Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

En vue

Denis Podalydès, l’homme de la rentrée

par Elisabeth Bouvet

Article publié le 02/10/2008 Dernière mise à jour le 02/10/2008 à 15:12 TU

Denis Podalydès(Photo : Cosimo Mirco Magliocca)

Denis Podalydès
(Photo : Cosimo Mirco Magliocca)

Il publie Voix off, à la Comédie-Française il met en scène Fantasio, deux ans après le succès de Cyrano (pièce qui d’ailleurs sera reprise du 18 décembre au 22 mars 2009), il a commencé les répétitions de L’Illusion Comique qui sera jouée à partir du 6 décembre également sur la scène du Français, il apparait dans le nouveau film d’Emmanuel Bourdieu, Intrusions sorti le 3 septembre dernier sur les écrans français, et on le verra à partir du 15 octobre dans Coluche, l’histoire d’un mec d’Antoine de Caunes, bref Denis Podalydès, 45 ans, est la personnalité incontournable de la rentrée. Et en dépit d’un emploi du temps, disons, dense, il lui arrive aussi de répondre à des questions !

Pareille exposition mettrait knock out le plus solide des hommes. Si Denis Podalydès qui n’a rien d’un surhomme, à première vue, reconnait ressentir un peu de fatigue ces jours-ci, c’est pour aussitôt parler d’une « fatigue dont je me sors facilement, aiguillonné par le désir ». Et le plaisir, celui en l’occurrence qui l’a guidé dans son travail d’écriture. Et c’est vrai que Voix off tendrait à effacer Fantasio si l’on en juge par l’intérêt porté à son livre, sorte d’autoportrait à partir des voix des autres, proches, comédiens ou intellectuels que lui le grand lecteur et liseur devant l’Eternel a captées, imitées même parfois. Et c’est parce qu’il n’aime rien tant qu’être enfermé dans un studio d’enregistrement, ainsi qu’il le confesse dans les premières lignes du premier chapitre de Voix off, qu’il s’est souvenu de toutes ces voix qui l’ont environné, enveloppé et finalement constitué. Ou, pour celles qu’il nous est impossible d'écouter, nourri son imaginaire : « La voix de ces grands disparus, reconnaît-il, [...] font d'autant plus rêver qu'elles nous sont à jamais inaccessibles et inaudibles. On les ré-invente dans la voix des acteurs ».  

DR

Une approche originale - qui explique sans doute le succès de l’ouvrage - dont il faut chercher l’origine dans l’enfance : « Mon père nous enregistrait beaucoup, sollicitait nos exercices d’imitation, nous faisait réciter des textes, etc. J’aimais ça viscéralement, me dépensais furieusement en babils de toute sorte. Ma mère de même. C’était quelque chose de vivant, la voix, dans notre famille, jamais silencieuse ». Denis Podalydès qui a quatre frères auxquels il dédie d’ailleurs son livre passe donc en revue tous ceux et celles qui, pour une raison ou une autre, ont marqué son oreille à jamais, de deux grands-mères à la voix (vénérée) du grand-père qu’il s’est octroyé, en l’occurrence le metteur en scène et acteur Jean Vilar, faute d’avoir connu ses vrais aïeux, en passant par les copains d’enfance puis, une fois devenu comédien, par les Barrault, Philipe, Bouquet (qui fut son professeur au Conservatoire), Denner, Dussollier, Weber, Mason, Rourke et j’en passe : le livre fait 244 pages et pourrait en compter des dizaines de plus comme le confesse Denis Podalydès qui aurait également pu mentionner « la voix du Grand méchant Loup dans le disque que nous avions, des Trois petits cochons, la voix de Jean Desailly dans Babar, de Louis de Funès, de Bourvil parce qu’elles me faisaient rire sitôt que je les entendais, les reconnaissais. De Georges Moustaki, de Jacques Dutronc, de Serge Gainsbourg, de Joan Baez, de Cat Stevens, de Bruno Ganz, de Lawrence Olivier ».

Il faudrait enfin citer les voix des livres, celles pour lesquelles Denis Podalydès s’enferme volontiers dans un studio d’enregistrement. On se souvient, entre autres, de sa lecture du Voyage au bout de la nuit de Céline, il y a aussi Proust avec lequel il ouvre son livre : « Je lis Proust. ‘Albertine disparue’. Je n’y suis pour personne », écrit-il avant d’entamer la lecture de la Recherche du temps perdu, qui pourrait bien être la sienne, sa propre recherche du temps pas tant perdu que passé par le biais de ces voix qui « sont dans ma voix, je l’espère, moi je les entends. Elles forment tous les paysages : étendues désertiques, contrées verdoyantes, reliefs ».

(Photo : Cosimo Mirco Magliocca)

(Photo : Cosimo Mirco Magliocca)


Et parmi ces voix « nourricières », l’on pourrait également mentionner celle imaginaire d’Alfred de Musset (1810-1857) mais que ses mots peuvent nous aider à entendre, comme c’est le cas à l’écoute de Fantasio (1833) qui raconte l’histoire d’un jeune dandy en proie à une mélancolie abyssale. « J’aime profondément les personnages désoeuvrés, au sens propre, sans œuvre alors qu’ils ne cessent de faire preuve d’invention, d’imagination, d’improvisation, et qui se consument sous les yeux de leurs amis. J’ai connu ce genre de personnages dans la vie. J’aime témoigner d’eux, dire qu’ils ont existé, qu’ils nous ont éblouis. C’est l’absence totale d’amour-propre, d’intéressement à soi, de désir de gloriole, qui me fascine dans ces hautes figures de la mélancolie et du jeu », explique Denis Podalydès qui a donc choisi Fantasio pour sa deuxième mise en scène à la Comédie-Française.

En reprenant une pièce qui n’avait pas été montée depuis 1966, l’acteur et membre de la troupe du Français depuis 1997, redonne ainsi de la voix à un Musset qui n’hésite pas à faire dire à son personnage principal qu’à un sonnet, il préfèrera toujours un verre de vin, une ivresse à laquelle renvoie le décor de la pièce : une sorte de carrousel qui ne cesse de tourner. Fantasio, le double de Musset ? A n’en pas douter. « Musset avait, semble-t-il, une voix faible, peu audible et peu modulée. Son discours de réception à l’Académie française fut une catastrophe mais il était déjà très atteint par les maladies, l’alcool ». Et Denis Podalydès de préciser que « oui, ce genre de voix l’intrigue parce qu’elles se dérobent, elles sont toute en faiblesse ».  

Reste que la « faiblesse », la mélancolie sont probablement parmi les sentiments les plus difficiles à jouer et faire entendre. Et de ce point de vue, le mal-être de Fantasio demeure trop souvent hors de portée. Comme une voix doublement perdue.    

Voix Off, de Denis Podalydès aux éditions du Mercure de France.

Fantasio, à la Comédie-Française jusqu'au 15 mars 2009.

 

A écouter

Pascal Paradou(Photo : D. Kianpour)

Culture vive

Invité : Le comédien et metteur en scène Denis Podalydès

15/09/2008