par Elisabeth Bouvet
Article publié le 15/09/2009 Dernière mise à jour le 15/09/2009 à 16:28 TU
A quoi reconnait-on un film anglais ? A son réalisme brut de décoffrage. De ce point de vue, Fish Tank décline son identité sans l’ombre d’un doute ni même d’une hésitation, se plaçant dans le lignage des films sociaux de Ken Loach et de Mike Leigh, les plus grands représentants de cette veine sans fard ni concessions. Et c'est bien ainsi que nous est livré le portrait bosselé de Mia, l’héroïne de Fish Tank, même si ce parti-pris n'empêche pas sa réalisatrice Andrea Arnold de zébrer son film de belles fugurances mi-poétiques mi fantastiques. Histoire d’aérer aussi une histoire qui ne cesse de retenir son souffle, à la manière de Rosetta des frères Dardenne.
Ce que l’on perçoit d’elle, c’est d’abord sa respiration, cette respiration qui sera tout au long du film notre maître-étalon et nous éclairera sur les états d’âme de Mia, la jeune fille de 15 ans dont le mal être affleure sous la tenue de jogging informe qui la protège et la coupe tout à la fois de l’extérieur. Son armure en quelque sorte, et sa capuche, son heaume. Quand notre « guerrière » surgit, d’une foulée que rien ne saurait détourner de son chemin, elle s’est mise en tête de sauver un malheureux canasson blanc attaché dans un terrain vague, propriété privée d’une bande pas forcément recommandable. Qu’à cela ne tienne, sa nature que l’on devine rebelle et casse cou n’entend pas renoncer pour si peu.
Du reste, pourquoi devrait-elle se ménager, elle qui à la maison - un minable appartement dans une HLM d’une triste banlieue où le modèle dominant reste le petit écran et où les gamines de 14 ans ressemblent déjà à des vieilles à force de grimage et de maquillage – s’entend dire, par la voix de sa propre mère, qu’elle est née par accident étant entendu que celle-ci avait d’abord pensé avorter. Toute (trop) occupée à ne pas « finir » seule avec ses deux gamines - Mia a en effet une demi-sœur aussi mal embouchée que leur mère -, sa génitrice multiplie les amants et les beuveries, faisant du home sweet home tout sauf un havre de paix, une cellule familiale.
Electron libre, Mia a toutefois un secret : la danse, façon break dance, qu’elle pratique en cachette dans une espèce de studio abandonné et dont elle possède seule la clé. Un miroir sur un mur (pour corriger ses mouvements), une grande baie vitrée de l’autre (pour rêver) : les deux pôles de cet âge tiraillé entre le repli sur soi et le désir éperdu de fuir. Jusqu’au jour où elle s’entiche du nouvel amant de sa mère, Connor, dont l’arrivée dans l’appartement va la jeter dans un émoi qui participe des plus beaux moments du film quand la caméra d’Andrea Arnold se fait les yeux, le cœur, la peau de son héroïne dont les palpitations occupent subitement tout l’espace sonore. Le trouble de la jeune fille, l’ambiguïté de ce nouvel ami sont tels que tous deux vont commettre l’irréparable. Et triplement même. Car si l’on se gardera bien de révéler ce moment-clé du film, on peut sans dommages raconter que cette éducation sentimentale entre deux bières va l'amener à quitter cet état incertain entre enfance et âge adulte où elle se débattait et à prendre son destin en main.
Sans se retourner, sans larmoyer, au contraire de sa mère définitivement inconsolable, comme en témoigne cette scène, l’une des dernières du film, où l’on voit Mia danser un slow avec sa mère sur un tube que cette dernière adore, littéralement portée, bercée par sa fille. En même temps qu’elle abandonne son survêtement, Mia la presque mutique (et la formidable Katie Jarvie, très physique dans ce premier rôle au cinéma) est capable d’esquisser un semblant d’échange avec sa mère et sa petite sœur, sans en venir immédiatement aux gros mots, aux insultes, aux reproches. Elle a trouvé son rythme, et c’est le souffle long qu’elle peut partir au bras d’un de ses amis, destination le Pays de Galle. Comme le petit Doisnel des 400 coups de Truffaut courait vers la mer, vers la liberté à perdre haleine.