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Curiosité

«Vides» : Tout doit disparaître

par Bartholomé Girard

Article publié le 02/03/2009 Dernière mise à jour le 03/03/2009 à 14:20 TU

© Centre Pompidou, Georges Meguerditchian, 2009.

© Centre Pompidou, Georges Meguerditchian, 2009.

Il faut passer devant plusieurs tableaux de la collection permanente du Centre Pompidou avant d'arriver à un seuil métallique qui marque, hasard de l'architecture muséale nous assure-t-on, l'entrée dans un espace entièrement vide. « Ceci n’est nullement lié à la crise économique ! », plaisante Mathieu Copeland, commissaire de l’exposition Vides, une rétrospective, présentée à Beaubourg jusqu’au 23 mars. Cinquante ans auparavant, un artiste lessivait pour la première fois une salle de musée. C'était en 1958. Yves Klein, célèbre notamment pour ses monochromes, avait alors présenté sa « Spécialisation de la sensibilité à l'état de matière première en sensibilité picturale stabilisée » (!), soit une salle de musée déserte. L'an dernier, le vide en art contemporain a donc soufflé ses 50 bougies. L’occasion de faire le point sur cette histoire particulière au Musée Beaubourg. L'institution au cœur de Paris consacre donc une rétrospective aux artistes qui, depuis un demi-siècle, ont proposé une autre approche du lieu d'exposition... en le vidant.

Vides : le pluriel du titre se veut éloquent. Les commissaires - au nombre de six pour une galerie qui ne contient aucune « œuvre » au sens habituel du terme ! - insistent ainsi sur le caractère rétrospectif de l’évènement. Neuf vides, neuf espaces immaculés, neuf propositions d'artistes dont les intentions, souvent différentes, mènent toutes au même point : des salles blanches, éclairées sobrement au néon. Au centre, la salle de Klein, précurseur de l'évacuation des œuvres des musées. La suite est en spirale, chronologique : Art & Language (1966-67), Robert Barry (1970), Laurie Parsons (1990), Bethan Huws (1993)… et l’exposition tend à prouver qu’une véritable « histoire des vides » se forme depuis cinq décennies. Mais il ne s’agit pas pour autant de reconstituer les lieux d’exposition d’origine. Laurent Le Bon, conservateur du Musée national d’art moderne, explique qu’« en faisant approuver [aux artistes] l'actualisation de leur projet originel dans un autre contexte spatio-temporel, le commissariat de Vides propose une manifestation rétrospective d'une certaine manière intemporelle et sans évocation des lieux originaux, créant ce bizarre sentiment d'être un peu partout et nulle part à la fois. »

Vide(s) : rien(s) ?

More Silent Than Ever (Installation Roman Ondak, 2006).(Courtesy GB Agency, Paris and Martin Janda, Vienna)

More Silent Than Ever (Installation Roman Ondak, 2006).
(Courtesy GB Agency, Paris and Martin Janda, Vienna)

Bien aisé qui verra une différence entre les salles, si ce n’est le cartel qui orne l’entrée de chacune, présentant le projet des « videurs ». L’américain Robert Barry, par exemple, enlève l'objet car il veut montrer la galerie pour elle-même. Et Laurie Parsons, à la galerie Lorence-Monk à New York en 1990, avait annoncé son exposition par un carton qui ne comportait que l’adresse du lieu, et non les dates de la manifestation ni son nom. Elle a même effacé cette exposition de sa biographie ! Ainsi s’esquissent différents rapports au néant, qu’il soit considéré comme impossible à atteindre, à l’instar d’un Robert Irwin, ou comme un moyen de questionner l’espace du musée, comme le pense le slovaque Roman Ondak. Car l’attention des visiteurs, sans contenu, se porte davantage sur les lieux. Là où trônent habituellement des pièces de la collection permanente – placer une exposition temporaire au 4ème étage du centre est, au-delà de son propos, une première –, il ne reste que des murs propres, dont les effluves de peinture sont encore perceptibles.

Subversive, cette rétrospective ? Les commissaires s’en défendent à plusieurs reprises. « Elle est exigeante, plus que provocante », tranche Laurent Le Bon, dont la préface dans le catalogue de l’exposition se résume à une page blanche. Ce dernier insiste sur le fait que « Vides se veut une contribution différente dans cette course effrénée à la rentabilisation des espaces : une pause dans le flot de la production. » Et le public de se perdre dans les dédales des cloisons blanches, en entendant résonner ses pas. La promenade devient elle-même évènement. « Avec le vide, les pleins pouvoirs » avait dit Albert Camus, à propos de l’exposition de Klein. Et pour les curieux, la possibilité de se poser quelques instants dans un lieu flottant où ils peuvent laisser cours à la rêverie, le regard dans… le vide.

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