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Littérature & Exil

Ecrire à contre-voie : exil et littérature africaine au Centre Pompidou

par Tirthankar Chanda

Article publié le 01/12/2008 Dernière mise à jour le 01/12/2008 à 10:52 TU

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« L’Afrique...si près, si loin », tel est le thème de la rencontre annuelle D’encre et d’exil qu’accueille et organise le Centre Pompidou de Paris, du 5 au 7 décembre. La manifestation réunira cette année une quinzaine d’auteurs d’Afrique sub-saharienne autour des questions de l’exil, mais aussi de l’identité, de l’appartenance et des « patries imaginaires ». Exilés en France ou ailleurs dans le monde, ces écrivains entretiennent des rapports différents avec l’exil et le déracinement. Pour Florence Verdeille-Oswoski qui est la conceptrice et l’organisatrice de cet événement, « D’encre et d’exil se veut avant tout un lieu de dialogue et d’échange où l’écrivain n’est plus seul avec ses mots, mais vient dire au public sa souffrance, son espoir et celui des siens ».
  

Qu’y a-t-il de communs entre le Libanais Amin Maalouf, la Bengali Taslima Nasreen, l’Haïtien René Depestre, l’Albanais Ismaël Kadare, l’Indo-britannique Salman Rushdie, le Chinois Gao Xingjian et le Togolais Kossi Efoui ? La réponse tient en un seul mot... Exil.

Voir de loin ce qui est proche

Ces écrivains font tous partie de la vaste fraternité d’auteurs et d’intellectuels, qui, fuyant la censure, la guerre, la répression politique ou religieuse dans leur pays, se sont condamnés à une errance souvent sans fin. Ils ont tous souffert des angoisses de l’éloignement de leur terre natale, mais ont su en même temps transformer leur exil en une formidable source de créativité littéraire, comme en attestent leurs oeuvres.

Une créativité dont la principale caractéristique est le pouvoir de vision « entre les frontières », comme aimait à le dire Edward Saïd. Victime lui-même des souffrances de l’exil et de la double appartenance inscrites dans l’ambiguïté de son nom à moitié britannique et à moitié arabe, l’intellectuel palestinien n’a eu cesse de rappeler le privilège de l’écrivain exilé : cette capacité de voir de loin ce qui lui est proche. Il nous faut lire et relire les réflexions sur l’exil de Saïd qui est sans doute l’un des rares penseurs contemporains à avoir su analyser avec acuité la centralité du marginal qu’est l’exilé dans le monde moderne marqué par l’accélération des contacts entre cultures et la pluralité.

Les écritures de l’exil

Véronique TadjoDR

Véronique Tadjo
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C’est cette centralité de l’auteur exilé, écrivant à partir d’un hors-lieu ou à contre-voie, que célèbre D’encre et d’exil, rencontre littéraire organisée par le Centre Pompidou (Paris). Créé il y a huit ans, en collaboration avec le Parlement des écrivains qui, on s'en souvient, avait popularisé la notion des « villes-refuges » destinées à accueillir des écrivains menacés dans leur pays, D’encre et d’exil est devenue au cours des dernières années une manifestation consacrée à des littératures nationales, avec toujours pour ancrage thématique l’exil. Ainsi, après avoir donné la parole aux auteurs exilés de l’Afrique du Sud, du Chili, de Haïti, d’Argentine, de l’ancienne Yougoslavie et du Liban, la huitième édition de cette rencontre parisienne sera consacrée aux écrivains de l’Afrique sub-saharienne. Gustave Akakpo, Helon Habila, Fatou Diome, Wilfried N’Sondé, Véronique Tadjo, Alain Mabanckou, Abdourahman Waberi sont quelques-uns des écrivains invités de cette édition 2008. Les sujets des tables-rondes proposées au cours des trois jours de la rencontre vont des raisons de l’exil à la question délicate du public de la littérature africaine (« public de raison » ou « public de coeur », selon la formulation d’un célèbre critique sénégalais), en passant par les heurs et malheurs des écrivains africains exilés aux Etats-Unis, l’exil comme une quête identitaire et enfin la tentation du retour au pays natal.

Une tentation à laquelle ont cédé le Camerounais Mongo Béti et l’Ivoirien Ahmadou Kourouma, deux grands écrivains aujourd’hui disparus, mais auxquels D’encre et d’exil rend hommage en ce mois de décembre. Si tous les deux ont accompli l’essentiel de leur carrière littéraire à l’étranger, ils n’ont jamais coupé les ponts avec leur pays natal. Kourouma revenait régulièrement à Abidjan, alors que Mongo Béti est retourné s’installer à Yaoundé dans la dernière décennie de sa vie et s’est réinscrit dans la turbulence intellectuelle de son pays d’origine, le Cameroun dont d’ailleurs il n’a eu cesse de dénoncer les dérives et les mille corruptions à travers sa fiction profondément engagée. Ce sont deux itinéraires d’exil représentantifs de l’évolution des lettres africaines.

Des exilés heureux

Kangni Alem DR

Kangni Alem
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Comme le rappelle le critique Boniface Mongo-Mboussa dans le numéro de février 1999 de la revue Africultures, la littérature africaine moderne est « fille de l’exil », même si cet exil n’est pas vécu de manière identique par les différentes générations d’écrivains noirs. « On retiendra que c’est à Paris que le Guyanais Léon-Gontron Damas, le Martiniquais Aimé césaire et le Sénégalais Léopold Sédar Senghor, jettent les bases de la négritude », rappelle l’auteur de Désir d’Afrique (Gallimard, 2002). Si ces poètes fondateurs de l’Afrique littéraire post-coloniale ont vécu l’exil sur le mode romantique, pour les romanciers qui leur ont succédé (génération dont relèvent Mongo Béti et Kourouma, mais aussi le lauréat de Renaudot cette année Tierno Monénembo qui est un des grands oubliés de la rencontre du Centre Pompidou), le déracinement est à l’origine des malheurs et de l’aliénation de leurs héros souvent autobiographiques. Le rapport à l’exil change de nouveau au tournant des années 1990 lorsque les « enfants de minuit » de la littérature africaine arrivent sur le devant de la scène. Cette nouvelle génération dont sont issus la plupart des écrivains invités au Centre Pompidou est le produit de la mondialisation et vivent l’exil et le déracinement comme autant d’opportunités pour renouveler leur contrat existentiel et littéraire. « Car, comme l’écrit Kossi Efoui, s’il est vrai que toute oeuvre littéraire porte la trace du moule culturel d’où l’auteur est issu, il n’en demeure pas moins vrai que l’acte d’écrire est un effort toujours tendu vers la rupture d’avec le conditionnement initial. »

Tout comme l’Arabe américain Edward Saïd, les Effoui, Mabanckou,  Waberi sont avant tout des exilés qui s’assument comme tels et se définissent comme des créateurs en diaspora, puisant leur miel dans l’hybridité de leur expérience plutôt que dans le lieu fixe de l’origine. Bref, des exilés heureux, chez eux partout au monde !

D’encre et d’exil au Centre Pompidou, du 5 au 7 décembre. Une manifestation organisée par la Bibliothèque publique d'information.