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Cinéma

Quand le 7e art faisait un tabac...

par Elisabeth Bouvet

Article publié le 29/07/2008 Dernière mise à jour le 29/07/2008 à 10:14 TU

Sortie en France d’un livre sur la cigarette au cinéma. Blonde ou brune, un accessoire quoi qu’il en soit en voie d’extinction. Tabac & Cinéma, histoire d’un mythe est le titre de cet ouvrage signé Adrien Gombeaud et qui, de la pipe de Hulot au cigare de Groucho Marx en passant par le cigarillo d’Eastwood et la sans filtre de Lauren Bacall, fouille cet écran de fumée que fut longtemps le cinéma. « Une allumette suffit à éveiller les mythes », nous dit l’auteur. Petite séquence souvenirs, le temps de s’en griller une.

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Aujourd’hui, quand un film « fume », tout un chacun le remarque tant l’écran s’est mis au diapason du « politiquement correct » qui bannit la clope, devenue depuis quelques années un objet tabou. Et c’est bien ainsi, entre autres, qu’a été perçu le dernier film d’Arnaud Desplechin, Un conte de Noël, véritable fumoir où paquets de cigarettes et cendriers se passent et se vident pour mieux se remplir de nouveau, ce qui ne manque pas de culot dans un contexte de maladie et de mort. Rétro ou provocateur, en panachant ainsi son film de volutes, Arnaud Desplechin déclare aussi sa flamme au 7e art.

Car, nous rappelle Adrien Gombeaud, c’est avec « des visions de fumée » que tout a commencé. Que l’on songe à L’arrivée du train en gare de La Ciotat des frères Lumière où la locomotive sème derrière elle un nuage qui blanchit la partie supérieure de l’image. Il faudrait encore citer Etienne-Jules Marey, scientifique qui tenta de rendre l’invisible grâce à une machine à fumée. Mais très vite, la cigarette succède à la locomotive, offrant du même coup une pause dans l’action, une respiration, en un mot une bouffée. Et, en plus, écrit l’auteur, « au cinéma, le tabac n’a pas d’odeur, ne pique pas les yeux, n’imprègne pas les vêtements, ne fait pas cracher, ne donne pas mauvaise haleine, ne tache pas les dents, ne tue que très rarement… Bref, le tabac est une image ».

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Une image, voire une identité (tel Hitchcock et son cigare), et un panel d’émotions depuis la cigarette qui tremble de peur entre les doigts à la clope de la volupté via le cigare de la toute-puissance et la cigarette du truand sans oublier la dernière cigarette, celle du condamné. Un condensé de l’existence qui sert de trame à Tabac & Cinéma, histoire d’un mythe qui se découpe en 6 chapitres qui se consument jusqu’à la disparition finale, la mort. On l’aura compris, Adrien Gombeaud ne recense pas scrupuleusement toutes les apparitions cinématographiques de la cigarette. Il les classe selon le type de rôle qu’on lui fait jouer, parure ou illusion, selon que l’on est sur l’écran ou dans la salle. Qui n’a jamais eu en effet envie d’imiter tel ou tel acteur, telle ou telle actrice, en les voyant, sublimes ou carrément irrésistibles, qui caler sa cigarette au coin de la bouche qui la tapoter sur le dos de sa main.

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Si le cigare assoie une présence, pour ne pas dire qu’il revendique une forme de liberté (Cf les fumeurs de Havane des Révolutionnaires cubains) à la façon d’un Orson Welles qui, même ruiné, abandonné des studios hollywoodiens, ne renonça jamais à son bâton de chaise, la cigarette, bien que plus fine, appartient également à ceux qui entendent sortir des sentiers battus type James Dean dans La fureur de vivre et Marlon Brando la clope au bec et l’autre fichée sur l’oreille dans Un tramway nommé désir, ou, dans un registre qui relève davantage de la fin de l’enfance, Jean-Pierre Léaud encore en culotte courte dans Les quatre cents coups. Car c’est aussi cela, la clope : la fuite du temps et des situations qui ne se revivront pas. Un goût de cendre contre lequel il ne sert à rien de lutter. Elle peut également signifier la transgression : c’est l’image de l’actrice Anne Bancroft en Mrs Robinson, manteau léopard et filtre de cigarette maculé par son rouge à lèvre, dans Le Lauréat.

Chez les Français, la clope peut servir à indiquer la classe sociale des protagonistes d’un film. Ainsi, rappelle l’auteur, du Jour se lève de Carné, pris en permanence dans un halo de fumée, et surtout dans La grande illusion de Renoir où la pipe de l’un, la maïs de l’autre et les cigarettes anglaises du troisième « dessinent tout de suite un profil ». Dis-moi ce que tu fumes et je te dirai qui tu es ! Mais s’il est un metteur en scène qui a porté la cigarette aux nues, c’est bien Claude Sautet. Pas un film sans que chacun tire sur sa cibiche car, explique Adrien Gombeaud, « en ce temps-là, toute la France fumait. Il a capté son époque à la lueur des brasseries enfumées où les souffles se mêlent pour ne former qu’un seul nuage. Plaisir individuel, le tabac est aussi un échange silencieux ». 

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Quand il n’est pas carrément le sujet du film comme dans Smoking, no smoking d’Alain Resnais, Coffee and cigarettes de Jim Jarmusch, Smoke de Paul Auster et Wayne Wang. Dans un cas comme dans l’autre, le mégot se veut une pause dans une journée ou dans la vie. A la clé, les uns font un choix, les autres se remémorent. Au message subliminal s’associent même parfois des figures qui, à travers leur tabagie revendiquée, incarnent plus que tout autres cette terrible étreinte sensuelle et sans suite à l’instar d’un Humphrey Bogart, d’un Tony Leung, d’un Jean Gabin, d’une Catherine Deneuve ou encore d’une Asia Argento qui ne saurait apparaître sans une cigarette au point, déclare Adrien Gombeaud, que l’actrice italienne « n’est plus tout à fait une actrice. Elle est devenue une sorte d’icône, de fétiche ».

Mais de ce point de vue, s’il est un acteur qui les dépasse tous, c’est bien Carette. « Aucun visage du cinéma français n’est autant associé au tabac que celui de Julien Carette », passé maître dans l’art de ce coller la clope sur la lèvre inférieure, ce qui lui permettait de continuer à parler sans l’ôter de sa bouche ! Jusqu’au jour funeste où, mal accrochée, elle tomba sur lui alors assoupi, et mit le feu à ses vêtements. C’était le 21 juillet 1966, Carette mourait « trahi et brûlé vif par son instrument ». Et cendres, tu retourneras…

Tabac & Cinéma, histoire d'un mythe d'Adrien Gombeaud, aux éditions Scope.