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03/03/2006 | |||
La France lheure de la francophonie culturelle Saisir du franais pour limprgner de sa singularit ! | |||
(MFI) Ecrivain, pote, essayiste de talent, Daniel Maximin (1) est responsable du volet littraire du festival francophone en France qui se droulera de mars octobre 2006 sur lensemble du territoire franais. MFI lui a demand dexpliquer les enjeux et les objectifs de ce festival baptis francofffonies ! Entretien. | |||
MFI : Nest-il pas un peu paradoxal davoir besoin dorganiser une manifestation en France pour faire connatre des cultures qui sexpriment en franais ? Daniel Maximin : Les Franais ne connaissent pas trs bien les ralits culturelles francophones et les associent, pour beaucoup, la colonisation. Conscient de ce foss, le Prsident Chirac a eu coeur de sensibiliser ses compatriotes au dynamisme des cultures francophones dans le monde, qui se sont essaimes aprs la colonisation, se nourrissant dinfluences trs diverses. Les 2000 reprsentants des cultures francophones invits se produire sur tout le territoire franais tout au long de la saison 2006, permettront justement, nous lesprons, de leur faire prendre conscience de la trs riche ralit des expressions artistiques francophones, fruit dun mtissage constant entre les ples culturels contemporains les plus fconds. En tant quhomme de culture tes-vous content que lon mette enfin en avant la dimension culturelle de la francophonie plutt que sa dimension politique, ce qui a t le cas jusquici ? Je suis dautant plus satisfait que la francophonie a dabord t culturelle, littraire, potique. Lide francophone est vritablement ne dans les annes daprs-guerre lorsque Damas et Senghor ont fait paratre coup sur coup deux anthologies de posies dexpression franaise (2) runissant des auteurs dAfrique, dIndochine et des Antilles. Ces anthologies qui manifestaient une foi inbranlable dans la langue et dans la culture comme vecteurs de libration, ont fond la francophonie, longtemps avant lmergence dune francophonie politique et institutionnelle. Quon le veuille ou non, cest la culture qui est la vritable lgitimation de la francophonie. Car la francophonie nest pas seulement une langue, mais aussi et peut-tre avant tout une tradition qui puise ses racines dans la rsistance identitaire aux imprialismes que ses crivains ont incarne travers lhistoire et dans la solidarit que la Francophonie a rendu possible au-del des ethnies, des continents. Je pense la littrature hatienne qui a demble parl pour le monde. Je pense aussi au premier Congrs des crivains et des artistes noirs qui sest tenu Paris en 1956 et dont on clbre cette anne le cinquantime anniversaire. Ce congrs fut une tape importante sur le chemin de la dcolonisation. Le jeune francophone daujourdhui, quil soit franais ou guadeloupen, est hritier de toute cette tradition anti-impriale, comme il lest de la tradition des Lumires. Vous avez raison de rappeler le rle important jou par les crivains et les potes dans la construction de la francophonie. Pourtant les crivains daujourdhui ne partagent pas tous votre enthousiasme, notamment aux Antilles o le franais a t souvent peru comme une langue impriale et alinante. La Francophonie est une dimension indlbile des Antilles. Elle fait partie de notre vcu. Depuis trois sicles, nous les Antillais, nous combattons limprialisme de la France sans pour autant rejeter sa langue ou sa culture qui sont constitutifs de ce que nous sommes. Quant aux crivains antillais qui ont limpression de vivre dans un pays domin, je leur rappellerai que le combat pour se librer du carcan de la langue est organique au travail de tout crivain, quil crive dans sa langue maternelle ou dans une langue coloniale. Il nest pas vrai non plus quil soit plus facile pour un anglophone ou pour un hispanophone dexprimer sa singularit travers leurs langues demprunt. Il suffit pour cela daller voir de prs le travail dun Walcott ou dun Asturias. Pourtant les crivains antillais ne sont pas les seuls se mfier de la francophonie. Les Africains aussi sen mfient. Ils sen mfient car ils croient que la Francophonie vhicule un projet imprial qui consisterait aliner lcrivain du Sud. Il me semble au contraire que lmergence des Francophonies, des Hispanophonies, des Arabophonies, des Russophonies, des Hindiphonies vont dans le sens de laffirmation de la diversit culturelle de la plante. Par ailleurs, jai limpression que lalination que ressent lcrivain issu de la colonisation franaise est en fait le rsultat dun certain jacobinisme culturel qui a enferm la langue franaise dans lhexagone, rendant ainsi difficile lexpression dautres identits travers cet idiome. Lintrt du festival francophone en France sera aussi de montrer comment les crivains coloniss se sont appropris le franais, lont transform et lont adapt leurs ralits gographiques et culturelles. Luniversalit du franais passe par notre acceptation de lidentit francophone dun Congolais, dun Martiniquais, dun Vietnamien ou de tous ceux qui voudront saisir du franais pour limprgner de sa singularit ! Propos recueillis par Tirthankar Chanda 1. Daniel Maximin a crit des rcits : LIsol Soleil (1981), Soufrires (1987), LIle et une nuit (1996), Tu, cest lenfance (2004)), des pomes : Linvention des dsirades (2000) et un essai : Les fruits du cyclone : une gopotique de la Carabe (2006). 2. Potes dexpression franaise (1947) et Anthologie de la nouvelle posie ngre et malgache dexpression franaise (1948). francofffonies !* Mode demploi (MFI) Comme le rappelle Monique Veaute, commissaire gnrale du festival francophone en France, la saison 2006 runira en lespace de 207 jours (de mars octobre) quelques 2 000 personnalits, chercheurs, artistes, interprtes, entrepreneurs et diteurs autour de 400 manifestations, dont 93 spectacles de danse, musique, thtre, cirque et conte, 53 manifestations darts plastiques, 18 manifestations littraires et de langue franaise, 18 manifestations de cinma et 28 colloques universitaires et rencontres intellectuelles. Ces artistes et intellectuels seront prsents dans 120 villes des 22 rgions de lhexagone et les 10 dpartements et collectivits doutre-mer. Cette saison francophone exceptionnelle souvrira par le Salon du livre de Paris, le 16 mars, qui a pour thme, cette anne, la Francophonie. Il runira une quarantaine dcrivains et de potes, venus de tous les horizons de lespace francophone. Ils seront les invits dhonneur de cette dition. Parmi les autres manifestations, il faut citer le Printemps des Potes (du 4 au 12 mars), les 6e Rencontres chorgraphiques de lAfrique et de locan Indien (du 22 au 30 avril), la lecture des pomes de lAnthologie de Senghor par la troupe de la Comdie-Franaise (Les Orphes noires, 18 juin), le Cinquantenaire du Premier Congrs des crivains et artistes noirs de septembre 1956 (19 septembre) et lexposition sur le thme des forces de lcriture , consacre Lopold Sdar Senghor, et organise loccasion du centenaire du prsident-pote la Bibliothque nationale de France (ouverture le 9 octobre). Aprs ces six mois en francophonie, quel Franais voudra-t-il se contenter dtre uniquement franais et si prosaquement hexagonal ? T. C. * Lensemble du programme des francoffonies ! est disponible sur le site de la manifestation : www.francofffonies.fr | |||
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