par Elisabeth Bouvet
Article publié le 02/03/2009 Dernière mise à jour le 05/03/2009 à 10:49 TU
L’écrivain français a pris ses quartiers à la Villa Médicis, à Rome. Dix ans après la parution de son premier livre, Loin d’eux, le romancier raconte son « exil » italien et ses projets avec notamment la publication en septembre de son nouveau titre, Des hommes.
Le rendez-vous est fixé Piazza di Spagna, à deux volées de marches de la Villa Médicis, le siège de l’Académie de France à Rome. Laurent Mauvignier y est arrivé en septembre, comme pour une rentrée scolaire. D’ailleurs, celui qui se dit « résident plutôt que pensionné » n’aime rien tant que faire le mur : « Je suis plutôt un ours d’ordinaire », confesse-t-il avant de nous entraîner dans les salons couleur vermillon d’un palace voisin, entre café, thé, gâteaux secs et lions aussi dorés qu'assoupis.
La présence de Laurent Mauvignier à la Villa Médicis a de quoi étonner. Six livres à son actif, et bientôt un septième prévu pour septembre, sans oublier le projet d’écriture qui fut son sésame romain, bref l’auteur français - publié depuis ses débuts par les Editions de Minuit - n’est pas, à 41 ans, ce que l’on appelle un jeune premier. En faisant récemment passer la limite d’âge des candidats de 35 à 45 ans, la Villa Médicis se réserve désormais la possibilité d’ouvrir ses portes à des artistes aguerris. Et Laurent Mauvignier de citer Stéphane Audeguy qui rejoindra les 16 autres pensionnaires dans la ville éternelle dès le mois d’avril, pour une année pareillement. Affaire de prestige. L’auteur de Seuls (2004) voit moins dans cette opportunité « un encouragement » qu’« une récompense accordée à un brontosaure pour dix ans de bons et loyaux services ». Depuis la publication de Loin d’eux, en mars 1999.
Est-ce précisément l’approche de cette date-anniversaire qui l’a poussé à postuler, quitte à avoir la sensation de « remettre les compteurs à zéro » ? En vérité, l’idée lui avait déjà traversé l’esprit par le passé, encore fallait-il régler son compte à cet encombrant problème de légitimité qui « pendant longtemps lui a fait dire que ce n’était pas pour lui ». La maturité venue et le succès aidant, la possibilité également de « se confronter à d’autres » lui a paru stimulante. Depuis, il arpente églises, rues, cryptes, musées non sans parfois se retrouver submerger par « l’envie de pleurer », en proie au syndrome de Stendhal : « Tout cet environnement, c’est quelque chose d’écrasant. Dans le parc de la Villa Médicis, on ressent très fortement la présence de nos illustres prédécesseurs ». Heureusement, les contraintes de l’écrivain ne sont pas celles du plasticien ou même du musicien. Rien en effet n’oblige Laurent Mauvignier à rendre un roman à la fin de son séjour italien.
Rome ou le temps des prises de notes autour du thème du tourisme de masse et des lieux standardisés. Tel est donc le vade-mecum de Laurent Mauvignier à Rome, qui ne renonce pas pour autant à ce qui constitue en quelque sorte sa griffe depuis Loin d’eux jusqu’à son dernier roman, Dans la foule (2006): « Il y a toujours l’idée de faire circuler la parole d’un protagoniste à l’autre, tous ces personnages étant réunis par un drame. Cette fois, j’ai décidé de remplacer le drame par un lieu. J’avais d’abord pensé à un jardin public et puis ce jardin est devenu une ville, Rome. […] Et cette idée de collage convient bien finalement à cette ville qui n’est qu’un empilement d’époques et de styles ». Voilà pour l’espace, le temps sera celui des derniers Jeux Olympiques de Pékin soit le mois de septembre 2008. Pas de trame pour l’instant, encore moins de synopsis, « juste des images » que Laurent Mauvignier accumule, même s’il n’a pas encore réussi à photographier, littéralement s’entend, la ville éternelle presque trop belle « pour rentrer dans le cadre » !
Piano, piano… Façon de parler. Car même loin de sa nouvelle base, Toulouse dans le sud-ouest de la France, l’auteur d’Apprendre à en finir (2000) ne vit pas cette villégiature romaine comme une année sabbatique. Loin s’en faut : outre l’écriture de scénarii et pour la télévision et pour le cinéma, il met la dernière main à son prochain livre, Des hommes dont la parution attendue pour le mois de septembre prochain semble le ravir. Où l’on reparle de la décennie écoulée : « L’idée de ce roman qui évoque la Guerre d’Algérie était déjà en germe dans Loin d’eux, alors là j’ai la sensation de boucler une boucle ». A l’origine, les clichés d’un père parti dans l’ex-colonie française et dont l’apparente insouciance tranche singulièrement avec la réalité d’une guerre en tout point traumatisante : « C’est la dernière génération à avoir été confrontée à une violence militaire, et en plus, avec la conscience d’être du mauvais côté », explique-t-il avant d’indiquer qu’il a voulu « un récit le plus décontextualisé possible, qui ait moins à voir avec le conflit qu’avec des hommes confrontés à la guerre ». Ecrire pour tenter en quelque sorte de faire taire les non-dits autour de cette période même si, s’empresse-t-il d’ajouter, « l’histoire familiale n’est qu’un point de départ ».
Après s’être mis dans la peau d’un violeur dans Ceux d’à-côté (2002) - « j’avais entendu trop de choses bien-pensantes sur mon travail » -, Laurent Mauvignier continue donc dans Des hommes à percer nos « zones d’ombre », et surtout à prêter sa voix à ces hommes, ces femmes (amants, frères, sœurs, mères, pères, voisins) généralement inaudibles, parfois tout simplement claquemurés dans leurs souffrances. On l’imaginait peu disert, tout en intériorité ; on le découvre loquace et affable. Aurait-il pris goût aux voyages, lui qui, en 2008, a passé deux mois à Berlin en résidence ? Il dit en tout cas apprécié l’état à la fois « de fragilité et d’attente » que ces dépaysements provoquent, et surtout « cet étonnement permanent ». Du coup, admet-t-il, ses retours à Toulouse le déstabiliseraient presque : « Le réel, c’est bizarre. Soudain, on voit les choses de manière objective ». A Rome, loin de nous, Loin d'eux. On y revient décidément toujours !