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Visa pour l’Image 2009

Perpignan et le paradoxe du photojournalisme

par Emmanuelle Klotz

Article publié le 30/08/2009 Dernière mise à jour le 05/09/2009 à 18:46 TU

Jean-François Leroy, fondateur et directeur du festival Visa pour l'Image. (Photo : RFI)

Jean-François Leroy, fondateur et directeur du festival Visa pour l'Image.
(Photo : RFI)

Le succès des expositions photos du festival Visa pour l’Image témoigne de l’engouement du public pour la photographie de reportages. Une discipline du journalisme qui tend à disparaître des pages de magazines et des journaux, désormais «aux mains des banquiers», comme l’affirme Jean-François Leroy, directeur de Visa pour l’Image.

RFI : Les expositons, les rencontres et les projections ont commencé hier. Alors bien sûr ce festival c'est l'occasion de parler du photojournalisme et de la photo de presse... Et ça peut sembler paradoxal dans un monde où la photo est partout, où l'on est cernés d'images, mais la photo de presse est très clairement en crise.

L'affiche du festival Visa pour l'Image 2009.DR

L'affiche du festival Visa pour l'Image 2009.
DR

Jean-François Leroy : Je pense que ce n’est pas la photo de presse qui est en crise, c’est la presse elle-même. Le photojournalisme de qualité il existe, et Perpignan en est la preuve éblouissante. Le problème que les photographes de presse rencontrent est que cette production de qualité n’intéresse plus les magazines, malheureusement.

RFI :  Est-ce que ce n'est pas un peu une question de moyens? On le sait, la presse est en crise financière, la presse a des problèmes d'argent ?

J-F. L
. : Il faut arrêter les bêtises. Les magazines disent qu’ils n’ont plus d’argent mais quand ils veulent une exclusivité sur Mme Bruni-Sarkozy, quand ils veulent payer une star quelconque qu’ils doivent payer très cher pour la photo, ils ont de l’argent ! Il y a des sujets people qu’ils achètent à un budget qui permettrait d’envoyer 12 photographes au Darfour ou en Tchétchénie.

RFI : Une des innovations qui a totalement changé la donne dans ce domaine c'est internet, est-ce que selon vous internet a joué un rôle dans cette crise de la photo de presse?

J-F. L. : C’est certain qu'Internet est un outil irremplaçable et nécessaire pour promouvoir son travail, le faire connaître et le montrer. Là où c’est un peu dangereux c’est que sur Internet, tout le monde s’est habitué que tout soit gratuit. Et un photographe, comme un journaliste d'ailleurs, doit quand même gagner un peu d’argent pour pouvoir continuer à travailler, continuer à produire mais ça, on a l’impression que personne ne s’en rend compte.

RFI : C'est vrai qu'avec l'avènement de la photographie numérique, les appareils performants, la technologie permet à chacun de prendre des photos, et...

J-F. L. : Attendez, la technologie permet de prendre des photos et les stylos permettent d’écrire... Mais ce n’est pas parce que vous avez le meilleur stylo du monde que vous êtes Marcel Proust et ce n’est pas parce que vous avez le meilleur appareil photo du monde que vous êtes Henri-Cartier Bresson! J’ai l’habitude de dire qu’il y a de plus en plus de gens qui font de la photographie et de moins en moins de photographes.

RFI : On sent que vous êtes en colère face à cette crise. Qui mettez-vous en cause? Qui décide (ou ne décide pas en l'occurrence) d'acheter ces photos et de faire vivre la photo de presse ?

J-F. L. : Quand j’ai créé Visa pour l’Image en 1989, la presse était aux mains de journalistes. Aujourd’hui, la presse est aux mains de banquiers. Les banquiers, hé bien, … Ils comptent. Ils comptent et ils regardent la rentabilité immédiate. Qui sont ces gens pour me dire ce que je dois lire, ce que je dois manger, ce que je dois écouter, ce que je dois regarder ! En tant que citoyen, j’ai droit à une information de qualité. Et l’information de qualité a un coût, on le sait, c’est pour cela qu’une entreprise de presse ne devrait pas être dirigée par des gens qui ne font que du marketing !

RFI : A Visa pour l'Image on le voit il y a encore des gens qui font de grands reportages . Comment vit un photographe de presse aujourd'hui?

J-F. L. : Un photographe de presse, malheureusement, vit mal de ses photos. Cette année, j’ai invité un jeune photographe italien, Massimo Berruti, à exposer à Visa pour l’Image. Son travail est absolument éblouissant. Il a fait un travail au Pakistan sur les avocats qui réclamaient la réintégration du juge de la Cour suprême que Musharraf avait viré. Massimo Berruti a fait un travail extraordinaire. Il a été trois fois au Pakistan. Il rentre et il montre son travail. Tout le monde lui dit «c’est extraordinaire ! Qu’est-ce que c’est beau ! Mais ça n’intéresse pas nos lecteurs». Je suis en colère : lorsque je vois le monde qui se presse dans les expositions à Perpignan pour voir les photos que la presse n’accepte plus ! Ca n’est plus censé les intéresser ? C’est tout de même paradoxal ?

RFI : Alors quel est l'avenir pour ces photos ? Il y a beaucoup de galeries, d'expositions où on peut voir des photos... Est-ce qu'on peut imaginer un autre modèle, un autre débouché?

J-F. L. : Le modèle idéal, je ne l’ai pas, sinon on l’aurait déjà mis en place. Les galeries sont une autre forme de débouché pour un photographe. Mais les photographes auxquels je m’intéresse, il y a tout de même des images réelles, dures. Un photographe qui expose des photos de guerre dans une galerie, ça me gêne un peu car il y a un côté obscène de le mettre en vente et un côté pervers de l’acheter. Le type qui achète un môme en train de crever de faim au Darfour parce que cela va bien avec le canapé de son salon, je trouve cela dégueulasse. Je ne sais pas si c’est une formule viable. Cela me déplait. La plus belle récompense d’un photographe… c’est d’avoir une belle double page dans un beau magazine. Les photographes sont contents de montrer leurs travaux à Perpignan mais ce n’est pas assez de dire qu’on aime leurs photos, il faut que les media les achètent et les publient !

© Zalmaï.