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Art & Ruralité

L'art est dans le pré !

par Elisabeth Bouvet

Article publié le 11/07/2008 Dernière mise à jour le 15/07/2008 à 09:50 TU

Rurart, départementale 150, Lycée agricole Venours, 86480 Rouillé. Autant dire que ce type d’adresse ne passe pas inaperçue quand vous feuilletez le Guide de l’art contemporain en Poitou-Charentes. Venours, le hameau qui donne son nom à l’établissement scolaire, se trouve à 30 kms de Poitiers. Et c’est donc là, dans ce cadre a priori inapproprié, que Rurart,  établissement public d’action culturelle, selon la formule consacrée, accueille depuis 2004 des expositions d’art contemporain. Une expérience unique en France menée par Arnaud Stinès, un directeur qui n’appartient ni à la catégorie des néo-ruraux ni à celle des farfelus. Son credo : « Le désenclavement de la culture ». 

(Photo : Elisabeth Bouvet/ RFI)

(Photo : Elisabeth Bouvet/ RFI)

D’un côté, un pré où paissent quelques vaches à la robe tachetée, de l’autre, une construction sans charme dont le seul intérêt réside sans doute dans sa commodité, c’est du moins ce que l’on souhaite pour les élèves de ce bahut poitevin… Et entre les deux, un arbre tout bleu. Le genre d’indice qui donne la couleur : ce lycée agricole-là est tout sauf ordinaire. Et de fait, on n’y parle pas uniquement OGM ou cheptel, on y expose aussi des œuvres ou des installations d’artistes contemporains. Et d’ailleurs, l’arbre sans feuilles maquillé façon Klein qui nous accueille est une de ces créations conçues spécifiquement pour Rurart.

Drôle d’endroit pour un citadin. C’est pourtant là qu’Arnaud Stinès, Lorrain d’origine, et - il ne s’en cache pas - assez peu porté sur le vert (« La campagne ne m’intéresse pas »), a posé ses valises en 2004. A 38 ans, cet ancien étudiant en photographie et père de 3 enfants concède d’ailleurs s’être rapatrié assez vite sur Poitiers après avoir (vainement) tenté l’expérience du retour à la nature. Mais il n’est pas nécessaire d’avoir des atomes crochus avec une pelouse ou un jardin pour défendre l’idée de « la culture partout ». Tout le sens de Rurart, « ce centre d’art contemporain de poche » comme l’appelle son directeur, qui se démène comme un beau diable pour faire vivre ce lieu, et partant, pérenniser les six emplois qu’il a générés tant autant du ministère de l’agriculture dont dépend Arnaud Stinès que du Conseil régional et même des instances européennes.  

Arnaud Stinès(Photo : Elisabeth Bouvet/ RFI)

Arnaud Stinès
(Photo : Elisabeth Bouvet/ RFI)

Rurart organise des expositions selon un rythme ternaire, à raison de 3 rendez-vous par an, y compris durant les vacances scolaires, comme c’est le cas actuellement avec l’installation baptisée 100 jours (Cf encadré) qui a été inaugurée le 4 juillet pour durer jusqu’au 5 octobre sans coupure estivale. Pas de temps mort donc mais un principe, précise Arnaud Stinès : « On évite l’art contemporain hors-sol. Notre travail relève davantage de l’action socioculturelle. On se situe vraiment dans une logique de démocratisation de la culture, un thème auquel je suis très sensible ». L’une des raisons pour lesquelles sans doute, trois personnes sont exclusivement dédiées à l’accueil et l’accompagnement des visiteurs, au nombre de 5 000 par an, un chiffre « encourageant, rassurant, pas du tout négligeable », indique notre hôte.

Que ce soit en ce moment avec les 100 jours, ou précédemment avec Les Bêtes humaines de Pascal Bernier, « les expositions retenues visent à s’interroger sur des questions liées à nos préoccupations actuelles qu’il s’agisse des sans-papiers, des problèmes environnementaux avec notamment les OGM. Ce qui m’intéresse, c’est d’essayer d’apporter des clés de lecture du monde d’aujourd’hui par le biais de l’art ». On l’aura compris : pas question de jouer la carte de l’esbroufe. Mais pas question non plus de proposer des seconds couteaux. Et Arnaud Stinès d’évoquer ses contacts récents avec Ernest Pignon-Ernest, qui a dû décliner l’invitation pour cause de planning chargé, ou encore avec le Flamand Jim Delvoye, qui ne souhaitait pas fournir une pièce spécifique pour Rurart, condition sine qua non à la venue d’un artiste sur la commune de Rouillé. « Nous essuyons bien sûr des refus, reprend-t-il, mais jamais liés à la ruralité ». Quant à savoir « comment je me débrouille pour faire venir des artistes dans un trou », poursuit-il, pince-sans-rire, il explique que « dès le début, la prise de contact se fait ici ». Histoire sans doute de savoir où l’on met les pieds et surtout, pourquoi. Arnaud Stinès, lui, ne le sait que trop bien : « Pour ré-enchanter le milieu rural en s’appuyant sur l’art ». Qui dit mieux ?

Huit sur cent

100 jours pour les cent jours qui ont précédé l’élection présidentielle française de mai 2007. Odile, Isabelle et Zoé, les responsables du projet, ont imaginé de réaliser 100 documentaires - à raison d’un par jour - de trois minutes chacun et qui donneraient la parole aux citoyens de la région, plutôt sous forme de portraits. 60 réalisateurs ont participé à ce projet qui visait à « parler de politique autrement ». Et de fait, observent les 3 jeunes femmes, « ces films disent beaucoup sur les préoccupations du moment ». 8 de ces films ont été retenus pour l’exposition de Rurart, 8 films qui « vont bien au-delà du seul contexte de l’élection ou/et qui soulèvent des questions esthétiques liées directement à la pratique du documentaire », explique Arnaud Stinès, le commissaire de l’exposition. Lequel a cherché à jouer sur la confrontation entre « la rumeur et l’intime, entre les bruits du monde - les 8 films réunis dans une même salle dans une cacophonie assourdissante - et le rapport individuel à ces fragments de vie - dans une seconde salle plongée dans le noir, les films étant projetés les uns après les autres, devenant du même coup audibles - ». 8 films, 8 destins qui, à partir d'une géographie donnée, n'en dessinent pas moins de manière assez juste un pays, loin des clichés véhiculées par les édiles. Cette fameuse France d'en-bas qui n'a pas dit son dernier mot.  

(Photo : Elisabeth Bouvet/ RFI)

(Photo : Elisabeth Bouvet/ RFI)