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26/05/2006
L’année francophone dans le monde
Italie : francophonie à la sauce napolitaine


(MFI) L’année des cultures francophones, organisée en France tout au long de l’année 2006 pour populariser la francophonie et ses ressources culturelles, a donné lieu aussi à de nombreuses manifestations dans le monde non francophone. Ceci pour l’essentiel grâce au réseau culturel français, qui a inclus dans ses programmations une palette d’échanges et de manifestations autour de la francophonie. Exemple avec l’Italie, où l’état de la francophonie peut inspirer quelques appréhensions.

Valentina parle, avec application, un français presque parfait. Elle lit beaucoup de littérature en français, connaît Michel Houellebecq, s’intéresse aussi aux littératures francophones et déclare avoir été très impressionnée par la lecture de Murambi, de l’écrivain Boubacar Boris Diop, roman (publié en 2004 en italien) sur le génocide rwandais. Etudiante en sociologie, Valentina s’intéresse aussi à l’art contemporain et trouve heureuse l’initiative de quelques galeristes italiens qui présentent des œuvres de plasticiens d’Afrique ou des Caraïbes, plus rarement exposés, comme dernièrement à Naples (1), dans le cadre de manifestations collectives. Elle regrette toutefois que, vue d’Italie, la francophonie reste une réalité fort lointaine, et avoue n’avoir pas « tellement » suivi les manifestations autour de l’année francophone proposées en 2006 par les centres culturels français.

Valentina est le portrait-type de ces happy few d’Italie pour lesquels la francophonie revêt une signification plus ou moins précise. Heureux élus qui se recrutent presque exclusivement dans les milieux universitaires et aisés, qui voyagent volontiers et ont séjourné ou vécu à Paris, ont une relation presque spontanée avec la France et la culture française, et qui commencent à s’ouvrir à d’autres réalités culturelles, notamment africaines, d’ailleurs rarement vues à travers le prisme francophone. Pour ceux-là, l’année francophone a pu être perçue avec un certain intérêt, grâce à l’effort consenti par le réseau culturel français pour promouvoir – jusqu’à un certain point - l’idée de francophonie, mais aussi et surtout les créateurs issus de pays francophones. Et de ce point de vue, les initiatives n’ont pas manqué.


La Francophonie : linguistique avant tout

On évoquera ainsi « les Journées romaines de la francophonie » (lire encadré 1), et de nombreuses animations, surtout littéraires, assurées par les centres culturels et alliances françaises dans tout le pays, de Turin à Palerme, en passant par Naples (lire entretien). Au total, la palette des initiatives semble riche, bien qu’un peu éclatée, et surtout concentrée autour de deux temps forts : mars et la semaine de la Francophonie, et quelques manifestations sur Senghor à l’automne. En Italie, plus qu’ailleurs en Europe, la France dispose d’un réseau dense d’animation culturelle et linguistique, puisqu’elle y compte cinq instituts culturels (Florence, Milan, Naples, Palerme, Turin) et deux « délégations » culturelles (Bologne, Venise), ainsi que 54 Alliances françaises, où sont proposés cours de langues et manifestations culturelles diversifiées.

Vouées à la promotion de la langue et de la culture et de la création françaises, ces institutions montrent une certaine ouverture à la réalité francophone, sans toutefois en faire un axe majeur. Et l’on n’aura rien relevé dans la programmation de l’année 2006 sur la dimension institutionnelle de la Francophonie qui, il faut le souligner, a du mal à passer auprès des programmateurs –qu’on soit en Italie ou ailleurs -. A quand des conférences sur le thème de la démocratie ou de la diversité culturelle, où la Francophonie s’illustre pourtant comme organisation multilatérale ?

A l’exemple de la seule enclave officiellement francophone en territoire italien, le Val d’Aoste où le français est langue officielle (2), on a en Italie avant tout une perception linguistique de la réalité francophone. De ce point de vue, la situation paraît à la fois satisfaisante et fragile. En raison des liens historiques et culturels très riches entre la France et l’Italie, la langue française est en bonne position parmi les langues internationales pratiquées dans le pays : on estime que l’Italie comprend 19 % de francophones (la communauté française s’élèverait à quelques 58 000 personnes), et le français est la deuxième langue vivante étudiée, en particulier dans l’enseignement secondaire où l’on compte 735 000 élèves au lycée (soit 21% du total) en classes de français. Si l’on ne dispose pas de statistiques récentes pour le supérieur, de nombreux universitaires et intellectuels italiens pratiquent le français, ou du moins en ont acquis des rudiments.

Reste que tout le monde témoigne d’un recul du français, et d’un saut de génération constaté comme partout ailleurs en Europe : alors que la génération des plus de quarante ans montre une familiarité plus ou moins grande avec la langue française, les jeunes, eux, ont visiblement « décroché ». Les espoirs fondés sur la loi Moratti –effective depuis la rentrée 2005, elle rend obligatoire l'apprentissage de deux langues vivantes européennes -, dont on espère qu’elle consolidera la position de seconde langue du français, demandent à être confirmés. Des observateurs ne cachent pas un certain scepticisme, d’autres notent, toutefois, que le français résiste assez bien face à une poussée de l’anglais qui fut encouragée très officiellement par l’ancien gouvernement de Silvio Berlusconi. Et ce n’est pas la situation observée lors des récents Jeux de Turin, où le Grand témoin de la Francophonie, Lise Bissonette, signalait que « le français n’est plus guère une langue de travail, ni pour les organisateurs, ni pour les médias, sans parler des manifestations culturelles et commerciales en marge des Jeux », qui est faite pour rassurer.

Au-delà, peut-être y aura t’il un jour un horizon… francophone pour le français. Ceci grâce aux effets (peu attendus, et pour ainsi dire jamais évoqués) d’un phénomène qui tend à devenir massif en Italie, celui de l’immigration. Immigration en provenance, en particulier, d’Afrique du Nord, et de plus en plus ces dernières années d’Afrique de l’ouest. Aujourd’hui, les migrants en provenance du Sénégal sont plus nombreux que les Français dans la péninsule : au moins 50 000 sont titulaires d’un titre de séjour, mais leur effectif réel est bien plus important. Des travailleurs peu qualifiés pour la plupart, certes, et dont le degré de… francophonie demanderait à être évalué. Mais ils comptent formellement, avec les Algériens, les Marocains, les Tunisiens, parmi ces francophones d’Italie qui pourraient constituer, à l’heure où l’Europe se découvre multiculturelle, un ferment actif de francophonie en Italie.

Thierry Perret/ Emilia Martinelli


Rencontres littéraires, conférences, cinéma : menu des manifestations
italiennes autour de l’année francophone


Organisées de mars à octobre, les Journées romaines de la francophonie sont le fruit d’une démarche originale, puisqu’elles ont associé les ambassadeurs et chefs de mission diplomatique francophones présents à Rome. Dans le menu, on notera les rencontres littéraires organisées en mars autour de la semaine de la francophonie, qui ont vu le Centre d’études italo-françaises de l’université Roma 3 recevoir notamment Fulvio Caccia (Canada/Italie), Pascale Fonteneau (Belgique), Vassilis Alexakis (Grèce), Henri Lopes (Congo)… tandis que le 15 mars dernier une soirée exceptionnelle, « aux sources de la Méditerranée », était accueillie par la fameuse Villa Médicis. Ces journées romaines se sont élargies au théâtre, au cinéma (festival « Panafricana » en avril, avec le prix spécial du groupe francophone remis cette année au cinéaste tunisien Nouri Bouzid), et se prolongent à l’automne par une manifestation autour de Léopold Sédar Senghor.

Ailleurs, les centres culturels français et les alliances françaises essaimés dans tout le pays ont assuré l’animation. Quelques écrivains francophones ont pu ainsi aller à la rencontre du public italien : à Bari et Lecce, sous le thème « le français, langue d’écriture », une table ronde a réuni Jean-Luc Raharimanana (Madagascar), Abdourahman Waberi (Djibouti) et Vinod Rughoonundun (île Maurice), et à Palerme les rendez-vous littéraires intitulés « voix d’Afrique » mettaient à l’honneur Tahar Bekri (Tunisie), Sayouba Traoré (Burkina Faso) et Abdourahman Waberi. D’autres rencontres avec des auteurs francophones ont eu lieu à l’Institut français de Florence, où l’on a pu également suivre une conférence sur le belge… Tintin; à Gênes l’Alliance française optait pour le cinéma, avec la projection du film « Bronx-Barbès » de la française Eliane de Latour, suivie d’un débat avec le politologue Jean-François Bayard, et a proposé en mai, tout comme les alliances de Venise et de plusieurs autres villes, une Nuit de la Pub Francophone… à Milan, encore, un coup de projecteur (« fenêtres francophones ») a été donné sur le cinéma belge et suisse.

Des conférences aussi, à noter : à Vérone un séminaire sur les questions de traduction et de publication d’ouvrages francophones, à Trévise une conférence sur « Anne Hébert, grande écrivaine du Québec », à Gênes une conférence-lecture sur la littérature féminine de langue française au Maghreb. Si Aoste proposait une exposition sur « le Primitivisme, à la découverte de l’art africain », Turin où se tenaient les Jeux olympiques d’hiver a pour sa part réservé, durant toute la période des Jeux, un espace en libre accès : Le Café, Rendez-vous de la Francophonie, et proposé du 14 au 24 mars un programme alliant cinéma, théâtre et littérature sous le titre « du Québec à la Côte d’Ivoire ». A Naples enfin (v. encadré), Haïti et Aimé Césaire ont été notamment mis à la « une », tandis que la ville accueillait en février la 3ème édition des journées du théâtre scolaire francophone, avec des troupes de Belgique, d’Italie, de Roumanie et de Suisse. Théâtre encore, du 20 au 24 février, à l’Institut français pour le 11e festival de théâtre lycéen francophone.

TP/EM


Francophonie en Italie : l’exemple de Naples

ENTRETIEN AVEC DANIELE ROUSSELIER, DIRECTRICE DE L’INSTITUT FRANÇAIS DE NAPLES


MFI : Comment avez-vous abordé la programmation de cette année 2006, décrétée en France année des cultures francophones ?

Danièle Rousselier :
Il faut évoquer d’abord deux problèmes… le premier est que, comme dans toute l’Italie, il y a une déperdition de la langue française et que très peu de gens parlent français. Donner des spectacles issus de pays francophones, en langue française, c’est être confronté au problème d’avoir ou non un public. Deuxième problème, nous avons de moins en moins de moyens, et si l’on nous charge de faire la promotion de la francophonie en 2006, c’est sans ressources supplémentaires. Néanmoins nous avons essayé de faire des choses. J’avais choisi ici de parler spécialement des Caraïbes. Nous avons proposé un spectacle sur Haïti, à partir d’une lecture en musique de 13 poètes et auteurs haïtiens, avec un metteur en scène, Luc Clémentin, qui avait déjà monté un tel spectacle à la Villette et au Centre Pompidou, il y a deux ans. Pour attirer du public, j’ai dû impliquer les universités : des étudiants en français ont traduit des textes en italien, qui ont été distribués au public de manière à ce qu’il puisse suivre.

MFI : Aimé Césaire, également, est au programme, sous forme de « feuilleton… ?

D.R. :
Oui, j’ai créé une manifestation qui s’appelle les lundis littéraires de la médiathèque, et cette année nous consacrons ces lundis littéraires spécifiquement à des auteurs francophones, et au moins de mai, nous nous sommes intéressés principalement à Aimé Césaire, avec la diffusion d’un film lui-même en trois parties. A la rentrée, nous aurons des manifestations autour de Senghor, avec des initiatives notamment en direction des écoles. Nous exposerons les livres du poète, des dossiers sur son oeuvre, il y aura une exposition d’affiches, etc.

MFI : En dehors de l’année francophone, il y a eu à Naples une certaine attention portée à l’Afrique, à la littérature et à l’art africain ?

D. R. :
Ce n’est pas en effet parce que c’est l’année francophone qu’on fait de la francophonie. Il se trouve que Naples est, par certains côtés, une ville africaine ou du moins tournée vers l’Afrique, et que j’ai un intérêt particulier pour le continent africain ; nous avons donc eu un certain nombre d’activités ces dernières années concernant l’Afrique. Quelques exemples : nous avons organisé en 2004 une grande fête africaine, avec exposition de photos, musique, dégustation culinaire… et en décembre 2005, nous avons proposé une très belle exposition du peintre centrafricain Ernest Wangaï ; grâce à un accord avec l’alliance française de Bangui il est venu en résidence à Naples, et ce fut un grand succès. L’institut a eu beaucoup de monde et Ernest Wangaï a vendu toutes ses toiles. Ç’a a été formidable !

MFI : Quelques mots sur la Francophonie à Naples... qui est une ville au long de son histoire ayant noué des liens très étroits avec la France, où plusieurs générations de Napolitains ont parlé le français. Où en est-on aujourd’hui ?

D.R. :
C’est vrai, Naples est la ville d’Italie la plus liée à la France. Historiquement, il y a eu la domination de la dynastie des Anjou, puis celle des Bourbons, la conquête bonapartiste… il y a eu Alexandre Dumas, etc. La présence française y est beaucoup plus marquée qu’ailleurs en Italie, l’Institut français de Naples existe depuis cent ans et les Napolitains y sont très attachés. Mais il ne faut pas se faire d’illusions. Qui aujourd’hui parle français ? Ce sont des classes très cultivées. Si à une époque, tout le monde apprenait le français à l’école, c’est terminé : certains Napolitains apprennent le français en seconde langue, et on fait de gros efforts pour maintenir l’état de la langue française, mais celle-ci est en perte de vitesse. C’est un phénomène généralisé en Italie ; les régions où il la baisse est la moins sensible sont les régions frontalières, du fait de la proximité avec la France.

MFI : Quel public, dans ces conditions, visez-vous ? Une petite élite ? Ou y a t’il moyen de populariser certaines initiatives ?

D.R. :
Je ne veux pas du tout favoriser l’élite, une catégorie d’ailleurs âgée, qui parle bien français. Il faut que nous soyons ouverts à toutes les catégories de la population, même si c’est difficile. Une fois, nous avons exposé un photographe qui avait fait de formidables portraits de Napolitains, dans toutes les couches sociales. On a vu venir des gens qui n’avaient jamais mis les pieds à l’institut… même chose avec une autre exposition de photos, d’une jeune française qui avait travaillé sur les Pizzaioli, les fabricants de pizzas (3)… on a fait une grande fête de la Pizza, là aussi on a eu un public très populaire. Autre exemple : dans les quartiers en difficulté, des enseignants font un énorme travail pour les jeunes en difficulté et on initie ceux-ci à la peinture. Ils réalisent de grandes peintures que j’ai exposées, tout l’institut était couvert de ces fresques, c’était d’une grande beauté et tous les acteurs sociaux, toute la ville se sont retrouvés là !

MFI : Il y a enfin la question des moyens… la France a de grandes ambitions pour diffuser sa culture, elle en a sans doute encore en Italie ; tous cependant peuvent faire le même constat : les moyens ne suivent pas les ambitions.

D.R. :
C’est vrai, la culture en général est très touchée en France – et dans le monde- en période de crise. En Europe, il y a un redéploiement de l’action culturelle extérieure, qui se traduit par une baisse de moyens en Europe de l’ouest, et d’année en année nous voyons baisser des budgets qui sont déjà assez faibles. Alors on nous dit d’essayer de nous débrouiller seuls, et de générer des ressources : ainsi en augmentant les cours de langue (payants), et nous faisons un grand effort dans cette direction, à condition que les gens veuillent apprendre le français… Il faudrait aussi trouver des sponsors privés. Il se trouve que si c’est réaliste à Milan et dans le Nord industriel, dans le Sud de l’Italie c’est strictement impossible. J’ai beaucoup maintes tentatives, je n’ai presque jamais réussi à attirer des sponsors, à quelques exceptions près. Résultat : il nous faut beaucoup de travail et beaucoup d’ingéniosité pour compenser le manque de moyens ; il faut aussi marchander avec les créateurs, les musiciens, en leur demandant d’accepter des cachets amoindris, etc. C’est une situation évidemment très inconfortable.

Propos recueillis par Thierry Perret


(1) Exposition de 100 œuvres de toute l’Afrique noire : « Hic sunt leones », protagonistes de l’art contemporain africain. Naples, du 18 mai au 13 juin 2006

(2) Région du nord-ouest de l’Italie, comptant environ 120 000 habitants, le Val d’Aoste est une région autonome à statut spécial, qui reconnaît deux langues officielles, l'italien et le français. Celui-ci est aujourd’hui en net recul.

(3) Naples est la ville de naissance de la pizza…




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