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Rétrospective

Marc Riboud, «L’instinct de l’instant»

par Bartholomé Girard

Article publié le 31/03/2009 Dernière mise à jour le 01/04/2009 à 15:34 TU

Le Musée de la Vie romantique de Paris offre, jusqu’au 26 juillet, une rétrospective de l’œuvre de Marc Riboud, avec de nombreux vintages et inédits, intitulée « L’instinct de l’instant ».

On avance à tâtons dans la rue Chaptal, à Paris, jusqu’à voir une affiche. Un ouvrier est suspendu au-dessus de la capitale, dressant son pinceau pour redorer le blason national. Mais ce n’est pas l’original. Pas le célèbre Peintre de la tour Eiffel que l’on connaît, celui qui semble danser à quelques dizaines de mètres au-dessus du sol, accroché sans fil aux arcanes métalliques du monument parisien. Sur ce cliché inédit, le pinceau est posé sur le fer, l’ouvrier est tout à sa tâche.

Maternité, Calcutta, 1971© Marc Riboud

Maternité, Calcutta, 1971
© Marc Riboud

Prise avant ou après la célèbre photographie de Marc Riboud, cette variation est tout aussi révélatrice du « compas dans l’œil » – dixit Henri Cartier-Bresson – qu’a son auteur, et du sens inouï de celui-ci pour saisir un instant. Jusqu’à en devenir un « instinct », comme l’annonce le titre de l’exposition qui lui est consacrée.

On aperçoit quelques roses et lilas au fond de l’impasse. En allant à leur rencontre, une porte sur la gauche : l’entrée du musée, où sont exposés quelque 110 clichés de Marc Riboud, dont bon nombre sont des vintages – tirages originaux, contemporains à la prise de vue –, superbe mémoire visuelle de cinquante ans de travail frénétique. Comme son nom l’indique, le petit musée du IXème arrondissement de la capitale est surtout réputé pour ses expositions consacrées au mouvement romantique. Mais les noir et blanc de Riboud ne jurent pas avec le cadre passéiste du lieu, en retrait du mouvement parisien. Ils forment une histoire, à leur façon. Ainsi l’écrit Jean Lacouture, journaliste et ami du photographe, dans le catalogue de l’exposition : « Cet homme n’était pas là pour découper le monde en tranches saignantes, pour provoquer, de photo en photo, tel ces « chocs » qui bouleversent et attirent le chaland. Chacun d’entre nous, compagnon d’un instant ou d’une semaine, savait que Marc n’avait en tête, et au cœur, que la découverte et le déchiffrement des signes de l’unité du monde ».

Avec humour – un chat qui pose son coussinet sur le doigt d’un homme levé dans Rue Mouffetard (1952), le regard interloqué d’un homme devant une robe moulée sur un postérieur généreux dans Derrière d’une femme (Cuba, 1963), Picasso surpris par l’objectif dans Pablo Picasso  (Saint-Tropez, 1957), la main baladeuse d’un infirme sur une statue dans Un aveugle au Louvre (1997) – et tendresse, l’ancien directeur de l’agence Magnum multiplie les prises et ne laisse rien échapper.

Indonésienne avec son tamis [inédit] Indonésie, 1956© Marc Riboud

Indonésienne avec son tamis [inédit] Indonésie, 1956
© Marc Riboud

Le souci de la structure est au premier rang des qualités esthétiques du travail de Marc Riboud, en témoignent les courbes et les droites qui rythment ses compositions. Il lui faut attendre le moment exacte où une main, un visage, une jambe se logent pour former un tableau dont les éléments se suivent, se répondent, se prolongent. Dans Musée du Prado (Madrid, 1988), la tête du visiteur doit cacher le sexe féminin d’un tableau d’Albrecht Dürer ; dans Fenêtres d’antiquaire (Pékin, 1965), chaque passant trouve sa place dans les carreaux d’une vitre ; dans Japonaises et jeux de mains (Tokyo, 1958), les mains des mannequins et d’une Japonaise se confondent. Riboud décrypte des harmonies géométriques que l’on ne soupçonne pas.

L’exposition met en perspective, en groupant les clichés par thème – personnalités politiques, famille, actrices – ou par pays ce leitmotiv de la géométrie, sans que celle-ci ne se répète. La diversité des sujets et des angles de vue tracent, au fil des cadres suspendus sans les trois salles aux murs sombres qui lui sont réservées, une production toujours plus foisonnante et riche, dont la moitié présentée ici sont des vintages que le photographe a récupérés récemment ! Sillonnant les routes d’Asie, Afrique ou Amérique du Nord, bon nombre des photographies de Marc Riboud ont en effet été dispersées dans différentes agences de presse, qui aujourd’hui les restituent à leur auteur. Certaines avaient été oubliées par celui-ci. Ironiquement, L’instinct de l’instant contient donc une part d’inédit… autant pour le public que pour le photographe !