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MFI HEBDO: Culture Socit Liste des articles

14/04/2006
Chronique Littrature

L'essentiel d'un livre
Le Clzio : A la recherche de lutopie perdue

(MFI) A la recherche du pays imaginaire de son enfance, un gographe franais dbarque au Mexique. Il y sera le dernier tmoin dune cit utopique rgie par les lois de lamour et du savoir.


Daniel Sillitoe a rendez-vous Guadalzara. Avec un professeur duniversit. Jeune gographe franais, Daniel a quitt les brumes parisiennes pour poursuivre ses recherches dans le lointain Mexique. Cest dans le car qui le conduit sa destination quil entend pour la premire fois parler de la colonie de Campos par un garon de seize ans. Intrigu par le rcit que lui fait le jeune Raphal, habitant de ce lieu denique, Daniel le suit, passe la soire avec lui bavarder, puis perd sa trace son plus grand dsespoir. Il ne sait pas encore que Campos allait faire dramatiquement irruption dans sa vie et quil lui rappellerait lOurania de son enfance, le pays dont il avait rv en coutant sa mre lui lire le mythe grec de lunion de Gaa la terre avec Ouranos le ciel toil.
Ainsi souvre Ourania, le nouveau roman de J.-M.G Le Clzio. Auteur dune quarantaine de livres en plus de quarante ans dcriture, le franais a bti une oeuvre singulire fonde sur le rve et la qute de lailleurs. A mi-chemin entre la fiction, le document ethnographique et la critique sociale, dnus de toute forme dexotisme et de rves dvasion, ses rcits sancrent dans des ralits lointaines, explorant dans les mythologies des hommes et des lieux les secrets de leurs cohrences et leur faillite. Ils retracent aussi la recherche dun temps perdu de bonheur, de solidarit et dquilibre entre nature et culture.
Dans Ourania, ce pass sincarne sous la forme de la cit utopique de Campos o vivent dans une libert totale hommes, femmes et enfants venus dhorizons et de nations diverses. Compos de Brsiliens, de Canadiens, dIndiens, de Polynsiens ou dHatiens, ce peuple arc-en-ciel a russi construire une socit galitaire, sans famille, sans police, sans argent, rgente seulement par lamour, la douceur et le got du savoir. Or la libert des moeurs de la colonie finit par faire peur aux matres de la valle dans laquelle Campos est situe. Petits agriculteurs enrichis par la culture intensive de la fraise, ces derniers craignent que leurs prostitues et leurs manoeuvres ne soient contamins par les rves des Camposiens. Ils enverront leurs parachutistes pour dloger ces vagabonds venus de ltranger .
Elgiaque et pique, ce rcit du dmantlement de la colonie idaliste se lit comme un conte philosophique sur lutopie et ses limites.

Ourania, par J.-M.G. Le Clzio. Ed. Gallimard, 306 pages, 17,50 euros.

Tirthankar Chanda


La chasse aux clandestins

(MFI) Hamid Skif est algrien. Il vit exil en Allemagne o il sest install en 1997 aprs avoir t victime dune tentative dassassinat dans son pays natal. Auteur de plusieurs romans (Citrouille fle, La princesse et le clown, Monsieur le Prsident, la Rouille sur les paupires, Les exils du matin) et dun recueil de posies (Pomes de ladieu), il vient de faire paratre son nouveau roman La Gographie du danger. Skif sinspire des drames des sans-papiers pour raconter le quotidien morne et dramatique dun clandestin, condamn vivre enferm dans une chambre de bonne cause des contrles didentit qui se sont intensifis. Tous les jours des milliers de clandestins sont expulss vers leurs pays dorigine. Un destin que le hros ne veut aucunement envisager, tout en sentant le pige se refermer sur lui. Implacablement. Alors pour ne pas cder au dsespoir, il fait dfiler les fantmes du pass qui lui tiennent compagnie. Son contact avec le monde extrieur se limite aux spectacles de vie tragi-comiques qui se droulent dans limmeuble den face et dont il ne rate aucun acte, cach derrire sa lucarne. Puis il y a Michel Delbin, le jeune gologue homosexuel qui lui a prt la chambre et le ravitaille en secret. Amoureux de son rfugi, Michel veut laider, mais nhsite pas le dnoncer la police lorsque celui-ci part vivre le grand amour avec la belle-fille des voisins du dessous.
Fort, intense, ce rcit de clandestin anonyme se lit dune seule traite. Il y a du Kafka et du Ionesco dans ce monologue sur les absurdits des pratiques dun monde ingalitaire et cynique. Il faut lire Hamid Skif pour la qualit de son criture serre o les mots servent cartographier au plus prs le danger.

La Gographie du danger, par Hamid Skif. Ed. Naves, 153 pages, 18 euros.

T. C.


Dans les fumeries du Caire

(MFI) Khayri Shalabi situe son nouveau roman dans une fumerie de haschich dun quartier en dmolition du Caire. L, se retrouve rgulirement une bande de jeunes intellectuels qui passent leurs journes commenter paresseusement la politique de Sadate en fumant des quantits impressionnantes de gza, ces pipes tabac au sommet desquelles se dpose le kif. La fumerie est devenue leur lieu de rendez-vous mais aussi celui de toutes les curiosits. Qui est, se demandent les protagonistes, ce mystrieux Saleh Heissa, plus connu sous le nom de Saleh Barouf qui veille sur lentretien et le service des recharges de tabac ? Les interrogations propos de ce gueux aux manires de prince se multiplient tandis que se dcouvrent des bribes de son existence. Paralllement, le narrateur fait le portrait de ses compagnons de rveries. Les illusions et dsillusions des jeunes gens de la gnration Sadate y apparaissent en filigrane. Petites trahisons et grands reniements le disputent aux histoires damour et damiti. Le lecteur retrouvera dans ce nouveau roman de Khayri Shalabi, le ralisme cher aux auteurs gyptiens qui se situent dans la ligne de Naguib Mahfouz. Comme chez le matre incontest, la juxtaposition de petites histoires individuelles sur fonds de grands vnements politiques impriment une saveur particulire au texte. Lauteur, un autodidacte ayant exerc une foule de petits mtiers est devenu, plus de trente ans, journaliste puis crivain. Son uvre se compose aujourdhui dune trentaine de titres.

Le temps du kif, Khayri Shalabi, Ed. Actes Sud, coll. Sindbad, 336 pages, 24 euros.

Genevive Fidani


Passs crire et vendre

(MFI) Ce quil manque ces gens, cest un bon pass, des anctres illustres, des parchemins. En bref : un nom qui voque la noblesse et la culture , explique Flix Ventura. Au lendemain de la fin de la guerre rvolutionnaire , ce bouquiniste de Luanda sest trouv une nouvelle profession : marchand de passs.
Puisque la nouvelle classe dirigeante a dj assur lavenir de ses enfants, il fournit le reste : un nouvel arbre gnalogique, des photographies des arrire-grands-parents quil leur a choisis. Un ministre veut crire sa biographie, La vraie vie dun combattant ? Il prte sa plume, coud la ralit la fiction () de faon respecter les dates et les vnements historiques .
Jusqu ce quun jour, un tranger nigmatique lui demande de lui fabriquer une identit angolaise. Le pass rattrape alors bien sr le prsent, les horreurs de la guerre civile refont surface. Pendant ce temps, spectateur depuis son plafond de ces alles et venues, Eulalio, un gecko qui vit labri de la lumire chez Flix Ventura, se souvient, lui, au fil de ses rves, de sa vie dhumain La mmoire est un paysage contempl depuis un train en mouvement , songe-t-il.
Faisant naviguer son lecteur entre le pass et le prsent, le rve et la ralit, la pnombre et la lumire, lcrivain Jos Eduardo Agualusa (n en Angola, il est aujourdhui journaliste au Portugal), joue ainsi dpeindre, avec ironie et dans une langue toujours riche, les errances de la socit angolaise. Latmosphre de son premier roman publi en franais, La saison des fous, men lui aussi avec brio, nest jamais loin.

Le marchand de passs, par Jos Eduardo Agualusa, Ed. Mtaili, 131 p., 15 euros.

Fanny Pigeaud


La ballade des matrisards

(MFI) Je sens les mots en rythme , ainsi parle Ken Bugul, crivain du Sngal qui publie ces jours-ci son septime roman, La pice dor. Conjuguant avec brio la posie et la prose, loralit et lcrit, elle a construit une oeuvre originale qui mle lautobiographique et le romanesque. Son criture se caractrise aussi par une libert de parole et de ton qui lui permet daborder tous les thmes, de la drogue lavortement, en passant par lvocation du corps fminin, longtemps un sujet tabou dans la littrature africaine. Ken Bugul a fait scandale ds son premier roman qui racontait les heurs et malheurs dune jeune africaine Paris, ballotte entre la prostitution et la drogue. Son nouveau roman est plus proprement romanesque. Il met en scne lodysse des chmeurs diplms (quon appelle les matrisards au Sngal) en qute de leur survie. BaMose et sa femme sont emblmatiques de la gnration post-indpendance qui quittent leur village pour aller chercher leur subsistance dans la capitale. Ici, la capitale a pour nom Yakar, en souvenir de Dakar, mais de beaucoup dautres villes-capitales dAfrique o tout est dreliction et dsespoir. A Yakar, nos hros vont devoir creuser, comme beaucoup dautres mal-lotis et affams, dans la monstrueuse montagne de dchets qui saccumulent au coeur de la ville. Ils y trouveront peut-tre la pice dor, cette pice magique tombe de lcuelle du Condorong qui donne pouvoir et richesse son possesseur !
Ce roman est une fable, fable dune Afrique qui lutte et saccroche lespoir dun avenir lumineux, incarn par ses grands hommes et femmes dont Ken Bugul a inscrit les noms en tte des chapitres de son roman, la fois titres et comme antidote contre le dsespoir.

La pice dor, par Ken Bugul. Ed. Ubu, 316 pages, 18 euros.

T. C.


Un auteur dcouvrir
Le Caire encore et toujours

(MFI)Les enfants de Naguib Mahfouz sont nombreux. Le petit peuple du Caire et ses quartiers si colors nen finissent pas dinspirer les crivains gyptiens. Labondance des uvres consacrs la capitale et ses habitants pourrait lasser le lecteur. Il nen est rien. Alaa El Aswany, dans son roman LImmeuble Yacoubian le prouve avec brio.


Fils dun avocat, Alaa El Aswany dont LImmeuble Yacoubian est le premier roman, est un crivain dans la veine du clbre prix Nobel de littrature Naguib Mahfouz. N au Caire le 26 mai 1957, il exerce le mtier de dentiste dans le centre de la capitale. Egalement journaliste, crivant sur la littrature, la politique et les questions sociales pour des journaux gyptiens, il a publi deux recueils de nouvelles, avant den venir au roman. Et quel roman ! Paru en 2002, LImmeuble Yacoubian est devenu immdiatement un best-seller dans une Egypte appauvrie o lindustrie du livre peine depuis des annes trouver des lecteurs. Le roman dEl Aswany dont laction se droule dans lEgypte contemporaine et raconte les heurs et malheurs de sa population, a immdiatement enflamm limagination des lecteurs qui ont vu dans ce rcit tragi-comique lcho de leur mal-vivre et de leurs interrogations existentielles.
Alaa El Aswany a camp son histoire dans un immeuble qui porte lui seul lempreinte de lvolution de la socit cairote en quelques dcennies. LImmeuble Yacoubian, construit dans les annes 30 par un milliardaire armnien, Hagop Yacoubian, abritait lorigine dans ses appartements luxueux, des ministres, des pachas, certains des plus grands propritaires terriens et des industriels trangers. La rvolution de 1952 a vu sinstaller des officiers de tout rang accompagns de leurs pouses, souvent dorigine modeste, qui nhsitaient lever poules et lapins sur le toit de immeuble. Les annes Sadate, faisant la part belle louverture conomique et lexode des riches vers les banlieues chic, les appartements ont peu peu t transforms en bureaux et cabinets mdicaux, tandis que les cabanes de fer installes sur le toit et servant de dbarras aux propritaires sont devenus des logements de deux mtres carrs pour le petit peuple cairote que la crise conomique na pas pargn.
Cest cette poque que dbute le roman. Fidle au style raliste gyptien, Alaa El Aswany, brosse une srie de portraits de personnages dont les destins vont sentrecroiser jusquau dnouement.

Portrait dune socit en droute

Tandis que Zaki Dessouki, vieil aristocrate dchu, poursuit sa qute inlassable de la femme idale, le jeune et pieux Taha, fils du concierge de limmeuble, espre russir le concours dentre lcole de police et pouser un jour Boussana, une belle jeune fille pauvre, habitante du toit de limmeuble. De son ct, Hatem, journaliste homosexuel, tente de concilier ses amours tumultueuses et sa vie sociale navigant entre les tabous et les non-dits de la socit. A loppos de ces aventures sulfureuses, le bigot Azzam, richissime commerant, dissimule ses perversions sous une apparente respectabilit, et cherche accder la dputation pour mieux profiter de la corruption ambiante. Au dessus de lui, un mystrieux envoy du pouvoir, El Fawli semble tirer les ficelles de ce jeu subtil dans lequel tous sont pris sans le savoir.
Les petites misres, les grosses querelles et les drames de ce monde en folie sont rvls peu peu au lecteur dans une savante progression qui mne au dnouement de lintrigue. La plupart verront leur destin se briser sur les rcifs du quotidien. Deux en rchapperont, au moins provisoirement.
Alaa El-Aswani ne se contente pas de livrer une brillante chronique des annes Sadate. Il fait aussi de son roman une vritable analyse sociologique et le procs dune socit capable de perdre les meilleurs de ses enfants, coeurs par la corruption et les compromissions quexigent deux un rgime bout de souffle et une socit fige. Ainsi, le jeune Taha, refus lcole de police en raison de ses origines modestes, sera-t-il recrut par des musulmans intgristes pour servir leur guerre nihiliste. En Egypte comme ailleurs, la morgue des uns fait le dsespoir des autres, et les dsesprs finissent toujours par faire entendre leur rvolte. Limmeuble Yacoubian, a t vendu plus de 100 000 exemplaires en quelques mois, rdit (il en est sa quatrime rdition), traduit en plusieurs langues et doit prochainement tre port lcran.

LImmeuble Yacoubian, par Alaa El Aswany. Actes Sud, 332 pages, 22,50 euros.

Genevive Fidani






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