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Théâtre

«Amère est la vérité», selon Wajdi Mouawad

par Elisabeth Bouvet

Article publié le 20/10/2008 Dernière mise à jour le 24/10/2008 à 10:18 TU

© Brigitte Enguerand

© Brigitte Enguerand

Rentrée sous le signe de Wajdi Mouawad en attendant « l’apothéose » au prochain Festival d’Avignon où il sera l’artiste associé de l’édition 2009. Deux pièces, rien moins, en cet automne : avant le théâtre 71 de Malakoff qui le soutient et le programme depuis longtemps maintenant et où sa dernière création Seuls, présentée cet été dans la cité des Papes, sera jouée du 12 au 30 novembre, l’auteur libano-québécois est à l’affiche du théâtre de La Colline à Paris qui présente, jusqu’au 2 novembre, Incendies (2003) dans une mise en scène de Stanislas Nordey. Un spectacle de 3h20 qui s'apparente à une épopée, une épopée au goût de cendre à travers les décombres de la guerre au Liban, au croisement des deux histoires, la factuelle et l'intime, la grande et la petite. 

« Comment aimer, ici ? »

Incendies est le deuxième volet d’une tétralogie commencée en 1997 avec Littoral et dont la suite, Ciels, devrait être présentée l’été prochain dans la cour des Papes. Il conviendrait d’ailleurs davantage de parler de « troisième partie » que de « suite » tant chacune des pièces représente une histoire singulière. Au propre comme au figuré puisque Incendies, en nous plongeant dans l’horreur de la guerre au Liban, dénoue le drame d’une famille, celle de Nawal dont la mort entraînera effectivement toute une série d’incendies au fur et à mesure que ses enfants, les jumeaux Jeanne et Simon, vont remonter le fil de leur histoire qui reposait jusqu’alors sur la légende d’un père héroïque, mort au combat avant même leur naissance. Celle qui est demeurée muette durant les cinq dernières années de sa vie, au risque de provoquer colère, ressentiment et haine chez son fils, livrera enfin son secret et rompra, post mortem, ce silence lourd de douleurs enfouies et, a priori, irréconciliables.

«Au jeu des questions et des réponses, on arrive souvent à la naissance des choses »  

© Brigitte Enguerand

© Brigitte Enguerand

Pour accomplir ce long voyage sur les traces de leur mère que les jumeaux effectueront chacun de leur côté, et l’un après l’autre, ils seront guidés par le notaire Lebel, ami et exécuteur testamentaire de la défunte, qui en leur remettant à chacun une lettre à donner et à leur père qui serait donc vivant (ce sera la mission de Julien) et à leur frère dont ils ignoraient jusqu’alors l’existence (Jeanne s’en chargera), ouvre sous leurs pieds des gouffres d’incertitudes et d’incompréhensions. A travers cette quête, Wajdi Mouawad interroge, fouille de nouveau la question des origines dont l’enjeu est par ailleurs intimement lié à la guerre qui a endeuillé, meurtri, saccagé le Liban, le pays natal de l’auteur d’Incendies. L’histoire de Nawal est donc celle d’une femme qui, de l’innocence à la haine, traverse les pires atrocités pour donner un sens à son existence, en l’occurrence retrouver son enfant, enlevé à la naissance alors qu’elle n’était encore qu’une jeune fille innocente. Sur son chemin, le meurtre, la torture, le viol, l’inceste et cette vérité insupportable qui l’amènera à se taire.

« Il faut casser ce fil de la colère »

Pas de décor, juste le plateau, dépouillé, qui sera tantôt étude de notaire tantôt ancienne prison tantôt camp de réfugiés, tantôt salle de boxe, tantôt un cimetière, tantôt orphelinat. A cette multiplicité de lieux répond la multiplication des rôles pour les acteurs qui, pour certains d’entre eux, peuvent camper différents personnages. Seule Nawal aura trois visages : trois visages, trois âges, 20, 40 et 60 ans. Parce que tous se présentent avant le commencement du spectacle, la salle est immédiatement au diapason. Dispositif qui emprunte au cinéma tout comme d’ailleurs le recours aux flash-back qui interfèrent sans cesse avec le présent, sans pour autant égarer le spectateur. Et cela, grâce à un jeu sur les lumières et la couleur des vêtements (blancs ou noirs, selon l'époque) extrêmement judicieux. Limpidité, simplicité, efficacité qui, tout en sollicitant notre imaginaire, nous laisse paradoxalement dans une étonnante proximité avec le texte et l’écriture dense, rythmée de Wajdi Mouawad qui aborde tous les registres jusqu’à la comédie. Jeux de mot et situations burlesques réussissant même à se frayer un chemin dans ce maelström de (res)sentiments dont les femmes, si elles sont parmi les principales victimes des guerres, en sont aussi, nous dit l’auteur, les héroïnes par leur capacité à résister et leur farouche détermination à aller de l’avant et « à sortir de la haine » pour reprendre l'injonction, mieux la conviction intime, de Nawal.