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09/06/2006
Francophonie : les chemins de la diversit culturelle
Entretien avec Catherine Tasca


(MFI) Snatrice, membre de lAssemble parlementaire de la Francophonie, Catherine Tasca est un des acteurs de la diversit culturelle en France. Elle livre ici sa vision du combat mener pour promouvoir une industrie culturelle dans les pays francophones dfavoriss.

MFI : Comment tes-vous devenue dfenseuse de la diversit culturelle ?

Catherine Tasca : La diversit culturelle a toujours fait partie de ma vie. Je suis fille dimmigr italien et d'une mre franaise, je lai donc vcue. Si je cherche des souvenirs forts, je pense de suite un Mois de lItalie que javais organis la Maison de la Culture de Grenoble (Isre), une rgion o vit une importante communaut italienne. Mes fonctions mont amene frquenter des artistes comme le sculpteur Ousmane Sow, que je suis alle voir dans son atelier Dakar. Je lai vu construire sa maison, je lai vu travailler, jai accompagn la livraison de sa sculpture Victor Hugo la ville de Besanon. Ma discothque est faite de musiques de Salif Keita et de Youssou NDour, ma bibliothque est moyen-orientale, et je suis de trs prs le travail du cinaste cambodgien Rithy Phan (nous essayons de lui trouver des financements pour un projet de centre culturel).... La diversit culturelle est lun de mes plaisirs personnels et jai la chance davoir pu lintgrer dans mes fonctions politiques.
Mais je dois prciser une chose, sur un plan smantique : on utilise aujourdhui lexpression diversit culturelle , perue comme moins rbarbative, mais je suis attache lexpression de l exception culturelle que lon a mal comprise, en lassimilant une culture dexception arrogante, hexagonale. Lexception, cest sortir la culture de la simple ngociation commerciale, la placer en dehors des structures du march mondial.


MFI : Vous avez rcemment anim au Snat franais une table-ronde sur le rle des industries culturelles en francophonie. La Convention de lUnesco sur la diversit culturelle a soulign le rle essentiel de ces entreprises comme acteur de la diversit. Lheure est plutt la standardisation culturelle ?

C. T. : Les industries culturelles illustrent de faon aveuglante les ingalits entre le Sud et le Nord, faisant des uns les consommateurs des produits des autres. Au nom de la rentabilit, elles en viennent imposer des formats culturels et peuvent contribuer asscher la cration. Alors quil y a dans les pays du Sud des gisements intellectuels et artistiques considrables, ceux-ci ne sont pas en tat de matriser leurs propres productions. Les artistes sont en totale dpendance des choix et des stratgies des industries situes au Nord et cette concentration ne leur offre pas un grand avenir. Les talents ne suffisent pas, il faut tre capable de grer aussi les moyens de lamont cest--dire de la production, et les moyens de laval, la diffusion.

MFI : Voil de bonnes raisons pour les artistes de sinstaller dans les pays du Nord.

C. T. : Les structures techniques et les moyens financiers se trouvent au Nord, tout comme les rseaux de diffusion. Il est donc naturel que, par exemple, des cinastes, des musiciens ou des crivains qui veulent avoir une exposition de leur travail, essaient de se rapprocher de ces circuits. Je ne crois pas que ce soit en soi ngatif. Mais lobjectif serait que chaque pays puisse se doter de politiques publiques artistiques, car le secteur priv ne peut pas porter tout seul le dveloppement de lexpression culturelle , et que dans le mme temps on puisse fortifier des structures dinvestissements de production et de diffusion. Il existe dj quelques schmas de partenariat et de co-production qui permettent de compenser les ingalits : la France a sign un certain nombre daccords bilatraux et a eu une politique assez constante daccueil des crateurs, mais cet appui reste tout de mme marginal par rapport aux capacits des cultures du Sud . Par ailleurs, il y a quand mme des embryons dindustries culturelles dans des pays comme la Chine, la Core ou lAfrique du Sud. Certes, il sagit souvent de filires naissantes, si on considre lensemble du march mondial. Toutefois, ces industries se dveloppent sans demander grand-chose personne, ce qui veut dire dj que le public existe pour elles. Le problme maintenant est de garantir lexistence de ces petits ruisseaux et, si possible, de les amener grossir.

MFI : La Convention pour la diversit culturelle est un cadre juridique international, exposant une srie dintentions, comment passe-t-on de lengagement de principe aux actes ?

C. T. : Lancien ministre de la culture du Liban, Ghassan Salame, a propos la mise en place dobservatoires sur la diversit culturelle, au niveau des grandes rgions du monde. Je trouve que cest une trs bonne ide. LUnesco devrait organiser une veille sur la mise en uvre de la Convention.

MFI : Quelle pourrait tre la contribution de lOrganisation Internationale de la Francophonie dans le passage lacte de la Convention ?

C. T. : Les pays-membres de la Francophonie ont t trs engags dans llaboration de cette convention et de ses principes. Je ne doute pas de leur volont de prolonger cet engagement et de susciter des programmes de soutien, mettre en place des mcanismes de co-production dans les annes venir, en gardant lesprit que si on protge dun ct les cultures nationales, on doit aussi tre accueillant la diversit culturelle venue dailleurs. Il faut spauler Si une production artistique reste trop locale et sur un petit territoire, elle sasphyxie. Elle doit circuler. Dans cette prservation de la diversit culturelle, je ne voudrais pas seulement mentionner lAfrique, mais aussi les autres pays europens. En rupture aprs tant dannes passes dans le bloc de lEst, ils veulent tout prix sintgrer lensemble occidental. Rendus vulnrables par leurs retards conomiques, ils ont du mal rsister linvasion culturelle.
Au sein de la Francophonie, je vois trois axes sur lesquels baser nos actions : crer des structures de production professionnelle (cinma, dition, musique) des niveaux rgionaux, privilgier la prsence francophone sur internet, et renforcer la capacit de production des images des pays francophones, notamment destination de la jeunesse.

Propos recueillis par Marion Urban


BIO express

(MFI) Ancienne ministre franaise de la Culture et de la Communication, Catherine Tasca est snatrice des Yvelines (Parti socialiste), membre de lAssemble Parlementaire de la Francophonie (APF). Elle est la rapporteur(e) de la commission des Affaires trangres, charge de prparer la ratification de la Convention de lUnesco sur la diversit culturelle.
Professionnelle de la cause culturelle depuis de longues annes, cette ancienne lve de lEcole Nationale de lAdministration (ENA), a pris la direction dune Maison de la Culture, a t administratrice de lEnsemble Intercontemporain, cr par le compositeur Pierre Boulez, co-directrice du Thtre des Amandiers de Nanterre, avant dtre nomme par Franois Mitterrand la Commission nationale de la communication et des liberts (CNCL). Elle a t ministre dlgue charge de la communication en 1988, ministre dlgue la francophonie en 1991, puis ministre de la Culture.

M. U.




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