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MFI HEBDO: Culture Socit Liste des articles

12/05/2006
Chronique Littrature

L'essentiel d'un livre
Mozart dans le pays cajun

(MFI) Mozart est un joueur de blues est un recueil de cinq nouvelles sous la plume de lun des auteurs majeurs du roman du Sud des Etats-Unis. Rcipiendaire du National Book Award en 1994, lAfricain-Amricain Ernest J. Gaines raconte dans ces nouvelles les espoirs et les frustrations des siens. Avec passion et conomie, la manire des joueurs de jazz et de blues.


Deux adolescents accompagnent leurs pres une partie de pche. Lun des garons est plutt habile avec sa canne. Lautre lest moins et ne russit qu pcher deux tortues. De surcrot, comme il a peur de ces btes, il est rduit compter sur le bon vouloir de son copain pour dtacher lhameon. Sur le chemin du retour, les pres sarrtent pour boire chez madame Diana Brown qui na pas trs bonne rputation dans la contre. Elle nest pas marie et vit avec sa nice Amy dans une grande maison o elle accueille des hommes. Les pres voudraient quAmy soccupe des deux garons. Question de dniaiser un peu les adolescents ! Max qui stait montr habile prendre les tortues parvient matriser ses craintes pour rpondre aux invitations de la fille et entrer dans son lit. Benny, pour sa part, seffondre en larmes, au grand dsespoir de son pre !
La deuxime nouvelle de la collection intitule Le garon au costume crois raconte les heurs et malheurs dun jeune de sept ans, orphelin de mre. Max voudrait que son pre se remarie avec la gentille madame Adle que son Pa frquente avec assiduit. Et elle maimait bien, aussi, parce que, comme elle disait, je ressemblais tellement Oscar cest mon Pa et elle ma dit quelle allait mapprendre garder ma chemise rentre dans mon pantalon et avoir la figure propre, et si jtais un bon petit garon elle machterait un costume crois avec un pantalon long et je pourrais dormir chez elle des fois. Elle lui achtera le costume. Mais le mariage ne se fera pas pour autant car le Pa de Max refuse obstinment de se rendre loffice de dimanche, suscitant la colre du pasteur de la paroisse qui impressionne tant madame Adle !
Ces deux courts rcits mlancoliques et subtils par lesquels souvre Mozart est un joueur de blues donnent le ton de ce recueil qui runit quelques-uns des premiers textes dErnest J. Gaines. La nouvelle douverture intitule Les tortues est dailleurs la toute premire publication de ce grand crivain noir amricain. N en Louisiane en 1933, Ernest J. Gaines est lauteur de plusieurs romans, presque tous devenus des classiques de la littrature amricaine : Catherine Carmier (1964), LAutobiographie de Miss Jane Pittmann (1971), Colre en Louisiane (1983), Dites-leur que je suis un homme (1993). De son propre aveu, lide de devenir crivain est venue au jeune Gaines quand il a quitt la Louisiane pour rejoindre sa mre en Californie et quil a dcouvert les littratures du monde dans les bibliothques ouvertes aux Noirs. Mais Gaines est devenu crivain quand il a pris enfin conscience que le matriau de ses futurs rcits se trouvait dans sa Louisiane natale, dans la plantation de cannes sucre au coeur du pays cajun o ses anctres ont vcu et souffert !

Mozart est un joueur de blues, par Ernest J. Gaines. Traduit de langlais par Michelle Herpe-Voslinsky. Editions Liana Levi, 141 pages, 14 euros.

Tirthankar Chanda


Deffence et illustration de la francophonie

(MFI) Lanne 2006 marque sans doute un tournant dans la perception que nous avons de la francophonie. Il y a eu dabord le Salon du livre de Paris qui a runi autour du thme de la francophonie littraire une quarantaine dcrivains de langue franaise du monde entier. Puis, il y a eu le lancement de lanne Senghor pour commmorer le centenaire du pote-prsident qui fut le premier thoriser la francophonie. Ces vnements ont rappel la dimension linguistique et littraire de la francophonie que les institutions mises en place depuis 1969 pour essentiellement coordonner laction politique des pays de langue franaise, avaient fait sinon oublier, du moins mise au second plan. Or la francophonie, nest-ce pas dabord et avant tout le partage dune langue commune, et, au-del, lmergence dun vaste ensemble doeuvres qui par la pluralit de leurs usages est en train de donner une impulsion nouvelle la langue litiste, chair de poule, ple et froide dont parlait Sartre ? Cest pour une meilleure prise en compte de cette dimension fondamentale de la francophonie que milite le beau livre de luniversitaire Jean-Louis Joubert consacr, comme lcrit lauteur lui-mme, la vitalit du franais dans ses nombreux enracinements .
Aprs avoir brivement rappel le processus de sacralisation (supriorit, universalit et neutralit) dont le franais a t victime pendant des sicles et qui a empch sa vritable vulgarisation, lauteur raconte comment les crivains francophones des pays anciennement coloniss ( les voleurs de langue ), mais aussi ceux issus des pays hors de France o le franais est demeur la langue maternelle, ont dpos dans la langue de Molire et de Voltaire des sdiments textuels venus de tous les horizons, la rendant apte cette fois exprimer la ralit de tous et de partout. Loin de dcliner, le franais est en train de se muer en une langue vritablement universelle, telle est la thse qui sous-tend cette nouvelle Deffence et illustration de la langue francoyse sous la plume dun francophone convaincu !

Les voleurs de langue : traverse de la francophonie littraire, par Jean-Louis Joubert. Editions Philippe Rey, 134 pages, 14 euros.

T. C.


Olympe Bhly-Quenum dans le sillage dAndr Breton

(MFI) Olympe Bhly-Quenum, lcrivain bninois, alors quil tait tudiant Paris, a bien rencontr Andr Breton, le pape du surralisme, par hasard, un jour boulevard Saint Germain. Il relate cette brve entrevue, quil qualifie de moment primordial dans une sorte davant-propos son dernier recueil de nouvelles, intitul Promenade dans la fort.
La premire de ces nouvelles est un rve quil raconta Breton. Cest lhistoire dun jeune garon perdu dans la fort tropicale o il se trouve soudain face face avec un squelette qui lemmne dans un souterrain o il se heurte dabord une quinzaine dautres squelettes, puis de ravissantes jeunes filles aux seins durs ... La seconde nouvelle, La reine au bras dor, est lhistoire dune jeune fille dune grande beaut qui garde obstinment son pagne sur son bras gauche parce quil est en or. La doyenne des pouses du roi dcouvre le secret de la belle, et sen ouvre au roi qui organise une sance publique de pilage du mil par toutes les reines. Quand vient le tour de la jeune pouse, son pagne tombe et dvoile son bras dor. La foule applaudit et le roi fait dcapiter la dnonciatrice. La troisime nouvelle est sans doute la plus surraliste du recueil : un jeune africain visite un monastre italien orn dune fresque de Giotto reprsentant la crucifixion de Jsus, o figure un lgionnaire romain de race noire. Le dit lgionnaire descend le plus naturellement du monde de la fresque et assure au jeune homme que cest lui qui donna le coup de lance dans le flanc du Christ. Puis, tranquillement, il remonte prendre sa place dans la fresque de Giotto.
Les autres rcits nont plus rien de surraliste . Deux nouvelles ont pour hros une sorte de Robin des Bois africain, chef dune redoutable bande de brigands, nomm Akpanakan. Une troisime brosse un portrait vengeur dun couple europen franchement raciste, et la dernire une idylle entre une jeune anglaise et un tudiant noir sur la cte normande. Lauteur joue ainsi avec bonheur sur tous les registres, tour tour fantastique, raliste ou sentimental.

Promenade dans la fort, par Olympe Bhly-Quenum, Editions Monde Global, 247 pages, 18,50 euros.

Claude Wauthier


Le premier roman francophone des Balkans ?

(MFI) Le Firman qui est le titre du premier roman de Stefani Sen Senar, est un mot driv du persan et du sanscrit. Il dsigne un dit royal . Le rcit daventure et de qute initiatique que raconte la romancire franco-macdonienne tourne justement autour dun firman ancien qui fait mystrieusement surface dans lappartement parisien de la protagoniste, franaise dorigine macdonienne comme lauteur. Tout commence lorsque Pela Blakoulakovska interpelle un diplomate turc en train de fouiller dans les tiroirs du bureau de son pre au cours dun djeuner mondain organis par les parents hauts fonctionnaires de la jeune femme. Lhomme cherchait le firman mis par lun des derniers sultans ottomans, mais pris la main dans le sac il senfuit aprs avoir abattu tous les invits ainsi que leurs htes. Seule rescape de ce bain de sang, Pela qui a fait des tudes de balkanologie Paris, sembarque alors pour la Macdoine afin dclaircir le mystre de la mort tragique de ses parents. Lessentiel du rcit se droule dans la ville dOrhid, au bord de son lac romantique et angoissant. Pela est accueillie dans cette ville par un vieux couple dont la cave regorge de vieilleries au sein desquelles la jeune femme dcouvrira le secret de ses origines, mais aussi les mobiles (nostalgie dun pass glorieux, soif de puissance, haines nationalistes) du crime dont sa famille a t une victime involontaire et sacrificielle.
Bien qualourdi par une narration souvent scolaire, ce roman ne manque ni de luxuriance ni dinventivit. Mlant troitement lhistorique et le prsent, la qute personnelle et le destin collectif, Stefani Sen Senar livre avec Le Firman un rcit europen trs contemporain qui nest pas sans rappeler les obsessions historiques de lItalien Umberto Eco ou de lAnglais Graham Swift. Enfin, les futurs historiens des littratures se souviendront longtemps du Firman cause de sa principale originalit qui est dtre lun des premiers romans balkans en franais.

Le Firman, par Stefani Sen Senar. Editions Dorval, 195 pages, 22 euros.

T. C.


LIsralien Avot Yeshurun pleure la Shoah des Palestiniens

(MFI) La Shoah des Juifs dEurope et la Shoah des Arabes dIsral sont une seule et mme Shoah pour la conscience juive , crivait Avot Yeshurun, lun des plus grands potes de la modernit isralienne. Arriv en Palestine lge de 22 ans, longtemps avant la cration dIsral, le jeune Yeshurun qui sappelait alors Yehiel Alter Perlemuter, a connu de prs le vcu des Arabes palestiniens dont il a partag les heurs et malheurs sur une terre aride et coloniale. Aussi, ragira-t-il avec violence lexpropriation des Arabes dIsral par le nouvel Etat cr en 1948 partir des terres palestiniennes : Jtais alors un homme gorg dans son univers , crira-t-il. Il a dnonc cette injustice travers sa posie sous le thme de la faille syro-africaine . Un topos central dont sa traductrice a fait le titre du volume des pomes et proses de ce grand pote qui parat ces jours-ci en franais.
Ce volume runit 111 pomes puiss dans les dix recueils que le pote a fait paratre au cours dune longue carrire littraire. N en 1903 en Ukraine, Yeshurun a grandi dans la ville de Krasnytsaw (Pologne) avant de partir pour la Palestine en 1925. Cette sparation davec ses parents est la premire grande dchirure dans la vie du pote. Elle est dautant plus douloureuse que toute sa famille hormis un frre prira dans la Shoah. Cette faille personnelle va entrer en rsonance avec la faille historique arabo-isralienne et deviendra le moteur primordial de la posie dYeshurun. Lanthologie tablie en franais souvre sur les lettres de la mre de lauteur, les lettres qui tombaient des poches/comme des feuilles sur cette terre,/comme des locataires quon parpille . Comment ne pas penser aux Palestiniens ? Sous la plume dun pote rong par sa culpabilit, les lettres de la mre deviennent des tres nomades sur le territoire de la mmoire et de la vie. Le fils errant rejoint ainsi les hritiers quon exproprie !

La faille syro-africaine, par Avot Yeshurun. Traduit de lhbreu par Bee Formentelli. Actes Sud, 256 pages, 24 euros.

T. C.


Un auteur dcouvrir
Mahmoud Darwich : le hraut est fatiqu

(MFI) Mahmoud Darwich est unanimement considr comme lun des plus grands potes arabes contemporains. Portrait loccasion de la sortie en franais dun de ses derniers recueils de pomes.


En fvrier dernier, au Havre, le pote palestinien Mahmoud Darwich a fait salle comble. Sur la scne du Volcan, il a lectris la foule venue couter ses pomes tirs de son dernier recueil, Ne texcuse pas. Celui-ci, publi Beyrouth en janvier 2004, vient tout juste de sortir en franais. Il compte 47 pomes courts et intenses et cinq compositions plus amples. Trois dentre elles rendent hommage des potes dont Darwich se sent proche : lEgyptien Amal Junqul (1940-1983), le Grec Yannis Ritsos (1909-1990) et le Syrien kurde Salim Barakat (n en 1951), avec lequel il a en commun le fait de stre bti une patrie dans la langue .
Le livre est travers par des sensations le parfum de la sauge/le caf de la mre , par la nature et les gestes du quotidien. Le fait dvoquer le quotidien est une nouveaut , indique Elias Sanbar, traducteur et ami du pote. Cest un recueil trs simple sans tre simpliste. On y trouve beaucoup dhumour mais cest une fausse lgret . Dans cet opus, Mahmoud Darwich pousse un peu plus la rflexion sur la frontire entre prose et posie. Chacun de ses recueils est une nouveaut en soi, reflet dune nouvelle priode dans son travail. A chaque fois, il y a des choses trs novatrices, de nouvelles expriences, notamment dans la forme, mais, en mme temps, on trouve une vraie continuit qui fait que lon reconnat immdiatement un pome de Darwich. Cest la grande force de ce pote , poursuit Elias Sanbar.
Au fil des vers, les petites choses de la vie se font rattraper par la grande inconnue. Il y a quelques annes, une attaque cardiaque a failli terrasser le gant de la posie arabe. Depuis, il semble envisager la mort de manire sereine et presque dtache. Jai la sagesse du condamn mort crit-il. Je ne suis ni citoyen/ ni rfugi./Je dsire une seule chose, nulle autre,/une seule chose,/une mort simple, paisible,/en un jour ce jour pareil ()/une mort qui me consolera, un peu ou largement,/dune vie que je recensais/en minutes/ou migrations. Je suis las de voyager , ajoute-t-il plus loin.
Migration, exil les mots sont rcurrents chez celui qui, n en 1942 prs de Saint-Jean dAcre, naura vcu que 6 ans en Palestine. Sa famille fuit en 1948, la cration de lEtat dIsral. Aprs un passage dans un camp de rfugis au Liban, elle rentre clandestinement en Isral mais son village a t ras. Mahmoud et les siens resteront plusieurs annes exils sur leur propre terre. Ses premiers pomes, engags politiquement, le mnent en prison et Darwich quitte le pays en 1971. Le Caire, Beyrouth, Tunis, Paris. Cest seulement en 1996 quil sinstalle Ramallah. Dans deux pomes trs forts, Pour notre patrie et Nous avons une patrie , il voque cette patrie sans frontires , petite comme un grain de ssame , carte de labsence et blessure lidentit . Trop souvent qualifi de hraut de la Palestine, on ne lit ses vers qu travers le prisme du politique. Le carcan est touffant tel point que dans Murale, son avant-dernier recueil, il crivait : je ne mappartiens pas, je ne mappartiens pas . Dans ce dernier recueil, le titre du livre, qui est aussi celui dun pome, est explicite. Avec Ne texcuse pas, il dit quil na de compte rendre personne , analyse Elias Sanbar. Cest un pote adul, qui rvolutionne sans cesse la forme potique et provoque des remous dans la littrature arabe. On ladmire mais on le critique aussi beaucoup. Il suscite des jalousies. Dans ce pome, il dit : je nai pas dexcuses formuler pour ce que jcris et pour ce que je suis. Et sil y a des excuses faire, alors que ce soit seulement ma mre

Olivia Marsaud


Bibliographie : Luvre de Mahmoud Darwich, traduite dans plus de 40 langues, comprend vingt recueils de posie, plusieurs ouvrages en prose et de nombreux articles. Parmi ses recueils traduits en franais par Elias Sanbar, tous aux ditions Actes Sud, il faut citer : Etat de sige (2004), Murale (2003), Le lit de ltrangre (2000), La Palestine comme mtaphore : entretiens (1997), Pourquoi as-tu laiss le cheval sa solitude ? (1996), Au dernier soir sur cette terre (1994).



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