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Exposition

Jacques Prévert, connu et inconnu

par Elisabeth Bouvet

Article publié le 19/12/2008 Dernière mise à jour le 22/12/2008 à 12:58 TU

( Photo : DR )

( Photo : DR )

Jacques Prévert (1900-1977) n’avait jamais fait l’objet d’une rétrospective parisienne. C’est désormais chose faite : l’Hôtel de ville de Paris accueille jusqu’au 28 février ce touche à tout qui, du théâtre au cinéma en passant par la littérature, la chanson, la photographie et les collages, se sera exprimé tous azimuts, et de manière peut-être moins lénifiante qu’on ne se plait à le penser. Tout l’intérêt de Jacques Prévert, Paris la Belle, une exposition qui permet de découvrir les différentes nuances d’une personnalité à la fois libertaire et corrosive. Et même étonnement contemporaine.

Photo d’exploitation mise en couleurs du film « Les Enfants du Paradis » réalisé par Marcel Carné.© ADAGP 2008, Pathé Production

Photo d’exploitation mise en couleurs du film « Les Enfants du Paradis » réalisé par Marcel Carné.
© ADAGP 2008, Pathé Production

« Chacun a sa petite idée de Prévert », lance, en guise d’introduction, N.T. Binh, l’un des deux commissaires de l’exposition. Ce qui in fine dessine une idée fausse de l’homme, et en tout cas incomplète. C’est ainsi que pour beaucoup Prévert se résume à quelques films impérissables comme Quai des Brumes et Les enfants du Paradis, à quelques chansons non moins inoubliables à commencer par Les feuilles mortes, et à ses recueils de poèmes dont le plus connu reste sans l’ombre d’un doute Paroles. L’esprit de cette rétrospective est donc à l’exhaustivité, seule manière aux yeux d’Eugénie Bachelot-Prévert, la petite fille du scénariste, de « montrer des choses inattendues ». Le choix de la photographie pour l’affiche montrant un Prévert jeune - et non pas chapeauté, le cheveu chenu et la cigarette aux lèvres, comme souvent -, participe de ce partis-pris : « Rajeunir l’image de mon grand-père avec une photographie qui renvoie à Man Ray et en fait aux surréalistes dont il fut un proche ». 

Un inventaire à la Prévert

Jacques Prévert, sa première épouse Simone, André Breton et Pierre Prévert, vers 1925, à l’époque de la rue du Château.© Mairie de Paris

Jacques Prévert, sa première épouse Simone, André Breton et Pierre Prévert, vers 1925, à l’époque de la rue du Château.
© Mairie de Paris

L’exposition s’organise selon un ordre chronologique, récapitulant ainsi les différents moyens d’expression dont Prévert s’est accaparé, les uns nourrissant les suivants, dans une espèce de jeu de dominos extrêmement cohérent. Que ce soit sa rencontre dans les années 1920 avec le peintre Yves Tanguy et le futur patron de la collection Série noire, Marcel Duhamel, et ses contacts avec la bande à Breton - « c’est à Jacques Prévert que l’on doit l’invention de l’expression ‘cadavres exquis’ », précise N.T Binh -, que ce soit ses premiers écrits pour le théâtre - plus d’une cinquantaine de pièces entre 1932 et 1936 – à la faveur de la création du Groupe Octobre, que ce soit ses premiers pas au cinéma en tant qu’acteur d’abord, puis comme dialoguiste pour Carné notamment avec qui il tournera Les Enfants du Paradis, Les visiteurs du soir, Drôle de drame, etc, que ce soit ses chansons ou ses poèmes, que ce soit ses collages qui l’amènent à travailler avec Picasso, Miro ou Calder… Pour marquer chacune des étapes de son existence, les pièces présentées sont innombrables ce qui confère aux espaces et à cette remontée du temps, ponctuée d’extraits de films ou d’interprétation signée Mouloudji, Juliette Gréco, etc, une gaité assez proche du personnage. Eugénie Bachelot-Prévert voit en effet dans cette « bonne humeur » affichée, dans cette profusion de couleurs, l’expression de « cette insoumission qui fait de l’œuvre de Jacques Prévert, un acte poétique et politique. Le cancre, Le roi et l’oiseau sont des textes très politiques ».

Prévert, l'insurgé

Première édition de « L’Opéra de la Lune » (1953) de Jacques Prévert  et Jacqueline Duhême.© La Guilde du livre/ Collection Jacques Prévert.

Première édition de « L’Opéra de la Lune » (1953) de Jacques Prévert et Jacqueline Duhême.
© La Guilde du livre/ Collection Jacques Prévert.

Cette part rebelle est peut-être celle qui s’est le plus estompée au fil des décennies. Et, partant, celle qui retient le plus l’attention du visiteur, amusé de lire, parmi les innombrables slogans de Prévert l’anarchiste, « Etranges étrangers » (pour dénoncer les brimades dont sont - déjà - victimes les immigrés), « Il n’est jamais trop tard pour ne rien faire » (c’était avant le « Travailler plus pour gagner plus »), « La chasse à l’enfant » (à la suite de deux bavures dans des maisons de correction) et même un piquant détournement, bien avant Gainsbourg, de La Marseillaise qui, « à l’heure où l’on ne tolère pas que l’hymne national soit sifflé, souligne la petite-fille, est pour le moins pertinent ». Souvenirs sans doute de cette agit-prop qui fut le moteur du groupe octobre, sorte d’avant-garde théâtrale matinée de socialisme et qui rappellent que Jacques Prévert n’est pas que cet aimable grand père immortalisé par Doisneau. L’exposition rappelle d’ailleurs qu’il manifesta également son soutien à l’Afro-Américaine Angela Davies, à la fin des années 1960, aux côtés, entre autres, de Jean-Paul Sartre.

Comme on a probablement oublié également que le « cas Prévert » suscita bien des débats et polémiques, et en tout cas divisa durablement le milieu littéraire qui ne le reconnut jamais vraiment comme un des siens. C’est avec humour que les deux commissaires de l’exposition ont choisi d’évoquer cette incompréhension de la critique en montrant un extrait d’une émission télévisée en noir et blanc, où l’on peut entendre un journaliste du quotidien Le Figaro taxer Prévert d’ « imposteur » face à un Mouloudji, à qui il suffira de dire deux des nombreux textes en prose de son ami parolier pour clouer le bec à ce virulent détracteur. Cela étant, rappelle Eugénie Bachelot-Prévert, « il se trouve encore aujourd’hui des écrivains pour dénigrer son œuvre, Houellebecq par exemple qui dit que ‘Jacques Prévert est un con’ ».

L'oeuvre graphique de Prévert

 Pochette de disque dessinée par Jacques Prévert© Fatras, succession Jacques Prévert/ Collection privée Jacques Prévert.

Pochette de disque dessinée par Jacques Prévert
© Fatras, succession Jacques Prévert/ Collection privée Jacques Prévert.

Quoi qu’il en soit, et c’est du reste ce qui a surtout frappé sa petite-fille, Prévert laisse une œuvre graphique extrêmement abondante. De ce point de vue, la dernière partie du parcours est un vrai régal : on y découvre d’un côté toute une série de collages dont les premiers remontent à 1943 - « C’était alors un passe-temps, ils deviendront ensuite une véritable passion » - et qui « montrent le rapport étroit qu’entretenait Prévert avec les peintres dont Picasso, Miro et Calder et les photographes comme Brassaï ou Willy Ronis », et de l’autre des éphémérides imaginées, dessinées par Prévert. Son calendrier à lui du temps qui passe avec, pour chaque jour, une fleur particulière et quelques mots griffonnés en travers de la feuille qui vont du rendez-vous chez le coiffeur ou chez le pédicure à un déjeuner avec Max Ernst, Mouloudji, Alberto Giacometti, Arletty, Yves Montand et Simone Signoret ou, plus près de nous, Alain Delon. Bref une vie bien remplie, et même un peu plus encore que ce que l’on pouvait imaginer, avec, surgissant de ce bottin mondain, cette fleur dédiée à Minette alias Michèle, son unique fille, qui souffle en ce 16 novembre 1966, ses vingt ans. Prévert, papa gâteau, aussi !