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Arts

«Le visage qui s’efface»

par Elisabeth Bouvet

Article publié le 24/09/2008 Dernière mise à jour le 25/09/2008 à 08:47 TU

Le visage qui s’efface. De Giacometti à Baselitz… Le genre de titre  qui ne peut susciter que la curiosité voire l’adhésion. Et de fait, l’exposition qui s’est ouverte fin septembre à l’Hôtel des Arts de Toulon brosse, à travers une centaine d’œuvres et une soixantaine d’artistes, le portrait du visage de l’homme contemporain. Un visage rayé, biffé, recouvert, déformé, enlaidi, moqué, dénué de qualité mais un visage qui résiste, nous dit Itzhak Goldberg, le commissaire de l’exposition.

" Chairs feuilletées " de Jean Dubuffet (1954)© Adagp, Paris 2008.

" Chairs feuilletées " de Jean Dubuffet (1954)
© Adagp, Paris 2008.

Itzhak Goldberg prétend qu’il n’est pas physionomiste, ce qui expliquerait son attrait pour le visage, lui qui a publié en 1998, Jawlensky ou le visage promis et qui fut, l’an passé, le commissaire d’une exposition baptisée Visage ou portrait. « Ce qui me fascine, c’est le fait que le sujet ne disparait vraiment jamais, et même dans une période d’abstraction, il y a toujours quelque part des visages », reprend-t-il, dans une formule qui pourrait figurer en exergue à l’exposition toulonnaise. Car les quelque 99 pièces réunies, pour l’essentiel des peintures, font effectivement la preuve que le visage « résiste aux différentes stratégies pour le gommer ».

Stratégies dont le parcours se fait bien sûr l’écho depuis la fragmentation jusqu’à la dissolution en passant par le recouvrement, la dislocation, la transparence ou la disparition de toute espèce d’expressivité. Avec le XXe siècle marqué par la grande boucherie que fut la Première guerre mondiale et par la Shoah, trente ans plus tard, on assiste de fait à un « naufrage du visage » : « Non seulement le visage en tant qu’image disparait mais les fonctions qu’on lui prêtait par le passé de ressemblance physique et d’épaisseur psychologique elles aussi. C’est comme si les artistes ne croyaient plus dans les fonctions symboliques du visage ». Le visage devient ainsi de plus en plus vague ou incertain comme dans ce Portrait aléatoire (1973) de l’Espagnole Esther Ferrer découpé en fines lanières que le spectateur est invité à tirer, remodelant ainsi l’apparence de l’artiste, quand il n’est pas tout simplement remplacé par des mèches de cheveux (Sans Souci d’Isabelle Cornaro, 2005), dans une approche métonymique que l’on retrouve avec Amy (2004), toile de Jonathan Callan qui représente deux yeux sur un fond blanc.  

" Sans souci " par Isabelle Cornaro (2005)© Adagp, Paris 2008.

" Sans souci " par Isabelle Cornaro (2005)
© Adagp, Paris 2008.


Et pourtant, même quand le visage n’est plus que silhouette ou amas de pigments informe, il subsiste même si sa présence ne tient plus qu’à un cheveu ou à des yeux. « Il est toujours là », confirme Ithzak Goldberg : « On a l’impression qu’il y a une sorte de double mouvement avec le visage. Il suffit de peu de choses pour qu’il soit déformé et de peu de choses pour qu’on le reconnaisse ». Un double mouvement à l’aune de la dualité qui semble guider la main des artistes contemporains écartelés entre l’impossibilité de représenter le visage comme par le passé et l’incapacité de s’en détourner complètement, même si le commissaire de l’exposition a bien tenté de glisser la photographie d’un pied en trois morceaux (Pieds de John Coplans, 1989) au milieu de tous ces ovales à la charge affective finalement irremplaçable. Ineffaçable.

Sans titre, par Erik Dietman (1989-1990)© Adagp, Paris 2008.

Sans titre, par Erik Dietman (1989-1990)
© Adagp, Paris 2008.

Car même en proie à un pessimisme radical, l’artiste continue « à faire face » : « La période évoquée est évidemment pessimiste mais il y a toujours cette volonté malgré tout de s’inscrire dans une possibilité de voir le visage humain ». Et de le voir non pas sous la signature d’artistes forcément attendus. Nul Bacon, nul Warhol aux cimaises mais des artistes qu’Ithzak Goldberg tenait à faire découvrir dans un « panachage » qui n’en donne que plus de poids à la démonstration. On verra ainsi un Hans Bellmer surprenant, trois toiles d’Adriena Simotova, peintre hongroise inconnue, un Dufrêne pas forcément des plus connus et des noms d’artistes d’aujourd’hui comme Lydie Arickx ou Rosemarie Trockel côtoyer donc Paul Klee, Zoran Music, Jean Rustin, Jean Dubuffet, Edouardo Arroyo et bien sûr Alberto Giacometti. Un parti-pris heureux qui réussit in fine le tour de force de nous retenir de succomber à la détresse devant le spectacle répété de notre double déconfit.      

 

Le visage qui s'efface. De Giacometti à Baselitz. Une exposition à voir à l'Hôtel des Arts de Toulon jusqu'au 23 novembre.