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Musée

De l’ombre à la lumière : Magritte a son musée

par Elisabeth Bouvet

Article publié le 27/07/2009 Dernière mise à jour le 31/07/2009 à 13:49 TU

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René Magritte (1898-1967) avait sa maison, à la périphérie de Bruxelles, il a désormais son musée, au cœur même de la capitale à deux pas des musées royaux des beaux-arts de Belgique. C’est d’ailleurs parce que ces derniers possédaient une importante collection d’œuvres du peintre surréaliste que l’idée de lui offrir un écrin est née. Quarante deux ans après sa mort, l’homme au chapeau melon reçoit donc comme à domicile, au milieu de ses lettres, photographies, sculptures et, bien sûr, de ses peintures. Toutes ses peintures, sans exception. Visite guidée en compagnie de Michel Draguet, le directeur de ce « Musée Magritte Museum », selon la formule consacrée.

Magritte, argument touristique ou symbole d’une identité belge, par ailleurs malmenée ? Toujours est-il que quand ce n’est pas la silhouette de l’homme au chapeau melon qui s’affiche sur les devantures de certaines bonnes adresses bruxelloises, ce sont ses pommes vertes qui se mirent dans les vitrines ou ses fameux oiseaux-nuages qui prennent leur envol sur le Thalys, sur des pyjamas, des oreillers… Bref depuis le 2 juin, tous les chemins mènent au tout nouveau Musée Magritte Museum - bilinguisme local oblige. 

Magritte vu de l’intérieur

C’est tellement vrai qu’une fois franchies les portes de la nouvelle attraction culturelle (en plus, non loin de Bruxelles, du musée Hergé inauguré lui aussi le 2 juin), il y a foule. Matin, après-midi, quelle que soit l’heure, on se bouscule pour découvrir ce joyau de royale facture. Pour qui se souvient avoir visité les sous-sols des musées royaux des beaux-arts de Belgique pour voir quelques-unes des toiles majeures de Magritte accrochées sur des cimaises tendance moutarde, la métamorphose est saisissante. Et fait oublier les quatre décennies qui se sont écoulées avant que pareil miracle ne se produise.

(Photo : Elisabeth Bouvet/ RFI)

(Photo : Elisabeth Bouvet/ RFI)

Le maître des lieux nous accueille, les yeux fermés : au niveau supérieur (puisqu’ici, on va de haut en bas, du troisième au premier étage), un portrait photographique immense de René Magritte, chapeau bas et paupières baissées, du type de ceux que l’on réalise dans les photomatons : «  Il y a un leitmotiv dans l’œuvre de Magritte, c’est le mystère. Et le mystère, reprend Michel Draguet, est chez lui une manière d’envisager les choses dans un monde qui est celui de l’intérieur. D’où le choix de cette photographie. Ce qu’il voit à l’intérieur de lui-même, c’est ce que vous allez découvrir dans les salles du musée ». D’où le choix (combiné à une nécessité technique : le palais ayant plus de fenêtres que de murs, il a été décidé d’habiller les murs d’une seconde peau) également d’une pénombre pour englober les quelque 200 tableaux et dessins, la cinquantaine de photographies d’époque, la quinzaine d’objets étranges et la centaine de documents d’archives, papiers et sonores, qui constituent le fond du musée.

Susciter des questions, des tensions

C’est donc dans une semi-obscurité que le visiteur est invité à se mouvoir, les huiles de Magritte se voulant finalement les fenêtres vers son monde imaginaire, volontairement livré sans les clés. Là encore pour rester fidèle en quelque sorte à Magritte lui-même qui, rappelle Michel Draguet, considérait que « le savoir se trouvait moins dans les réponses que dans les questions ». A l’image de sa peinture que notre cicérone qualifie de « problématologique ». Aux explications, on a donc préféré les pistes, les indices, les citations, les tensions même suscitées par le rapprochement cacophonique, antinomique entre une déclaration de Magritte et un de ses tableaux. De fait, lire sous la plume du peintre surréaliste « Le progrès est une idée saugrenue » laisse songeur. Et chacune ou presque des citations de l’artiste provoque ainsi une sensation de décalage, et en tout cas, entraîne un sentiment d’incertitude.

© Adagp 2009

© Adagp 2009


Impression de désorientation mais scénographie dument pensée et même didactique. Trois étages, trois niveaux de lecture que le directeur du musée résume par ses trois mots : « l’œuvre, la vie et la pensée ». Concrètement, les peintures ont donc installées sur des cimaises centrales, « ce qui évite toute pollution du regard » ; autour, dans des vitrines, les documents plus biographiques, les films racontent le couple, les amis car « c’est flagrant, la notion de bande est importante » ; enfin sur les murs, des citations qui provoquent interrogations et nous plongent au cœur des réflexions de Magritte. Voilà du moins pour les deux premières salles qui couvrent, l’une, la période allant de 1918 (sa première affiche) à 1930 (son retour de France, sur un échec), et l’autre les dix huit années qui courent de 1930 (reconstitution du groupe surréaliste belge) à 1948 (son engagement communiste, sa période dite « vache » et ses débuts aux Etats-Unis, d’où viendra en 1965 la reconnaissance). Et si la chronologie s’arrête pratiquement vingt ans avant la mort de l’artiste, c’est, explique Michel Draguet, parce que « son imaginaire est planté, tous les thèmes de Magritte sont là ».

Pérenne et éphémère à la fois  

"L'Empire des lumières" (1954).© Adagp 2009

"L'Empire des lumières" (1954).
© Adagp 2009

Quant au dernier espace qui s’articule autour de deux salles entièrement consacrées aux huiles, elle renvoie à cette idée de démultiplication si chère à l’artiste. En clair, « les œuvres se regardent les unes les autres pour composer ce domaine enchanté qui constitue le mystère ‘magrittien’ ». C’est là, par exemple, que le visiteur peut voir les deux versions, horizontale et verticale, de L’Empire des lumières, dans une approche « plus hédoniste puisque les œuvres jouent les unes avec les autres, tout en invitant le public à se demander ‘Pourquoi l’homme au chapeau melon, pourquoi le jour et la nuit, pourquoi cette réflexion sur l’absence du poids de la pierre, pourquoi ce regard porté sur l’animal’, tous ces thèmes que l’on retrouve déployés chez Magritte ». Il faudrait encore ajouter la salle de projection et, last but not least, la boutique conçue comme un élément du parcours à part entière.

« J’appartiens à une génération qui a beaucoup vécu dans les expositions temporaires, d’où l’idée d’un musée Magritte éphémère et donc vivant ». D’ici un an, Michel Draguet  déplacera donc des œuvres, en remplacera même certaines (notamment les tableaux qui ont été prêtés) pour « déplacer les angles de vue sur le travail de Magritte ». D’autant, ajoute notre hôte, que « plus une œuvre est connue, plus elle mérite d’être redécouverte ». Et de conclure, « si le musée a la pérennité, il n’a pas pour autant la pérennité du savoir. C’est pourquoi, j’ai voulu introduire des éléments extérieurs qui vont modifier la vision du visiteur ».

Une manière enfin de faire coïncider en quelque sorte la forme avec le fond quand on sait que Magritte n’eut jamais d’atelier, « son atelier était dans sa tête ». C’est donc à une forme de voyage non pas tant intellectuel (Magritte n’appartenait à aucune élite) qu’imaginaire ou poétique (« Magritte est un poète qui fait de la poésie avec des images ») que le visiteur est convié : une sorte de jeu de déconstruction en aveugle.