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MFI HEBDO: Culture Socit Liste des articles

18/08/2006
Chronique Livres

Lhomme, le clone et la brebis Dolly

Cest en fvrier 1997 que fut rvle lexistence de la brebis Dolly, premier animal clon. Trois ans plus tard, le prsident Bill Clinton clbrerait en fanfare le quasi achvement du programme de dcryptage du gnome humain. Dans lintervalle, une confrence donne par le penseur allemand Peter Sloterdijk provoqua un violent dbat : ultrieurement publi sous le titre Rgles pour le parc humain , son texte sinterrogeait sur lessence humaine et son devenir, au moment du dveloppement rapide des biotechnologies. Pendant longtemps, les hommes se sont protgs par la technique, inventant peu peu les outils ncessaires leur survie et leur dfense dans un environnement hostile, se crant, pour reprendre limage de Sloterdijk, des utrus artificiels. Mais toujours, ces prothses ont t considres par la pense classique comme des formes dficientes de ltre. Voici quelques dcennies, Heidegger parlait de larraisonnement du monde moderne par la technologie. Et aujourdhui ? Des sites Internet vendent des ovules de femmes trs belles pour insmination artificielle. Les sportifs dcuplent leurs performances avec des drogues modifiant leur mtabolisme. Et les thrapies gniques nourrissent depuis le dbut des annes 1990 dimmenses espoirs : pourra-t-on bientt soigner les maladies, non plus en sattaquant leurs symptmes, mais en allant directement corriger gnes dfaillants ou absents ? Cest un fait : les hommes disposent dsormais dune puissance de domestication sans quivalent dans lhistoire de lhumanit. Mieux : limperfection de nos organes se substituent des machines de plus en plus performantes. Si, la fin du 19e sicle, leugnisme a dabord t conu et pratiqu comme une biopolitique dtat avec des objectifs de progrs dmographique national, il est dsormais devenu une affaire essentiellement prive, a pntr via Internet dans nos foyers. Un psychanalyste a donn le signal : en 1998, Alain Ehrenberg faisait dans La fatigue dtre soi un portrait alarmant de lhomme moderne : tendu dans leffort de la ralisation de soi-mme, perdu dans un monde priv de ses valeurs traditionnelles. En bref : plus que jamais victime de la dpression, cette maladie des temps moderrnes. Le philosophe Sloterdijk, lui, tend montrer comment le fait que les hommes aient en main la possibilit non seulement de transformer la nature mais, de plus en plus, celle de se transformer eux-mmes, oblige repenser les contours de lhumanisme: quel genre dtres voulons-nous devenir ? Il faut rendre grce Yves Michaux de mettre en perspective et de synthtiser la pense du philosophe allemand dans ce petit livre clair et synthtique : plus que jamais, nous en avons besoin.

Humain, inhumain, trop humain, Yves Michaux, Climats, 125 pages.

Elisabeth Lequeret


Lislam face la colonisation

(MFI) Quelles ont t les politiques religieuses des diffrentes puissances coloniales en terre dislam ? Et quelles en sont les consquences dans les rapports que ces puissances entretiennent aujourdhui avec les pays musulmans ? Pour rpondre ces questions, Pierre-Jean Luizard a fait appel un collectif dhistoriens, juristes et politologues, franais et trangers, qui examinent dans leurs contributions respectives les diffrents aspects de cette problmatique. Il en ressort que les puissances coloniales, mme frues de dmocratie lintrieur de leurs frontires, prises de lacit ou de religion, ont rarement fait preuve de respect pour les pratiques religieuses des pays quelles investissaient. Mme les hommes qui se sont montrs un temps attentifs aux revendications indignes, comme Jules Ferry en Algrie, ont gnralement d cder la raison dtat et aux rcriminations des colons ou ont fini par se rallier aux principes dun tat fort laissant peu de place aux pratiques indignes.
Au nom didaux mancipateurs et de la modernit chre aux puissances coloniales, la colonisation de la fin du 19e sicle et du dbut 20e tourne souvent une entreprise dradication des systmes politiques, des conceptions du pouvoir et des rapports sociaux chez les coloniss. Lislam est alors rprim au nom de la lutte contre les pouvoir fodaux ou la raction religieuse comme ce fut le cas en Russie aprs la rvolution dOctobre. Si son radication na jamais fait partie des objectifs de la colonisation, lislam a bien t une sorte de victime collatrale des diffrentes politiques dexpansion occidentales. Lhistoire est parfois fort utile pour aider comprendre les enjeux du prsent.

Le choc colonial et lislam, sous la direction de Pierre-Jean Luizard, ditions La Dcouverte, collection Textes lappui, 550 pages.

Genevive Fidani


Le Coran, prison sacre des femmes

(MFI) Les femmes musulmanes se libreront-elles avec le Coran ou contre lui ? Eternelle question, laquelle bien peu osent rpondre sans user de la langue de bois. Mais pour luniversitaire Colette Juilliard, la rponse est claire : le livre saint de lislam ne saurait fonder lgalit des sexes. Dans son Coran au fminin, elle en livre une analyse sans concession mais nanmoins nuance. Elle reconnat quen son temps, le Coran fut un livre avant-gardiste en ce qui concerne la femme et lui assura, de par son enfermement mme, une protection dont nos aeules europennes ne bnficiaient certainement pas vis--vis des hommes . Elle souligne aussi, en sappuyant sur les travaux de la Marocaine Fatima Mernissi, que la place de la femme change du tout au tout, selon les versets et linterprtation que lon peut en faire. Car la femme est omniprsente dans le Coran, mais presque toujours dans le but de servir lhomme et dassouvir son dsir. Les hommes sont suprieurs aux femmes, parce que Dieu leur a donn la prminence sur elles et quils les dotent de leurs biens, peut-on lire dans le verset 38 de la sourate des Femmes. [] Les maris qui ont souffrir de leur dsobissance peuvent les punir, les laisser seules dans leur lit, et mme les frapper. La soumission des femmes doit les mettre labri des mauvais traitements. Do la conclusion de Colette Juilliard : comme le pensent maintenant certains intellectuels musulmans, peut-tre serait-il temps de revoir les textes coraniques pour en expurger tous les versets qui nont plus leur raison dtre au 21e sicle . Inch Allah !

Le Coran au fminin. La femme, le diable et le dsir, Colette Juilliard, LHarmattan, 132 pages.

Malika Mabrouk


Jean Audibert, ou la passion de lAfrique

(MFI) Administrateur des colonies (comme on disait alors), en poste en Haute Volta et au Mali, puis directeur de cabinet du ministre de la Coopration Jean-Pierre Cot et conseiller diplomatique de Franois Mitterrand pour les affaires africaines et malgaches, enfin ambassadeur Alger, Jean Audibert (1927-1999) a men une carrire exemplaire. Il a t lun de ces passionns du continent noir en mme temps quun observateur lucide des tourments qui ont affect les pays africains depuis lre des Indpendances. Le livre qui lui est consacr sous le titre Jamais je nai cess dapprendre lAfrique est un recueil de ses articles et de ses confrences, rassembls par son pouse Andre Dore-Audibert et quelques amis. Les rflexions de lauteur sur lAfrique nont rien perdu de leur actualit. Il constate ainsi que laide financire franaise na pas donn les rsultats esprs : les pays de la zone franc ne sont pas sortis du sous-dveloppement, il ny a pas eu de dcollage conomique. Il tudie en 1978 lexistence de dmocraties militaires dans 22 pays, dont la Haute-Volta, le Ghana, le Mali et le Nigeria, et sinterroge sur le droit dingrence et les ambiguts de laction humanitaire. La deuxime partie du livre est consacre lAlgrie : Jean Audibert y voque notamment lassassinat en 1992 de Mohamed Boudiaf, quelques mois aprs son accession la tte de ltat, puis le mandat du prsident Lamine Zeroual et sa lutte contre le Front Islamique du Salut, avant de souligner la nature particulire des relations franco-algriennes quil qualifie de psychodrame chronique . On ne saurait mieux dire.

Jamais je nai cess dapprendre lAfrique, Jean Audibert, Karthala, 248 pages.

Claude Wauthier


Hrodote fte son 30e anniversaire

(MFI) Fonde voici trente ans par Yves Lacoste, la clbre revue trimestrielle de gographie et de gopolitique rend hommage au grand diteur anti-imprialiste Franois Maspero, sans lequel Hrodote naurait jamais vu le jour. De la fin de la guerre du Vietnam la rvolution islamiste iranienne en passant par la chute du mur de Berlin, la guerre du Golfe, les guerres civiles en Yougoslavie, le gnocide au Rwanda, lquipe de la revue, essentiellement forme de gographes passionns dhistoire , sest efforce danalyser les rivalits de pouvoirs sur les territoires, en confrontant les points de vue des diffrents protagonistes et en accordant une attention prcise lide quils se font chacun de leur propre nation et son territoire. Chacun de ses numros met laccent sur un conflit ou un thme qui fait polmique. Celui-ci nchappe pas la rgle, consacr La question postcoloniale, qui se pose diffremment au Royaume-Uni, aux Pays-Bas ou en France.
Ainsi, Jean-Luc Racine (LInde mergente, ou la sortie des temps postcoloniaux) rappelle comment Edward W. Sad, lun des inspirateurs du concept (au mme titre que Michel Foucault pour le postmodernisme), soutient que les intellectuels occidentaux (et Karl Marx en particulier) ont offert dlibrment ou leur corps dfendant, une fausse lgitimit lentreprise coloniale permise par linfriorit orientale . Le terme postcolonial, qui dsigne les squelles de la colonisation, nourrit un grand dbat depuis le dbut des annes 2000 : bien moins semble-t-il, parmi les peuples qui au 20e sicle taient encore soumis la domination europenne, que dans les ex-mtropoles coloniales et tout particulirement en France . Cest que, selon Yves Lacoste, les vrais enjeux de ce nouveau mouvement anticolonialiste (un no-anticolonialisme ?) relvent davantage de la politique intrieure franaise : les enfants et petits enfants des personnes issues des anciennes colonies franaises dnoncent les discriminations dont ils sont victimes. La dnonciation de la Shoah avait permis une prise de conscience de cet autre crime contre lhumanit que fut la traite des esclaves qui est elle-mme parfois assimile aujourdhui la colonisation. Cette tendance quelque peu simplificatrice contribue la diabolisation du phnomne. Traiter la France de socit coloniale peut tre source de dangereux malentendus.

La question postcoloniale, Hrodote n120. 1er trimestre 2006. Ed. La Dcouverte.

Antoinette Delafin




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