par Bartholomé Girard
Article publié le 17/03/2009 Dernière mise à jour le 17/03/2009 à 14:23 TU
Le cinéma sud-coréen est décidément en grande forme. En témoigne le Festival du film asiatique de Deauville, du 11 au 15 mars dernier, qui a récompensé du Grand Prix et du Prix de la Critique Internationale un film tout droit venu de la péninsule asiatique, Breathless de Yang Ik-June, et distingué d’un Grand Prix Action Asia un premier film (!), The Chaser, signé Na Hong-jin. Ce thriller crépusculaire, en salles ce mercredi 18 mars, confirme que, depuis une dizaine d’années, c’est du côté de la Corée que les films de genre se portent le mieux.
« The chaser », en anglais, c'est « le cavaleur ». C'est celui qui court après… mais aussi le coureur de jupons. Et les deux figures qui s’affrontent pendant près de deux heures de pellicule, dans une course-poursuite (presque) sans temps mort, répondent aux deux acceptions. A ceci près que le coureur de ces dames est également un chasseur, et que les filles de Jong-Hu sont ses proies. Jusqu’à ce qu’il soit lui-même chassé par le proxénète, salopard aussi replet qu’obstiné. Les deux hommes brûlent le pavé de la capitale sud-coréenne, alors que la lumière des lampadaires fait reluire le macadam moite, découvrant ici et là des tâches de sang répandues à chaque coin d’immeuble. Parce que le tueur, dont on connaît le visage rapidement, ne fait pas exactement dans la dentelle. Un marteau, une pelle, une corde… tout est bon pour faire saigner ses victimes, qu’elles lui servent à soulager ses pulsions sexuelles – mais ce n’est pas là que résident ni le suspens ni l’intérêt du film – ou, simplement, parce qu’elles le gênent. Et lorsqu’il se sent en danger, tel un animal dont l’instinct de survie se réveille, son appétit s’ouvre.
Donner ses lettres de noblesse au film de genre, tel semble le credo du cinéma coréen depuis une petite décennie. Le policier Memories of murder et le fantastique The Host de Bong Joon-ho, mais aussi l’insoutenable Old Boy de Park Chan-wook, le le western-nouilles sautées Le Bon, la brute et le cinglé de Kim Jee-woon sont les flambeaux – ou, du moins du côté de l’hexagone, le sommet de l’iceberg – d’un cinéma qui ne rime certes pas avec sobriété, mais qui ne renonce pas à une certaine subtilité. Pétris de références cinématographiques, ces films fonctionnent avant tout par leurs scénarios ficelés, portés par une mise en scène qui ne prend pas de détours pour montrer ce qui doit l’être et des comédiens très impliqués. Le réalisateur de The Chaser, Na Hong-jin, peut-être plus encore que ses compatriotes, s’enfonce dans la noirceur de ses personnages avec un plaisir coupable – et communicatif –, à la frontière de l’horreur, sans jamais sacrifier à la dimension sociale de son propos, portée par un humour corrosif. Celui-ci devient une arme pour flinguer, entre autres, la police coréenne, tournée au ridicule à chacune de ses apparitions, mais aussi les personnages, notamment le chasseur et le chassé, tour à tour objets de moquerie ou de dégoût.
Éprouvante, la lutte entre les deux hommes confine, à certains moments, au grotesque. Ce sont deux animaux en ruts, dont les intentions sont réduites à une binarité dramatiquement – au sens propre comme figuré – simple : tuer et survivre, pour l’un comme pour l’autre. Alors que leurs semelles dérapent sur le parvis des allées en pente de Séoul, que la crasse de la ville s’accroche sous leurs ongles salis par le sang et que la violence va crescendo, leur corps à corps ne peut que s’achever dans l’épuisement. Leur résistance, autant nerveuse que physique, est malmenée jusqu’au dernier souffle. En chemin, les cadavres s’amoncellent, et l’hémoglobine tapisse l’écran. Il n'y a plus de bon ni de méchant, surtout deux cinglés qui n’ont cure de la morale ronflante. Fasciné par les faits-divers, Na Hong-jin en offre une apothéose où chaque élément dramatique est poussé à bout. Paradoxalement, dans cette ambiance claustrée et anxiogène d’une noirceur sans pareille, il y a comme un courant d’air frais qui circule. Celui du plaisir de voir un long métrage qui certes ne révolutionne pas le genre, mais n'en perd pas pour autant sa propre identité ni son originalité. Il faut espérer que ce premier coup d'éclat sera confirmé par le prochain long métrage de Na Hong-Jin, poétiquement intitulé The murderer, dont la traduction est sans équivoque : « le tueur ».
Le cinéma américain à la sauce aigre-douce |
Alors que le cinéma nord-coréen n’a presque plus droit de cité (deux films produits en 2006), si ce n’est pour nourrir la dictature, la nouvelle vague du cinéma sud-coréen, surnommée « Hallyu », est une mine d’or pour Hollywood. Si Alexandre Aja a déjà signé un remake d’Into the mirrors avec Kiefer Sutherland (Mirrors, sorti en salles en septembre 2008), d’autres projets traversent le Pacifique depuis quelques temps. Il en va ainsi d’Old Boy de Park Chan-wook, (Grand Prix du Jury au Festival de Cannes 2008), repris par Steven Spielberg avec… Will Smith dans le rôle principal, et de The Host de Bong Joon-ho, plus grand succès commercial de tous les temps en Corée, qui fait actuellement l’objet d’un remake par Gore Verbinski, spécialiste américain ès blockbusters. Quant aux droits de The Chaser, ils ont déjà été cédés à Warner Bros, qui a confié le rôle principal du remake à Leonardo DiCaprio. Et l’on se souvient de la prestation de celui-ci dans le dernier Martin Scorsese, Les Infiltrés, remake du film Infernal Affairs, de nationalité… hongkongaise. |