par Elisabeth Bouvet
Article publié le 30/01/2009 Dernière mise à jour le 30/01/2009 à 13:02 TU
Si le Français Henri Vidal (1833-1906) fut le premier, dès 1876, à réaliser des reproductions photochromiques, c’est au Suisse Hans Jakob Schmid (1856-1924) que l’on doit le perfectionnement de ce procédé qui permet d’imprimer des images en couleurs sur des pierres lithographiques à partir des négatifs de photographies prises en noir et blanc. Schmid qui travaillait pour la société zurichoise Orell Füssli ne profita guère de cette notoriété. C’est en effet son employeur qui déposa le brevet en 1888 et reçu tous les honneurs, notamment lors de l’Exposition Universelle de 1900 à Paris où il reçut le premier Prix pour cette invention. Le succès public fut alors immédiat tant sur le vieux continent qu’aux Etats-Unis, et plus particulièrement auprès des touristes qui s’arrachaient ces photo-souvenirs (au format carte postale ou panoramique) de toute beauté. A défaut d’être tout à fait fiables.
« Les couleurs sont inventées », explique Marc Walter. A l’exception d’un William Henry Jackson qui participera à la mise en couleurs de ses propres images de l’Ouest américain prises un quart de siècle plus tôt, les photographes - souvent parce qu’ils sont morts – ne sont pas associés à cette opération de colorisation de leurs négatifs. Ce qui explique la grande diversité de teintes de certains clichés. Ainsi de ce bord de mer représenté tantôt avec écume et nuages, tantôt sans l’ombre ni d’une vaguelette ni d’un cumulus. Idem pour cette vue de la place San Marco de Venise déclinée à toutes les heures de la journée. C’est justement cette manière fantaisiste d’embellir le monde qui séduit le visiteur. Lequel découvre au fil de ce voyage d’Europe en Orient - intitulé de l’une des salles de l’exposition - des paysages incroyables sans oublier toute la panoplie des costumes et autres portraits ethniques, « représentatifs de l’esprit scientifique du tournant du XXe siècle ».
Où l’on découvre que si l’Italie et le sud de la France étaient parmi les destinations les plus prisées, l’Europe centrale – qui englobe l’Empire austro-hongrois, la Dalmatie, la Bohême, les pays des Balkans - tient largement la corde. Tout comme les Alpes dont les glaciers, sommets et autres lacs sont retouchés à l’envi. Nouvelle-Zélande, Chine, Inde, Russie, Egypte, Liban, Syrie, Palestine, Terre Sainte : en cette époque où les communications s’accélèrent, plus aucun recoin du monde ne résiste à l’appétit de connaissances né avec la révolution industrielle. Même les œuvres d’art feront l’objet de photochromes. « C’est le musée du Louvre chez soi ! », s’exclamera un chroniqueur. Le Louvre mais aussi les Offices de Florence en Italie, etc… La reproduction d’art devient une discipline à part entière, révélant un patrimoine extraordinaire.
C’est d’ailleurs ce qui frappe au fur et à mesure que défilent les différentes parties de l’exposition : l’émerveillement qui semble guider « la main » des adeptes du photochrome. Un monde apparemment idéal se donne à voir dans toute sa richesse et sa diversité, un monde d’avant la grande boucherie de 14-18 et de la chute des Empires, ici et aux antipodes, et dont l’engloutissement précipitera la photochromie aux oubliettes. Il aura fallu la curiosité de Marc Walter pour que revive ce monde enfoui, démodé et, pour une très grande part d’entre nous, insoupçonné. Ce voyage en couleur est là pour réanimer ces « Trente glorieuses ».