Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Exposition

«Les Misérables», roman inépuisable

par Elisabeth Bouvet

Article publié le 09/12/2008 Dernière mise à jour le 08/01/2009 à 17:21 TU

<em>Cosette </em>par Emile Bayard. Fusain et pastel 44,5 x 27.© Maison de Victor Hugo/ Roger-Viollet

Cosette par Emile Bayard. Fusain et pastel 44,5 x 27.
© Maison de Victor Hugo/ Roger-Viollet

Paris au temps des Misérables… Ce n’est pas que l’intitulé d’une exposition, c’est un peu la tendance de cette fin d’année dans la capitale française qui, en trois lieux, célèbrent le roman-phare de Victor Hugo (1802-1885) : au musée Carnavalet qui propose une déambulation dans le Paris de la première moitié du XIXe siècle, au Forum des images qui, profitant de sa réouverture, projette, entre autres, l’adaptation muette rarement montrée des Misérables par Henri Fescourt (1925), une initiative en complicité avec la maison Victor Hugo qui, de son côté, s’intéresse plus particulièrement à la genèse du roman, et à son impact encore aujourd’hui. Une maison, pour l’occasion, qui se parcourt comme on entre dans un livre, et un dispositif obligé pour répondre à l’intitulé, provocateur, de l’exposition, Les Misérables, un roman inconnu ? Visite guidée en compagnie du commissaire de l’exposition, Vincent Gille.

Les Misérables, tout le monde connait. Forcément, serait-on même tenté d’écrire. Pas si sûr, rectifie Vincent Gille. Si Cosette est passée dans le langage courant, on ignore souvent qu’elle vit le jour sous la plume de Victor Hugo. Et pourtant, rappelle le commissaire de l’exposition, « si on en croit une enquête réalisée il y a trois ans, les deux livres les plus lus par les Français seraient la Bible et Les Misérables ». Sondage qui en dit assurément aussi long sur le prestige du roman que sur la probable méconnaissance qu’on peut en avoir. C’est d’ailleurs en quelque sorte le point de départ de cette ambitieuse exposition qui, tout en replaçant la rédaction de cet ouvrage dans son époque, montre également quelle fut son impact au fil du temps et des expressions artistiques.

Jean Valjean (Jean Gabin) et Marius (Giani Esposito) dans l'égout. Photographie de Roger Corbeau. Un film de Jean-Paul Le Chanois, <em>Les Misérables</em>, 1957, produit par Pathé.© Maison de Victor Hugo/ Roger-Viollet/ Pathé production

Jean Valjean (Jean Gabin) et Marius (Giani Esposito) dans l'égout. Photographie de Roger Corbeau. Un film de Jean-Paul Le Chanois, Les Misérables, 1957, produit par Pathé.
© Maison de Victor Hugo/ Roger-Viollet/ Pathé production

Le temps de l’écriture

C’est au second étage que débute l’exposition avec Balzac, Eugène Sue, Perrault et même Tolstoï, histoire de souligner que Les Misérables sont au croisement des différents genres littéraires qui font florès en 1845, année au cours de laquelle débute leur rédaction. Une rédaction en deux temps dont témoigne le volumineux, impressionnant et émouvant manuscrit exceptionnellement prêté par la Bibliothèque nationale de France et qui date de 1848. Deux colonnes : à droite le texte écrit d’un seul jet, à gauche les corrections et les ajouts. En fait, ce manuscrit permet de comprendre comment ce roman de 1 600 pages a été conçu, découpé, retravaillé, finalisé : « Hugo a rajouté environ 60% du texte entre la version originelle et la version finale. Il n’est évidemment pas le même homme entre 1848 et 1862 ; entre ces deux dates, il a connu l’exil et, du coup, le texte a gagné en humanité ». Le visiteur découvrira, un peu abasourdi, que le découpage des chapitres s’est fait à la toute fin, que la bataille de Waterloo avec laquelle s’ouvre le roman a été écrite et rajoutée à la toute fin également, bref que Les Misérables sont le fruit d’une longue maturation, « même si le temps de l’écriture à proprement parler se résume à cinq années ».

Le temps de la postérité

Paul Strand (1890 - 1976) photogravure 22 x 16,3, parue dans Camera Work, n° 49-50, juin 1917.© RMN/ René Gabriel Ojéda

Paul Strand (1890 - 1976) photogravure 22 x 16,3, parue dans Camera Work, n° 49-50, juin 1917.
© RMN/ René Gabriel Ojéda

Quant à la publication, elle fut « un coup médiatique comparable à ce qui se passe aujourd’hui avec Harry Potter ». Vendu au plus offrant, c’est donc à un éditeur belge, Lacroix pour ne pas le citer, que Victor Hugo cède son manuscrit, « pour 300 000 francs de l’époque, ce qui est une somme considérable ». Mais l’investissement valait le coup puisqu’en l’espace de quelques jours, entre fin mars et début avril 1862, le livre est épuisé ; dès la fin de l’année, il est traduit dans plusieurs langues dont l’espagnol, l’italien, le polonais, l’anglais et même le hongrois, pour la plus grande satisfaction de l’écrivain qui ne cache pas son désir de « s’adresser à tout le monde », écrit-il. Un livre à vocation universelle qui partage cependant la critique. Ainsi de Lamartine « qui donnera six conférences sur Les Misérables et qui parle d’un livre dangereux pour le peuple au prétexte qu’il donne de faux espoirs ». Ce à quoi Hugo répondra que « si être idéaliste, c’est être radical, alors oui, je suis radical ». Bref, l’année 1862 est dominée par ce roman-fleuve : « Les ouvriers se cotisent pour pouvoir se l’offrir et se le refiler », raconte Vincent Gille tandis que Baudelaire et Rimbaud saluent « ce livre de poésie ».

D’adaptations théâtrales en reprises cinématographiques - et cela, dès 1898 avec les frères Lumière -, Les Misérables vont connaitre une carrière à multiples rebondissements. Du reste, « si jusqu’en 1914, tout le monde, en France, avait lu le livre, peu à peu la connaissance des Misérables passera par le cinéma puis par la télévision ». Au point de rester, à l’instar de la Bible, la référence absolue, y compris dans des contrées aussi lointaines que la Corée ou Cuba.  

Le temps de la permanence

<em>Jean Valjean</em>, illustration pour <em>Les Misérables</em>, par Gustave Brion.Maison de Victor Hugo

Jean Valjean, illustration pour Les Misérables, par Gustave Brion.
Maison de Victor Hugo

… qui est aussi le moment de rejoindre le premier étage en compagnie de l’artiste contemporain Ernest Pignon-Ernest et de ses photographies sur le thème de la misère et de l’exclusion qui recouvrent les murs de l’escalier, nous introduisant ainsi dans ce qui constitue le second volet de l’exposition : les thématiques développées par Les Misérables dans une triple approche, à la fois narrative, topographique et symbolique. Points de départ, les figures-clés du roman telles que, entre autres, Jean Valjean, Cosette, Javert, les Thénardier, Fantine et Gavroche qui pour certaines témoignent de grandes valeurs universelles comme la rédemption, l’amour, le courage, le progrès ou la justice, et pour d’autres, décrivent certes la réalité sociale d’une époque tout en réussissant le tour de force d’exprimer des préoccupations impérissables quand elles touchent au crime, à la misère, au sort des femmes et des enfants, bref à la souffrance du monde.

Autant de grands thèmes et de situations qui ont émaillé et continuent d’alimenter le travail de nombreux artistes. C’est autour de cette mise en perspective que s’articule l’ultime étape de la visite, en partant de la seconde moitié du XIXe siècle pour arriver jusqu’à nos jours. C’est, par exemple, très vite les premières gravures d’Emile Bayard représentant Cosette avec son seau ou son balai qui feront un tabac dans la population et qui, aujourd’hui encore, constitue une sorte d’icône, ou à tout le moins d’image d’Epinal. « Autour du personnage de la petite fille se greffent également tous les archétypes liés au conte de fée avec l’image de la marâtre et du géant surgissant de nulle part et venant la sauver, une nuit de Noël », reprend Vincent Gille qui fait référence à Charles Perrault et son illustrateur Gustave Doré. Ce seront ensuite toutes les représentations liées à la découverte par une Cosette devenue une jeune fille du sentiment amoureux auprès de Marius : « Toutes les scènes de bonheur ont pour cadre un jardin, sorte d’Eden synonyme aussi de fertilité ». 

Eugène Delacroix (1798-1863) - <em>Christ à la colonne</em>, Huile sur toile 40,5 x 32,3© Musée des Beaux-Arts de Dijon, François Jay.

Eugène Delacroix (1798-1863) - Christ à la colonne, Huile sur toile 40,5 x 32,3
© Musée des Beaux-Arts de Dijon, François Jay.

Même débauche de peintures ou de gravures autour de la personnalité de Valjean. Eugène Delacroix et son Christ à la colonne, Théodore Géricault et son Naufragé ont ainsi été réunis pour l’occasion tandis qu’un peu plus loin, une photographie de l’Américain Paul Strand, prise en 1917, renvoie à ces figures de misérables incarnées par le couple des Thénardier.  Et l’on ne parlera pas de Gavroche, l’inoxydable titi parisien, glorifié notamment par les chansonniers, et dont les multiples effigies fleurissent encore à Montmartre.

Les Misérables, un roman inconnu ? Au terme de la visite, on n’a plus qu’une envie : se (re)plonger dans le livre. Pari gagné donc pour Vincent Gille qui n’a pas conçu cette exposition autrement que comme un hommage à cet immense ouvrage, pardon ce « chef d’œuvre », selon la formule du décidément visionnaire Victor Hugo.   

Les Misérables, un roman inconnu ? Une exposition à voir à la maison Victor Hugo jusqu'au 1er mars. Consulter également le programme du Forum des images pour connaitre les dates des projections des premières adaptations cinématographiques du roman.

Paris au temps des Misérables, c'est au musée Carnavalet, toujours à Paris, jusqu'au 1er février.