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Photographie

Cartes postales d’Amérique

par Elisabeth Bouvet

Article publié le 06/02/2009 Dernière mise à jour le 06/02/2009 à 15:49 TU

La carte postale photographique a longtemps été considérée comme accessoire voire mineure. Depuis quelques années, elle reprend des couleurs, dévoilant par là-même toute une facette méconnue de l’histoire de la photographie. Grâce à elle également, c’est tout un monde enfoui qui se révèle : Asie, Afrique, Europe, Amérique… Les premières cartes postales photographiques constituent des témoignages irremplaçables sur les sociétés occidentales et orientales du début du XXe siècle. La Maison européenne de la photographie expose quelques unes des cartes postales collectées par le Britannique Anthony d’Offray, au total près de 250 cartes toutes consacrées aux Etats-Unis et réunies sous l’intitulé, American Dream. Passionnant ! Et à voir dès lors qu'auncun ouvrage n'est prévu avant, au mieux, deux ans.

Rebelles mexicains (1912).(Courtesy Anthony d'Offray, Londres)

Rebelles mexicains (1912).
(Courtesy Anthony d'Offray, Londres)

Alors que vient de s’ouvrir à la MEP American Dream, se tient, en ce moment, au MoMa de New York une exposition baptisée Walker Evans et les cartes postales. C’est Anthony d’Offay qui nous l’apprend, comme pour justifier sa place ici, à la Maison européenne de la photographie. Et probablement aussi sa passion pour les cartes postales qui remonte à une dizaine d’années : « C’est en cherchant, il y a douze ans, des témoignages photographiques sur les coiffures africaines que j’ai pris la mesure du caractère unique de la carte postale photographique. Il est en effet impossible de trouver dans aucun livre ces images du quotidien que seules ces cartes postales sont à même de montrer », explique ce marchand d’art anglais, ravi de faire partager sa découverte, surtout, glisse-t-il, « alors que l’Amérique vient d’élire le premier président noir de toute son histoire ».

Homme tatoué (1921).(Courtesy Anthony d'Offray, Londres)

Homme tatoué (1921).
(Courtesy Anthony d'Offray, Londres)

American Dream (« Le rêve américain ») livre en effet, à un siècle d’intervalle, le portrait d’une Amérique qui semble décidément éternelle. Et la présentation par chapitres, au nombre de 13, accentue cette impression de lire là, dans ces différentes vitrines, les fondements de ce qui constitue encore aujourd’hui à la fois l’identité, l’âme, les travers aussi, de la première puissance mondiale. La période retenue, qui court de 1900 à 1930, correspond à celle de l’arrivée massive d’immigrés sur ce vaste territoire qui reste encore à conquérir et à faire fructifier. Européens, Russes débarquent sur le nouveau continent en quête d’une vie meilleure. Les cartes postales témoigneront de cette vie sinon meilleure, du moins nouvelle, ce qui explique le véritable engouement pour ce medium au début du XXe siècle. « Selon le service postal des Etats-Unis, près d’1 milliard de cartes postales ont été envoyées en 1913, soit dix fois le nombre des Américains », nous indique-t-on dans l’introduction à l’exposition. Laquelle se décline donc selon 13 thèmes, au nombre desquels La terre promise, Les travaux domestiques, Les enfants, Les femmes, Les sorties, Les situations rurales, etc.

Vieil homme afro-américain au chapeau haut-de-forme (autour de 1915).(Courtesy Anthony d'Offray, Londres)

Vieil homme afro-américain au chapeau haut-de-forme (autour de 1915).
(Courtesy Anthony d'Offray, Londres)

« Il est fascinant de constater que tout est déjà là », reprend Anthony d’Offay en montrant successivement les cartes postales d’un bébé qui semble jouer avec un revolver, d’un autre nourrisson à peine visible assis au milieu d’une dizaine de citrouilles plus grosses que lui, d’une table où sont alignées des piles de pièces de monnaie, d’une tornade, des usines Ford et Cadillac, de l’Oncle Sam, de victimes de grèves particulièrement meurtrières sans oublier les incontournables cartes postales de blancs grimés en noirs ou de sympathisants du Ku Klux Klan en habit de cérémonie. Violence, prolifération des armes à feu, argent, prospérité, religion, racisme… L’histoire américaine se lit sous nos yeux, à travers des scènes banales du quotidien, à travers le témoignage des citoyens eux-mêmes qui soit faisaient appel à un photographe professionnel soit se prenaient eux-mêmes en photo ou leurs proches ou l’objet de leur fierté. Le lancement par la firme Kodak d’un appareil simple et bon marché capable de produire des négatifs en format carte postale ayant grandement facilité, entretenu et même amplifié ce recours à la carte postale comme moyen de communication.

Ces plus de 200 cartes postales photographiques permettent ainsi de donner une réalité à ce que l’on a appelé l’American Dream, avec ce que cela comporte d’humour (à l’instar de cette carte postale représentant, au rayon Sorties, un bal de cow-boys, en 1914), de drames (on voit notamment des cartes postales de personnes s’étant suicidées), d’injustices (avec ces cartes postales montrant les conditions de vie des noirs qui s’entassent dans des baraquements de guingois) mais surtout d’espoir. « Un espoir dont il est intéressant de prendre à nouveau la mesure en ces temps de crise économique », nous dit Anthony d’Offay, en guise de verso à ces cartes postales qui donnent à voir l’esprit de l’Amérique.

Cireur de chaussures (autour de 1910).(Courtesy Anthony d'Offray, Londres)

Cireur de chaussures (autour de 1910).
(Courtesy Anthony d'Offray, Londres)