par Elisabeth Bouvet
Article publié le 18/11/2008 Dernière mise à jour le 19/11/2008 à 11:45 TU
Présenté au festival de Cannes, Two Lovers sort ce mercredi sur les écrans français. L’occasion de découvrir une nouvelle facette du talent de James Gray qui, après avoir exploré le genre noir, revient avec une histoire d’amour. Mais de l’un à l’autre, on retrouve les mêmes obsessions et notamment ce rapport à la famille qui court à travers tous ses films. Autre permanence, la présence de Joaquin Phoenix, l’acteur fétiche du réalisateur américain qui, un an après avoir campé un voyou repenti dans La nuit nous appartient, joue cette fois un homme déchiré entre deux femmes.
James Gray change peut-être de genre mais pas de style. En clair, il a beau tourné le dos à ce noir qu’il a si bien servi en trois films somptueux, son univers n’a pas complètement changé de tonalité. Pour preuve, la très belle scène d’ouverture de Two Lovers où l’on voit Joaquin Phoenix se jeter à l’eau tout habillé dans une tentative de suicide au terme de laquelle il trouvera refuge chez ses parents pour y soigner une dépression consécutive à une séparation. C’est au cours de cette convalescence que Leonard, le personnage auquel Phoenix prête ses traits, rencontre successivement deux femmes que tout oppose et dont il va pourtant s’éprendre. Il y a la brune et sage Sandra, la fille d’un couple d’amis de ses parents, et la blonde Michelle, une voisine fragilisée par sa relation avec un avocat marié qui lui promet régulièrement de quitter son épouse pour elle.
Même en amour, chez James Gray le désespoir rôde toujours. La même gravité aussi quand, prenant le prétexte de ces deux amours, de ces deux choix de vie possibles, James Gray creuse des thèmes qui lui sont chers comme le poids de la famille, les renoncements nécessaires pour devenir un adulte, la morale et les injustices sociales. De tous les plans, Leonard est présenté tantôt en amoureux transi prêt à délivrer Michelle, « sa Belle au bois dormant » à qui, pourtant, il ne donnera pas ce baiser qui l’aurait peut-être réveillée, tantôt en amoureux raisonnable, échafaudant avec le père de Sandra des plans d’avenir.
Pour traduire ces deux lignes de désir opposées qui tiraillent le personnage principal, James Gray quadrille l’image d’une manière extrêmement pointilleuse et suggestive : tout en verticalité quand Leonard se trouve aux côtés de Michelle qui habite d’ailleurs l’étage au dessus, tout en horizontalité quand il rejoint Sandra. De même, l’espace devient scintillant, clinquant quand Michelle le traverse alors qu’il se rembrunit quand Sandra apparait, se calquant sur les couleurs sombres qui (dé)colorent l’appartement familial où Leonard a « l’impression d’être mort ». Ce soin apporté à la forme fait de Two lovers un film de toute beauté, lyrique et fastueux, d’une élégance baroque assez renversante. On est subjugué par cette attention de tous les plans qui ne relève ni de l’affèterie ni de la pose mais juste d’un refus assumé et revendiqué de tout espèce de réalisme. Et pourtant, c'est bien d'émotion à l'état brut qu'il s'agit. Car qu'il s'agisse de traquer des dealers pour se racheter une conduite ou de démêler des sentiments, James Gray n'envisage pas ses sujets autrement que sérieusement, donnant à chaque fois le sentiment que ses protagonistes jouent leur vie. Rien moins.
Two Lovers s’achève comme il a commencé, sur une grève. Mais cette fois, et en dépit d’un nouveau chagrin d’amour, Leonard ne se jettera pas à l’eau, acceptant de troquer un grand amour impossible pour un foyer. Que restent-ils de nos amours ? Une bague de fiançailles interchangeable. Pas de doute, le noir reste la couleur préférée de James Gray.
James Gray sera l'invité du Forum des Images (qui rouvre ses portes au public le 5 décembre) les 12, 13 et 14 décembre prochains. A cette occasion, il donnera une leçon de cinéma, en chair et en os, le 14 décembre.
A noter enfin que ce mercredi 19 novembre sort également la seconde partie du film de Jean-François Richet consacré à Jacques Mesrine, L'ennemi public n°1.