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Découverte

Erich Salomon, gentleman photographe

par Elisabeth Bouvet

Article publié le 24/11/2008 Dernière mise à jour le 02/12/2008 à 09:31 TU

Aristide Briand montre du doigt Erich Salomon et s’écrie : «&nbsp;<em>Ah ! le voilà ! le roi des indiscrets !&nbsp;». </em>Paris, quai d’Orsay, août 1931.(Crédit : Bildarchiv Preußisher Kulturbesitz)

Aristide Briand montre du doigt Erich Salomon et s’écrie : « Ah ! le voilà ! le roi des indiscrets ! ». Paris, quai d’Orsay, août 1931.
(Crédit : Bildarchiv Preußisher Kulturbesitz)

Après Emil Nolde qui partage avec Picasso l’affiche au Grand-Palais, le public parisien peut découvrir un autre grand, et néanmoins méconnu, artiste allemand : Erich Salomon (1886-1944). Venu à la photographie sur le tard, à l’âge de 42 ans, il n’en révolutionna pas moins l’usage avec ses reportages sur le vif. De 1928 à la fin des années 1930, il raconte un monde en action, lesté d’une nouvelle génération d’appareils photographiques qui vont l’aider à chasser le scoop. Ancêtre des paparazzi, Erich Salomon est le père du photojournalisme, en Allemagne. D’origine juive, il est décédé en juillet 1944 au camp d’extermination d’Auschwitz où il avait été déporté l’année précédente. Erich Salomon, le roi des indiscrets 1928-1938, une exposition à visiter jusqu’au 25 janvier à l’Hôtel Sully, à Paris.

Un tribunal comme décor, des témoins pris en contre-plongée, des jambes au premier plan... Saisissant point de vue que celui de cette photographie prise en 1928 à Berlin lors du retentissant procès Krantz par un Erich Salomon qu’on imagine allongé sur le sol. En fait, pour ses premiers pas de photographe - il s’agit là de son tout premier reportage -, il a réussi le tour de force d’introduire un appareil dans l’enceinte de la cour, camouflé dans une serviette, et à le sortir durant l’audience, planqué cette fois sous une table. Ingéniosité, audace, sens du cadre… Tous les ingrédients qui vont faire la griffe de ce débutant de 42 ans sont déjà réunis. Le voilà lancé dans la carrière de photojournaliste.

« Dès ses débuts, il comprend tout, et la technique et les enjeux de la photographie, ce qui lui permettra de répondre aux attentes de la presse de l’époque », explique Michaël Houlette, le commissaire de l’exposition. Toutes les photographies présentées sont d’ailleurs des scoops. Qu’il s’agisse des milieux diplomatiques, artistiques ou politiques, « il montre ce que le public ne voit jamais ». Très élégant, cultivé, polyglotte, Erich Salomon parvenait le plus souvent à tromper les portiers et à se faufiler ainsi de l’autre côté du décor officiel.

Son art de la caméra cachée

<em>Vers 4 heures du matin.</em> Peu de temps après l’installation de la ligne téléphonique transatlantique, Marlene Dietrich téléphone à sa fille restée à Berlin. Hollywood, 1930.(Crédit : Bildarchiv Preußisher Kulturbesitz)

Vers 4 heures du matin. Peu de temps après l’installation de la ligne téléphonique transatlantique, Marlene Dietrich téléphone à sa fille restée à Berlin. Hollywood, 1930.
(Crédit : Bildarchiv Preußisher Kulturbesitz)

Même s’il prendra quelques clichés d’acteurs et surtout de chefs d’orchestre, il s’oriente très vite vers la vie politique. Conférence de La Haye sur les réparations de guerre (1930), réunions à huis-clos entre ministres des Affaires Etrangères allemands, italiens, français, belges, etc… Il tient à montrer des hommes en action, en train de travailler : « Il y a deux lectures du travail de Salomon. Il y a bien sûr l’exploit qui consiste à être là où on ne l’attend pas mais il y a aussi une dimension humaine quand il cherche à montrer le vrai visage des personnalités ou à illustrer une certaine idée de la démocratie à travers toutes ces discussions dont il rend compte », observe le commissaire de l’exposition qui insiste  également sur l’humour d’Erich Salomon, son respect aussi à l’égard de ses modèles qui, du coup, l’ont toujours accepté comme un complice, en toute confiance. C’est la boutade du Français Aristide Briand qui, photographié à son insu, en 1931, lors d’une réception au Quai d’Orsay, lance à un Salomon démasqué « Ah ! Le voilà ! Le roi des indiscrets ! »…. Et qui, le pointant du doigt, invite le facétieux Salomon, à appuyer une seconde fois sur son déclencheur !

L’art de faire sa publicité

Autoportrait au restaurant, à bord du Mauretania vers 1929.(Crédit : Bildarchiv Preußisher Kulturbesitz)

Autoportrait au restaurant, à bord du Mauretania vers 1929.
(Crédit : Bildarchiv Preußisher Kulturbesitz)

Si « le roi des indiscrets » a un sens inné du cadrage, cet autodidacte surdoué a également su profiter de la commercialisation de nouveaux appareils photographiques de petites dimensions, et surtout utilisables dans des conditions d’éclairage extrêmes. « Ainsi débarrassé des contraintes de la lumière artificielle, il s’est senti plus libre encore dans sa démarche ». Deux de ses appareils sont d’ailleurs présentés, un Ermanox à objectif très développé et le Leica 1 qui sera également l’appareil d’Henri Cartier-Bresson dont, soit dit en passant, Erich Salomon admire le travail. Un Erich Salomon qui signe ses clichés « Docteur Erich Salomon », qui donne des conférences pour expliquer son travail et est même exposé, par deux fois, en 1935 et 1937, à Londres. « Sa modernité se lit aussi dans sa capacité à exploiter tous les moyens mis à sa disposition pour diffuser ses images, outre les publications ». Le public de l'Hôtel Sully est d’ailleurs invité à suivre la conférence que Salomon donna en 1931 devant un parterre de personnalités allemandes, politiciens et vedettes, et intitulé : « En frac et avec un objectif dans le monde politique et social », au cours de laquelle il explique sa méthode et sa volonté de rompre avec les expressions figées du passé.

Visages ensommeillés, doigts pointés - comme sur cette image où l’on voit le Procureur de la Couronne et son épouse assis sur un sofa, cette dernière le réprimandant gentiment, l’index tendu vers le visage amusé de son mari subitement placé en position d'accusé ! -, sourires aux lèvres, auditeurs attentifs ou corps affaissés… Erich Salomon pratique le portrait, à la dérobée. Série extraordinaire que celle de ces chefs d’orchestre dont Paganini, qu’il prend de face, en plein mouvement, après avoir réussi à se glisser derrière un pupitre entre deux violonistes : « Un angle de vue pertinent puisque jusque-là, le public était habitué à ne voir que le dos des chefs d’orchestre ».

Avec l’arrivée d’Hitler au pouvoir et la montée du nazisme, Erich Salomon se réfugie aux Pays-Bas en 1937. En 1940, il réalise sa dernière série de célébrités mais ne signe plus ses clichés. Dénoncé en 1943, il est arrêté puis déporté avec sa femme et son fils cadet à Auschwitz où il meurt en juillet 1944. Parce qu’il avait caché ses négatifs dans des bocaux enterrés dans son jardin, ses images ont été sauvées. Son fils aîné, qui avait trouvé refuge en Grande-Bretagne, en a finalement fait don au musée pour l'art moderne, la photographie et  l’architecture de Berlin.

Erich Salomon, le roi des indiscrets 1928-1938 inaugure un cycle dédié à la photographie de l'entre deux-guerres. Suivront une exposition consacrée à la collection Christian Bouqueret (Paris, capitale photographique 1920-1940) du 10 février au 24 mai puis, du 9 juin au 13 octobre, un hommage à Agusti Centelles.