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03/03/2006 | |||
La nouvelle gnration des crivains africains LAfrique leur colle la peau, au ventre, au cerveau par Lilyan Kesteloot (IFAN-Dakar) | |||
(MFI) Grande spcialiste des littratures dAfrique qui vit et enseigne Dakar, Lilyan Kesteloot sinterroge sur les conditions de production, aujourdhui, dune littrature dAfrique qui a quitt depuis longtemps les rivages de lespoir pour senfoncer dans les drames et une introspection inquite du continent. | |||
Les crivains de la Ngritude se voulaient tmoins de leur peuple, tmoins de leur temps. Pendant trois gnrations, ils ont exprim un pass tragique, un prsent douloureux mais un espoir infini dans un avenir quils voyaient, quils voulaient radieux. Je vois lAfrique multiple et une/Un peu part mais porte/Du sicle comme un cur de rserve ainsi rvait Aim Csaire en lan de grce 1961, et il ntait pas le seul. Euphorie des annes de lindpendance ! Les potes la chantrent, sans subodorer quelle serait si brve. L-dessus passa le rouleau compresseur de lhistoire. Avec les coups dEtat, les rgimes militaires, les gouvernements corrompus, les prsidents vie, les budgets en faillite, les conflits ethniques et religieux, les Etats disloqus... Mais, que voulez-vous ? Allah nest pas oblig dintervenir, nest-ce pas ? Les crivains daujourdhui et les lendemains qui dchantent Les crivains ngro-africains daujourdhui ne peuvent plus rver des lendemains qui chantent... Ils sont souvent violents, provocateurs, agressifs pour la plupart, maniant la drision jusquau dlire avec une volont affirme de rupture. Et dabord davec leurs prdcesseurs, voire davec leur continent. Pour Pabe Mongo qui est de cette gnration si nos ans taient essentiellement proccups par la reconnaissance de lidentit de lhomme noir, je dirais que nous sommes les crivains des sept plaies dAfrique... la situation de lhomme noir sest tel point dgrade que notre littrature ne met plus en scne des hros mais des victimes. LAfrique, crit le pote Hamidou Dia, est devenue ce continent apparemment vou toutes les calamits . Est-ce pour cette raison que les auteurs daujourdhui ne veulent plus tre catalogus crivains noirs , ou africains , mais crivains tout court, prfrent se noyer dans la mer de la Francophonie ou dans locan de la World Fiction. Et dabord sen vont ailleurs Partir ? De nombreux jeunes crivains rsident aujourdhui ltranger, au point que Bernard Magnier a cr pour eux le vocable dcrivains beurs. Encore un tiroir... lhomme est un tre classeur a dmontr Levi-Strauss. Mais est-ce rellement plus valorisant ? On peut aussi essayer de partir mentalement Pourtant en interrogeant la plupart des rcits des crivains, on tombe sur une vidence : leur lieu dcriture demeure bien lAfrique. LAfrique leur colle la peau, au ventre, au cerveau ! Kossi Efoui nous brosse un tableau pouvantable de son Togo natal, Patrice Nganang se glisse dans la tte dun chien pour voquer un Cameroun sordide, Jean-Luc Raharimanana esquisse une vision fantasmatique de Madagascar, Gaston Paul Effa restitue les drames intimes de son groupe dorigine, alors quil enseigne la philosophie aux petits Franais, tout comme Senghor grenait ses Chants dOmbre lorsquil tait professeur Tours. Que dire de Tierno Monenembo qui se rfugie dans la (superbe) grande saga des Peuls ? Est-ce dire que rien na chang ? Au contraire tout a chang, lpoque, lenvironnement, lAfrique, lEurope, la monnaie, la mode, la communication, lhistoire, lavenir de la plante... on est dans un lieu de turbulences qui se rpercute en littrature. Mme si concrtement les jeunes crivains, la recherche de ce nouveau discours africain dont parle Georges Ngal, nont pas clairement conscience de cette qute, il la vivent et leur criture traduit leurs inquitudes comme leurs aspirations. Le rcit se refuse senfermer dans un genre fictif, rel, vnementiel, potique, romanesque, lgendaire... qui refuse mme dtre catalogu dans le genre absence de genre . (G.Ngal, LErrance) Les aventures du style Ces perturbations de lcriture et de la langue chez les romanciers africains daujourdhui menacent parfois jusqu lintelligibilit de leurs textes ; cest un pige que quelques-uns ont frl, et non des moindres. Car le risque que lon prend lorsquon scarte par trop de la langue standard, de sa syntaxe ou de son lexique, est que le livre que lon voulait universel voit son lectorat potentiel se rduire dangereusement ; et plus encore le lectorat africain qui a t instruit dans une langue europenne. Un autre pige est labus de la langue verte, cest--dire largot. On le rencontre de plus en plus ct dexpressions du patois local. Si encore il sagit de sortir de la langue trop acadmique de Cheikh Hamidou Kane ou de Malick Fall... mais o sarrter ? Rien ne vieillit plus vite que largot. Les crivains passeurs du continent Au-del des aventures du style, ces crivains actuels demeurent, quoiquils en disent, bien africains, et il le seront aussi longtemps quils se feront lcho de lAfrique, de ses affres et perturbations, des exigences et des mutations de sa culture. Ce nest pas un ghetto, cest une identit en crise peut-tre mais cohrente, respectable, et quils partagent avec dautres grands crivains comme Senghor, Soyinka, Ben Okri, James Ngugi, Pepetela. On peut choisir dcrire en franais, sans renier ni sa culture, ni sa langue dorigine. Et sans doute les crivains francophones, lusophones et anglophones sont-ils pour la plupart dans ce cas ; ils ne perdent pas pour autant cette dimension continentale ou insulaire qui les rend insolubles dans la grande mare littraire de lHexagone (600 romans par an !) et cest tant mieux. A lEurope, ils apportent une ouverture, un dpassement, cependant que lEurope leur sert de tremplin et largit leur audience. Car ne les lit-on pas, justement, parce quils parlent de lAfrique ? Car lEurope comprend de moins en moins lAfrique, et les crivains constituent des passeurs initis qui peuvent permettre de dcrypter ce continent problmatique, et de connatre en particulier ses modes de vie et de pense, ses traditions et ses mutations. On pense lintrt soulev par les crits dHampat B, ou aux paroles des femmes africaines qui sexpriment avec retard, mais avec quelle nergie et quelle originalit. Trs utiles aussi sont les crivains du terroir qui offrent des textes pleins de saveur et dinformations sur leurs socits et leurs cultures respectives. Car lAfrique est multiple et une , on ne prie pas, on ne meurt pas au Cameroun comme au Sngal. Il suffit de voir le roman rcent de Lonora Miano. Une volont dauthenticit dans un monde en mutation Il faut rester dans ce pays si lon veut que ce pays devienne habitable , rappelle Lionel Trouillot propos dHati. Il ne faut pas en effet limiter la production littraire africaine au groupe le plus mdiatis : celui des crivains en exil. Certes les grandes maisons ddition parisiennes que sont Le Seuil, le Serpent Plumes, Acte Sud, et plus rcemment les ditions Stock, constituent des diffuseurs efficaces qui amplifient lcho de Prsence africaine et de LHarmattan, toujours actifs dans la publication des crivains noirs. Et il est vrai que ceux qui publient en Afrique souffrent aujourdhui plus que nagure dun environnement conomique dfavorable, dun lectorat de moins en moins francophone, dune publicit locale (journaux, tl) peu slective, ce qui naide pas distinguer le bon grain, ni faire surgir ceux qui mriteraient une diffusion internationale. Sans parler de labsence dune vritable critique littraire dans les diffrents pays du continent, ni de la rcupration de certaines associations dcrivains par les instances politiques pourvoyeuses de prbendes... tout cela est connu et fait partie de la dtrioration qui affecte le fonctionnement des Etats. Lcrivain africain daujourdhui nest plus dupe, et cest cette volont de vrit sur lui-mme, sur autrui et sur les siens, cette volont dauthenticit qui fait son mrite et son intrt au del de sa qualit littraire. Chacun, avec ses mots et sa sensibilit dAfricain, apprivoise la ralit ou limpensable par exemple les vnements du Rwanda qui, sous la plume de Boris Diop, de Vronique Tadjo, de Koulsi Lamko, nous atteignent au cur. Ce sont les crivains qui donnent chair aux situations, les mettent en scne, en cherchent les issues, ouvrent des pistes sur lavenir. Ils se sentent comptables de lavenir du Continent... Tmoins majeurs, indispensables encore une fois, en attendant lavnement de la nouvelle Afrique en gestation douloureuse, et dont il leur appartient dtre les prcurseurs lucides, exigeants et vridiques. Lilyan Kesteloot Lcriture comme dcharge lectrique MFI) Littrature de lanomie et de la dviance, de la subversion, de la destruction et la dcomposition... expression des complexes, des traumatismes, des refoulements... image dune contre-socit, de contre-culture...lieux et non lieux des turbulences dont le passage lunivers littraire seffectue par des ruptures, des dissociations, des collisions, des explosions... lcriture est une dcharge lectrique (LErrance, Paris 1999). Cette description du nouveau discours africain , nous est donne par le professeur congolais Georges Ngal qui, sur 222 pages souvent lyriques, sinterroge sur les nouvelles conditions dmergence dune pense africaine . Cest que cette dernire se trouve en crise radicale, conscutive notre monde, dit-il encore Nous vivons une socit prcipite dans le chaos et dans le devenir ; nous sentons que la science elle-mme est en crise. L. K. | |||
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