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Retrouvailles parisiennes pour William Blake

par Elisabeth Bouvet

Article publié le 21/04/2009 Dernière mise à jour le 21/04/2009 à 08:55 TU

Depuis 1947, William Blake (1757-1827) n’avait pas fait reparler de lui à Paris. L’exposition qui se tient jusqu’au 28 juin au Petit Palais permet donc de renouer avec celui qui est considéré comme le père du néo-gothique et qui, aujourd’hui encore, inspire de nombreux artistes. William Blake, le génie visionnaire du romantisme anglais - le titre de cette rétrospective - réunit quelque 170 œuvres dont évidemment nombre de ses dessins et gravures. L’occasion de s’immerger dans l’univers fantasque et fiévreux de cet artiste considéré de son vivant comme un « mad man » (« un fou »).

L’Europe, prophétie : L’Ancêtre des jours
Frontispice - 1794
Eau-forte en relief imprimée en bleu,
230 x 166 mm
Université de Manchester© 2006 Whitworth Art Gallery

L’Europe, prophétie : L’Ancêtre des jours Frontispice - 1794 Eau-forte en relief imprimée en bleu, 230 x 166 mm Université de Manchester
© 2006 Whitworth Art Gallery

Des enfants - outre-Manche, les comptines de William Blake telles que Le tigre ou La chanson de la nourrice s’apprennent à l’école - à Jim Jarmush, le réalisateur, et Patti Smith, la chanteuse, sans oublier les symbolistes et surtout les surréalistes qui, les derniers en France, lui ont consacré une exposition (c'était en 1947)... Le poète anglais est célébré par tous. Ses vers charrient un souffle, une puissance, une musicalité qui  deux siècles après la disparition de leur auteur continuent de rencontrer un écho. Si cette dimension littéraire n’est évidemment pas absente de l’exposition (parsemée de citations qui se lisent quasiment comme des prophéties), l’accent est surtout mis sur l’œuvre graphique de William Blake. Non moins ardente. Sa formation, ses inspirations… La rétrospective évoque les influences qui ne cesseront de traverser son travail, jusqu’à sa mort.

Son style néo-gothique, il l’acquiert durant ses années d’apprentissage quand son maître, le graveur James Basire, l’envoie « se faire la main » sur les tombes royales à caractère médiéval de l’abbaye de Westminster. Nourri, par ailleurs, d’une culture qui emprunte tant à la Bible qu’à la mythologie et à la poésie d’un Milton ou d’un Dante, William Blake revisitera sans cesse les pages les plus héroïques, les plus emblématiques de ces textes-là pour en livrer une vision toute personnelle, et encore aujourd’hui, extrêmement mystérieuse. Car s’il livre, dans d’infimes détails plus ou moins dissimulés, des clés pour comprendre son monde, ce dernier demeure souvent complexe : « On sait que très jeune, William Blake a eu des hallucinations d’ordre religieux, qui enrichies de sa profonde connaissance des grands écrivains gréco-romains, a développé une mythologie qui n’appartient qu’à lui », explique Daniel Marchesseau, directeur du musée de la Vie Romantique et co-commissaire de l’exposition.

Une mythologie si puissante, si exclusive presque, que pour illustrer ses propres textes, il expérimentera toutes sortes de techniques dont une méthode d’eau-forte en relief qu’il appelle « impression illuminée », et qui n’est pas sans rappeler le style des miniatures médiévales. Un peu plus tard, il tentera de ressusciter la fresque de la Renaissance en inventant un système qu’il baptise « fresque portative » et qui lui aura permis de réaliser quelques-unes de ses plus célèbres estampes dont La Pitié (1795, probablement inspirée par Macbeth de Shakespeare) qui n’a été imprimée que trois fois et que l’on peut voir au Petit Palais. Ces estampes qui n’étaient accompagnées d’aucun texte sont parmi celles qui ont le plus sidéré, fasciné, ébloui les Surréalistes.  

La Pitié, 1795. Estampe en couleurs rehaussée à l’aquarelle. 425 x 539 mm© Tate, London 2008

La Pitié, 1795. Estampe en couleurs rehaussée à l’aquarelle. 425 x 539 mm
© Tate, London 2008

Quand on sait l’isolement qui était le sien, soutenu par un seul mécène et quelques rares poètes exaltés comme lui, on reste sidéré devant le travail effectué puisque pour permettre l’impression et de ses poèmes et de ses dessins, il lui fallait donc dessiner et écrire à l’envers. Autant dire que la contemplation de ses Chants d’Innocence ou de son Mariage du Ciel et de l’Enfer a quelque chose de vertigineux. L’origine de cette force est peut-être aussi à mettre sur le compte du contexte social et politique de l’époque. Car la singularité de William Blake trouve un extraordinaire écho dans les bouleversements d’une violence inouïe qui marquent cette fin de XVIIIe siècle. « Ses poèmes qui sont de véritables harangues disent sa vision du monde, révolutionnaire et si peu académique. Il adhère aux idées libérales qui ont cours, notamment contre le régime royaliste autocrate de George III. Il est certes dans son monde mais il est également le témoin de son temps », souligne Daniel Marchesseau. Et lui le mystique voit même le divin partout. Ainsi de ses illustrations, entre autres, du Paradis qui ont des faux airs de campagne terrestre.

Précision, beauté, force du dessin, couleurs flamboyantes… Le mysticisme de William Blake brûle littéralement le support, offrant une vision assez terrifiante et étouffante qui témoigne certes d’une sensibilité gothique mais aussi d’un goût évident pour le surnaturel comme le prouve la présence d’animaux et de personnages étranges et inquiétants dans ses illustrations. Et c’est probablement cette inquiétude-là, cette familiarité avec le monde immatériel qui l’apparente à ces génies rebelles - de la trempe d’un Lautréamont ou d’un Rimbaud - dont les visions nous coupent littéralement le souffle. 

Les Chants d’Innocence
Frontispice et page de titre - 1789
eau-forte en relief et aquarelle
144 x 204 mm© The Wormsley Library, Grande Bretagne

Les Chants d’Innocence Frontispice et page de titre - 1789 eau-forte en relief et aquarelle 144 x 204 mm
© The Wormsley Library, Grande Bretagne