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Consécration

Le Clézio Prix Nobel de Littérature ou l’éloge d’une littérature-monde

par Elisabeth Bouvet

Article publié le 09/10/2008 Dernière mise à jour le 15/10/2008 à 11:26 TU

J.M.G. Le Clézio(Photo : J. Sassier/ Gallimard)

J.M.G. Le Clézio
(Photo : J. Sassier/ Gallimard)

Vingt trois ans après Claude Simon et huit ans après Gao Xingjian, un écrivain français, Jean-Marie Gustave Le Clézio, se voit remettre le prestigieux Prix Nobel de littérature. L’Académie suédoise a expliqué avoir fait le choix d’un « écrivain de la rupture, de l’aventure poétique et de l’extase sensuelle, l’explorateur d’une humanité au-delà et en dessous de la civilisation régnante ». A 68 ans, Le Clézio qui vient de publier Ritournelle de la faim, est l’auteur d’une cinquantaine d’ouvrages parmi lesquels Chercheurs d’or, Le poisson d’or, Ourania et surtout Désert, paru en 1980 et probablement l’un de ses plus beaux romans.

J.M.G Le Clézio a quelque chose de félin. Comme les chats, il est d’une farouche discrétion, et comme eux, il semble doué de plusieurs vies. Cette tentation nomade, elle irrigue chacun de ses livres jusque dans cette autobiographie romancée qu’il publie en 2004 et qu’il intitule L’Africain. Il suffit d’ailleurs de lire les titres de ses ouvrages pour que se déploie un univers aussi vaste que le monde : Afrique, Amérique du Sud, Asie, Etats-Unis… Le Clézio est de la race de ces écrivains-voyageurs jamais rassasiés par la quête de l’autre et qui, à travers le récit de ces ailleurs, hommes, femmes, paysages, jette sur l’Occident un regard sinon critique, du moins circonspect.

C’est peut-être dans la généalogie même de Jean-Marie Gustave Le Clézio qu’il faut chercher l’origine de ce goût pour le nomadisme. Car s’il est né à Nice en 1940, il descend d’une vieille famille de Bretons partis, au XVIIIe siècle, faire fortune sur un bout de terre perdu au beau milieu de l’océan indien et pas encore connu sous le nom d’île Maurice. De ces lointaines péripéties, Le Clézio a hérité, à sa naissance, d’une double nationalité : française par sa mère, anglaise puis, à la faveur de l’indépendance de l’île, mauricienne par son père qui exerce le métier de médecin de brousse au Nigéria où il part le rejoindre avec sa mère. 

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Si la Bretagne, où il possède une maison, demeure aujourd’hui son seul point d’ancrage fixe, ce grand lecteur de Conrad et Stevenson va de fait transformer sa vie en une succession de départs dont un, pour le moins fracassant, qui, en 1963, le fait entrer par la grande porte dans le monde des Belles Lettres. Cette année-là, il reçoit le Prix Renaudot pour Le procès-verbal, son premier roman qui raconte l’histoire d’un jeune homme en conflit avec la société et qui finit par lui préférer la solitude. Le public découvre ce nouveau venu dans la littérature : visage d’ange et timidité dont il ne se départira jamais vraiment, lui conférant, au fil du temps, une prestance…intimidante.

Une consécration en guise d’entrée en matière : même pour un jeune homme qui dit écrire depuis qu’il a 7 ans, cette soudaine et précoce renommée aurait pu se révéler difficile à porter, gênante à assumer. Ce coup de maître ne lui portera pas préjudice. Au contraire, dès 1964 sort Le jour où Beaumont fit connaissance avec sa douleur, puis en 1965, un recueil de nouvelles baptisé La Fièvre. En vérité, les titres s’enchaînent alors qu’il a quitté l’Hexagone pour s’installer d’abord aux Etats-Unis comme enseignant puis en Thaïlande comme coopérant jusqu’à ce que les autorités du pays ne l’expulsent pour avoir dénoncé la prostitution enfantine. Il est envoyé au Mexique, son premier contact non seulement avec un pays auquel il restera très attaché mais également avec un continent qui lui inspirera nombre de récits. Pendant quatre ans, de 1970 à 1974, il partage la vie des Indiens Emberas et Waunanas, au Panama, qui l’initient à leurs mystères. Une immersion qui est à l’origine de la parution en 1976 des Prophéties du Chilam Balam. « Lorsqu’on a une trentaine d’années et l’impression d’être arrivé au bout des choses, c’est une façon de se renouveler, de changer de personne », dira-t-il quelques années plus tard, à propos de cette « retraite ».  

Et de fait, c’est à partir de cette date sans doute que l’écriture de Jean-Marie Le Clézio prend une autre direction. Si à ses débuts, le jeune homme qu’il est s’inscrit dans la lignée des Perec, Butor et autres adeptes de recherches formelles qui sont alors en vogue à la fin des années 1970, il abandonne ces explorations stylistiques pour s’intéresser aux minorités, indiennes et africaines, pour s’emparer des thèmes de l’enfance et bien sûr du voyage. Orientation qui lui ouvre les portes du succès public tandis qu’il se frotte à de nouveaux genres littéraires qui vont du conte à l’essai, de la nouvelle à la traduction, des livres illustrés à la biographie, etc. Mondo et autres histoires (1978), Le chercheur d’or (1985), Printemps et autres saisons (1989), Poisson d’or (1997) et surtout Désert - qui lui vaut en 1980 d’être le premier écrivain à recevoir le Prix Paul Morand, remis par l’Académie française -, sont parmi les titres les plus connus de sa bibliographie.

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Si les années 1970 marquent un tournant dans le choix des sujets abordés, elles redessinent aussi son style qui gagne en classicisme. Une forme d’apaisement voire de sagesse qui n’en cache pas moins une sorte de colère, et en tout cas des convictions fermement défendues. « On vit dans une bulle en Europe, quand on croit que tout est donné, qu’on va continuer à vivre indéfiniment sur ces richesses prises au tiers-monde, qu’on va continuer encore longtemps à prendre ici le charbon, là l’uranium, et ailleurs les énergies fossiles. C’est aveugle, c’est déraisonnable », déclarait-il récemment au magazine Le Nouvel Observateur. Un plaidoyer écologique qui se double d’un autre combat en faveur des littératures du Sud et notamment d’Afrique, continent vers lequel il revient sans cesse. Et c’est tout naturellement que sa signature figurait l’an passé au bas du manifeste des Etonnants Voyageurs en faveur d’une « littérature-monde ». On se souvient aussi qu’il fut, en tant que membre du jury Renaudot, l’un des plus ardents défenseurs d’Alain Mabanckou en 2006, année du couronnement de l’écrivain franco-congolais.

En 1994, Jean-Marie Gustave Le Clézio était désigné comme « le plus grand écrivain vivant de langue française » par les Français à la suite d’une enquête du magazine Lire. De toute évidence, ce Prix Nobel de Littérature-là devrait rester dans les mémoires même si ce matin même l’heureux élu déclarait sur une chaîne de radio que son œuvre n’égalait pas La route des Flandres de Claude Simon, l'un de ses méconnus prédécesseurs.   

Tous les ouvrages de Jean-Marie Gustave Le Clézio sont publiés aux éditions Gallimard.

A écouter

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