrons aucun cadavre, et pourtant le choc a bien eu lieu, et pourtant un enfant a bien été tué, un enfant indien dont les deux petits copains aident un horticulteur à porter de lourds pots de fleurs dans le jardin tiré au cordeau de la femme, désormais brune. La dernière image d’un film terrifiant.

© Ad Vitam

© Ad Vitam