Rechercher

/ languages

Choisir langue
 
Liste des rubriques
MFI HEBDO: Culture Socit Liste des articles

01/09/2006
1er Congrs des crivains et artistes noirs : aux origines de la modernit africaine

(MFI) La Sorbonne et lUNESCO accueillent hommes et femmes de culture loccasion des clbrations du cinquantenaire du premier Congrs des crivains et artistes noirs.

Le premier Congrs International des Ecrivains et Artistes noirs a lieu du 19 au 21 septembre 1956, sous lgide de Prsence Africaine. Qualifi de Bandoeng culturel il runit soixante-dix dlgus issus de lAfrique sub-saharienne, mais aussi des Etats-Unis dAmrique, des Carabes, de lAmrique latine. En tout, vingt-cinq pays sont alors reprsents. Les dlgus sont accueillis la Sorbonne pavoise dune affiche peinte par Picasso lui-mme, exhibant le profil dune tte noire stylise. Linitiative avait aussi reu le soutien des grands intellectuels franais de lpoque parmi lesquels Andr Gide, Jean-Paul Sartre, Albert Camus, Thodore Monod et Michel Leiris qui voyaient avec sympathie la monte de la voix noire, trop longtemps carte du concert des civilisations.
Ce congrs est considr comme un moment fondateur de la modernit africaine. Cest Alioune Diop, crateur de la revue Prsence Africaine et de la maison ddition du mme nom, qui en fut linitiateur. Le Paris des annes 50 tait le lieu de tous les bouillonnements intellectuels et militants auxquels participaient les tudiants africains, mais aussi les Noirs de la diaspora vivant ou simplement de passage dans la capitale franaise : notamment lAmricain Richard Wright, le Hatien Ren Depestre, le Guyanais Lon Gontron Damas. Ses activits dditeur avaient sensibilis Alioune Diop la vitalit de la pense africaine et au souci des intellectuels noirs de prendre en charge leur histoire et leur destin. Do lide dun Congrs o les crivains et artistes dAfrique et de la diaspora africaine, runis par la douloureuse exprience historique de la domination europenne, pourraient faire connaissance, changer.

Des dbats passionns

Les dbats, suivis avec ferveur par une foule enthousiaste de Parisiens noirs et blancs, furent houleux si lon en croit les comptes-rendus de lpoque. Lassistance tait partage entre ceux qui croyaient lunicit de la civilisation ngro-africaine (position dfendue par Senghor la tribune), et ceux qui prconisaient une vision moins essentialiste de la culture et proposaient de laborder comme une somme didentits en devenir, lies des situations diverses des communauts noires de par le monde : ctait la position de Richard Wright. Les clivages concernaient galement le rapport entre le culturel et le politique, rvlant des divisions anciennes au sein mme de lintelligentsia noire, entre les marxistes qui appelaient la rvolte totale et immdiate contre le colonisateur et les crivains de la ngritude, pour lesquels la libration politique passait ncessairement par la prise de conscience de la valeur de leur culture.
Malgr les clivages, ce premier Congrs demeure une date importante dans lhistoire culturelle du monde noir. Il donna une visibilit internationale au mouvement de rnovation et daffirmation de la culture noire, dont la gestation sest faite aux bords de la Seine dans les annes 30, avec le trio Senghor, Csaire et Damas, et qui a dbouch au lendemain de la deuxime guerre mondiale sur la cration de Prsence Africaine. La tenue de ce Congrs la Sorbonne marquait symboliquement la fin de la domination culturelle de lOccident et la reconnaissance du peuple noir comme producteur de sens et de culture. Ensuite, en crant le concept de lhomme de culture noire , cette rencontre russit unir les intellectuels noirs au-del de leurs diffrences idologiques et de leurs spcificits historiques, et donner un sens leurs productions en leur confiant comme le propose la rsolution finale du Congrs la tche historique de faire revivre, de rhabiliter et dvelopper ces cultures (noires) afin de favoriser leur intgration lensemble de la culture humaine .
Enfin, si ce premier Congrs a eu une influence durable sur lvolution des cultures noires dans le monde, cest sans doute aussi parce que ses participants avaient su transcender leur ressentiment lgard de lOccident colonisateur pour riger le mtissage et le dialogue des cultures en stratgie de progrs et de cration. Une stratgie fconde dont dcoulent la crolit antillaise, la potique de la relation dun Edouard Glissant, mais aussi cette pollinisation transnationale (Salman Rushdie) qui caractrise la plupart des uvres de la nouvelle gnration de romanciers africains.

Tirthankar Chanda


La commmoration

Du 19 au 22 septembre 2006, Prsence Africaine, la Communaut Africaine de Culture (anciennement Socit africaine de Culture) et le W.E.B. Dubois Institute for African and American Research, rattach luniversit de Harvard, clbrent Paris le cinquantime anniversaire du 1er Congrs International des Ecrivains et Artistes noirs. Places sous le haut patronage de Csaire, Soyinka et Mandela, ces clbrations se droulent en deux temps : une premire journe dhommages suivie de trois jours de dbats et de rflexions sur les principaux apports de ce Congrs lvolution de la pense politique et littraire au cours des dernires dcennies, et sur les problmes et les perspectives du monde noir aujourdhui. Des personnalits dhorizons divers, qui vont du martiniquais Edouard Glissant la malienne Aminata Traor, en passant par Ren Depestre, Henry Louis Gates, Abdou Diouf, Amadou Mahtar MBow et quelques autres, prendront la parole pendant cette manifestation du souvenir.

T. C.


Trois questions Yand Christiane Diop, diretrice des Editions Prsence Africaine

MFI : Vous tiez la cheville ouvrire du 1er Congrs des crivains et artistes noirs de 1956. Quel souvenir gardez-vous de ces premires assisses culturelles africaines ?
A la fois enthousiasmant et angoissant... Nous les femmes, nous tions dans les bureaux et cest nous qui avons port le projet bouts de bras. Pour nous, ctait comme lexprience de lenfantement, sauf que cet enfantement a dur 18 mois. Nous tions partags entre lespoir et le dsespoir. On ne savait pas jusqu la dernire minute si on pourrait finalement obtenir lamphithtre Descartes de la Sorbonne. Il y avait beaucoup de mfiance lgard des Noirs, qui ne savaient que danser, pensait-on lpoque ! Nous tions davantage pris au srieux Rome, quand on a voulu organiser le deuxime congrs dans la ville ternelle. Sans doute parce que la rencontre de 1956 avait permis de rvler la qualit intellectuelle des penseurs et des crivains noirs.

Est-ce que les journaux de lpoque ont couvert lvnement ?
Il la t largement parce que on faisait tache la Sorbonne, ce haut lieu de la culture occidentale. Les journalistes se demandaient si nous pourrions tenir les trois jours. Les journaux de droite nous ont vilipend en nous traitant dagitateurs et de communistes. Dautres taient plus quilibrs et attiraient lattention sur la maturit de nos orateurs qui disaient que, sans libration culturelle, il ny aura pas de libration politique.

Quattendez-vous des clbrations du cinquantenaire ?
Jespre que ces clbrations permettront de montrer le long chemin parcouru depuis cinquante ans. Par exemple, cette fois les femmes seront au premier plan, alors quen 1956 elles devaient se contenter daccrocher des affiches Les clbrations de 2006 sont aussi le moment de passage de tmoin, comme le rappelle Csaire dans le discours quil nous a fait parvenir. Je suis daccord avec lui, il est plus que temps pour que les gens de ma gnration passent enfin le flambeau aux plus jeunes.


Propos recueillis par Tirthankar Chanda

retour