par Kèoprasith Souvannavong
Article publié le 06/03/2009 Dernière mise à jour le 09/03/2009 à 16:54 TU
« Personne ne peut les reconnaître. Sauf celles qui leur ressemblent »
D’emblée, le premier poème donne le ton : « Je les ai vues. Elles, leurs visages aux bleus camouflés. Elles, leurs meurtrissures cachées entre les cuisses. Elles, leurs rêves capturés, leurs mots muets. Elles, leurs sourires fatigués […] Je les ai vues toutes passer dans la rue, regardant derrière elles, inquiètes d’être suivies […] déguisées en femmes normales. Personne ne peut les reconnaître. Sauf celles qui leur ressemblent ». Amour, abandon, solitude, peur, culpabilité, désillusion et… espoir jalonnent les pages.
Traduit de l’arabe par son auteur, le livre est né de nombreuses rencontres, notamment avec les femmes accueillies par l’association Halte aide aux femmes battues (HAFB) et le Foyer Louise Labé, à Paris. Il se présente sous forme de témoignages de femmes d’âges et d’horizons sociaux divers (immigrées, journalistes, bibliothécaires, esthéticiennes, comédiennes, sans domicile fixe...) et d’enfants. Des garçons et des filles qui parlent de leurs parents et de leur souffrance avec leur propre langage, à l’image de Sara, 9 ans : « Pourquoi mon père bat ma mère ? Elle ne sait pas bien repasser ses chemises. Moi, quand je serai grande, je repasserai les chemises très bien ».
Un sujet qui dérange
C’est avec un style limpide que Maram al-Masri, née en 1962 à Lattaquié, en Syrie, aborde audacieusement – mais avec pudeur - la violence conjugale, un sujet qui dérange quelles que soient les latitudes où l’on se trouve. Elle opte pour un rythme fluide, des mots simples, des vers brefs, des poèmes intimistes. « La transparence et la vérité rendent les poèmes accessibles et touchants », explique-t-elle. « Je m’inscris dans la poésie libre ou moderne. Je veux que l’idée parvienne aux lecteurs dans sa meilleure expression, sans contrainte. Compter les syllabes ou trouver des rimes parfaites ne m’intéresse pas ». Et de rappeler que la poésie est « un art noble » pour elle, qui se dit « fan de personne » quand on lui demande ses auteurs préférés en la matière.
Avec Les Ames aux pieds nus, Maram al-Masri exhorte les hommes à se poser des questions. « Pourquoi je frappe ma femme ? » Cependant, elle souligne qu’il ne s’agit pas d’un livre contre les hommes. Ils ne sont pas des tyrans. « Certains sont même battus par leur compagne », admet-elle. Son livre n’est pas non plus frappé du sceau d’un féminisme militant, mais il est plutôt « un cri de secours… et un cri d’amour ».
Les poèmes de Maram al-Masri constituent en effet un message d’amour, mais également de tolérance mutuelle, de respect des autres et de soi-même. Des principes essentiels à l’épanouissement de l’humanité. « Dans les moments de violence et de rage, les gens doivent toujours avoir présent à l’esprit la qualité du cœur. Même si un couple se sépare, il doit le faire avec élégance. Il faut que les âmes restent intacts, ainsi que les corps, car sinon on produit des générations d’hommes et de femmes malades », affirme-t-elle, comme une supplication.
Les Ames aux pieds nus, de Maram al-Masri.
Editions Le Temps des Cerises, Pantin, France, 2009.