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Théâtre

Molière à la fête à Malakoff

par Elisabeth Bouvet

Article publié le 01/04/2009 Dernière mise à jour le 01/04/2009 à 15:37 TU

Deux années déjà que la troupe du Théâtre National Populaire de Villeurbanne tourne dans toute la France avec dans ses bagages 5 comédies de Molière, l’intitulé de cet ensemble de courtes pièces qui sont en fait des œuvres « préparatoires » que l’auteur français a écrites entre 1658 et 1661, autrement dit avant les Tartuffe, Avare, Fourberies de Scapin, Malade imaginaire, Misanthrope et autres Dom Juan, ses pièces les plus jouées. A l’affiche donc (en alternance ou réunies) du Théâtre 71 de Malakoff jusqu’au 10 avril : Sganarelle ou le cocu imaginaire, L’école des maris, La jalousie du barbouillé, Le médecin volant et Les précieuses ridicules pour un festival absolument réjouissant. Un vrai régal dont le mérite revient aussi et surtout aux dix acteurs, prodigieux, et à une mise en scène, aussi inventive qu’amusante.

« On ne comprend rien mais c’est marrant ». Ce commentaire hilare d’un élève de 6e résume on ne peut mieux l’ambiance qui règne durant les représentations des comédies de Molière, d’autant qu’il faudrait, en plus, pouvoir imaginer le rire, assez irrésistible, de celle qui fut durant toute la soirée notre voisine et qui, sans vouloir la froisser, a quitté le collège il y a belle lurette. Et c’est vrai que la grande salle où se donnent les pièces a des airs de fête au village. Le choix des tréteaux, avec devant ses faux candélabres pour éclairer la scène surélevée et derrière, en transparence, les « loges » elles aussi démontables, renforce cette impression.

Olivier borle et Clémentine Verdier dans « <em>Le Medecin volant</em> » de Molière, mise en scène Christian Schiaretti.(Photo : Christian Ganet)

Olivier borle et Clémentine Verdier dans « Le Medecin volant » de Molière, mise en scène Christian Schiaretti.
(Photo : Christian Ganet)

« A la manière de »… Ainsi vont donc se jouer les 5 comédies de Molière (1622-1673) comme elles se montaient à l’époque où leur auteur, de retour d’une longue tournée en province (plus de dix ans), les fit représenter à Paris. Façon de rappeler qu’à la fin des années 1650, l’auteur, acteur et chef de troupe qu’est Jean-Baptiste Poquelin n’est pas encore le Molière qui fait rire à gorge déployée jusqu’à la cour du Roi Louis XIV. Ses textes ne sont encore que des ébauches, des esquisses des pièces qui feront bientôt se gondoler les plus grands du Royaume.

Pour preuve, cette comédie intitulée Sganarelle ou le cocu imaginaire qui voit donc l’apparition du personnage du valet futé et madré qui s’épanouira dans plusieurs œuvres à venir dont Le médecin malgré lui, Le misanthrope (sous le nom d’Alceste) ou encore Dom Juan. La jalousie du barbouillé, quant à elle, dessine ces rôles que l’on reverra plus tard de vieux barbon maladivement possessif tel que stigmatisé dans L’école des femmes. Il faudrait encore évoquer ces médecins, faux doctes et vrais bavards, qui irrigueront régulièrement le théâtre de Molière. De ce point de vue, celui qui du haut de sa science et de sa suffisance agace les protagonistes de La jalousie du barbouillé n’a rien à envier à la cohorte d’hommes en noir qui lui succéderont.

Remarque qui vaut également pour la langue. Loin d’être un brouillon, ces 5 comédies font au contraire entendre un français de toute beauté, pétri de bons mots délicieux et de trouvailles savoureuses. Voire de non sens absolument divins. Toutes les vertus comiques de Molière sont déjà là : dans le texte, dans la succession incessante de quiproquos grotesques, tours de passe-passe invraisemblables, supercheries grossières et autres courses effrénées (et que vient renforcer le choix du décor unique avec caches multiples et entrées ou sorties diverses et variées) et bien sûr dans le jeu des comédiens. Et là, chapeau bas : ils sont 10, 10 à se vautrer dans la farce et dans l’excès avec un bonheur contagieux. 

Le mot « jouer » tourne à plein régime et il n’est pas étonnant qu’avec pareille démonstration, les spectateurs, qu’ils comprennent ou pas complètement ce qui se trame, se laissent prendre au… jeu. Ajoutez à cela une mise en scène qui n’hésite pas à faire des clins d’œil à Charlot ou au Cid de Corneille ni à faire participer la salle, et vous aurez une idée du plaisir immense que l’on peut ressentir à écouter ce bon vieux Molière se démener avec l’énergie et l’humour des indémodables. D'ailleurs quand, à la vue d'un (faux) derrière promptement tendu, la classe lance un « no comment » aussi embarrassé que pudibond, on se dit que Molière ne porte décidément pas ses plus de trois cents ans.   

(Photo : Danielle Birck/ RFI)

(Photo : Danielle Birck/ RFI)

A noter qu'à partir du 15 avril, les 5 comédies de Molière reprendront leur tournée dans tout l'Hexagone. Sur leur feuille de route : Mâcon, Narbonne, Sète, Draguignan, Alès et enfin Marseille du 26 mai au 6 juin au théâtre du Gymnase.