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15/09/2006 | |||
SPECIAL ANNEE SENGHOR (1) Senghor penseur : la postrit et les dbats | |||
(MFI) Lanne Senghor, clbre tout au long de lanne 2006, est marque la rentre dautomne par quelques-unes des plus importantes manifestations de sa programmation (1). Celles-ci concident avec le centenaire de la naissance, le 9 octobre 1906 Joal, du pote, ancien chef de lEtat du Sngal. Loccasion de sinterroger, au-del des hommages solennels, sur la postrit dun penseur dont luvre a souvent t conteste par les intellectuels africains. | |||
Dans le concert dhommages prodigus Senghor, on aura entendu en 2006 peu de voix discordantes. Sans doute lvnement ny tait-il gure propice, moins que tout nait dj t dit. Les spcialistes rappellent en effet que les polmiques autour de Senghor ont t pres du vivant mme du penseur de la Ngritude : ds les annes 50, et surtout partir des annes 70, nombre dintellectuels africains, de Stanislas Adotevi Mongo Beti, de Fabien Eboussi Boulaga Paulin Houtondji, ont mis de vives critiques lgard dune pense senghorienne conue comme rductrice, et politiquement contestable. Lloge de lidentit ngre, du mtissage culturel ont alors paru des concepts creux ou nfastes, tandis que beaucoup suspectaient, comme le rappelle lcrivain sngalais Boubacar Boris Diop, le chantre de la culture ngroafricaine dtre aussi le plus dvou, pour ne pas dire le plus servile, collaborateur de lancienne puissance coloniale (2). Cest ensuite des Etats-Unis, dans le contexte des tudes postcoloniales (3), que sont venues dautres flches contre la postrit de Senghor. Cest ce que rappelait luniversitaire Daniel Delas loccasion dun colloque, en juin dernier (4), en soulignant que, vu dAmrique, Senghor apparat comme le reprsentant de lintellectuel africain assimil la franaise qui, au bout du compte reproduit, en croyant les inverser, les reprsentations coloniales . Lune des critiques les plus radicales a t mise par Valentin-Yves Mudimbe, auteur (dorigine congolaise) en 1988 de The Invention of Africa, pour lequel la pense africaine classique, commencer par celle de Senghor, sinscrit dans les cadres de pense de lOccident colonisateur et ne peut manifester de rupture. A quoi rplique, galement des Etats-Unis, le Nigerian Abiola Irele (5) en signalant que Senghor a su au contraire retourner le discours occidental pour le remettre au service dune cause nouvelle, celle de la revalorisation de lAfrique et de la race noire , avant daffirmer que la ngritude garde aujourdhui toute son actualit en tant quidologie de reconstruction africaine. Senghor en situation postcoloniale Plus rcemment, signale encore Daniel Delas, un penseur comme le Camerounais Achille Mbembe radicalise la critique de la production intellectuelle africaine, et des utopies comme la ngritude, en considrant quelles sont vides de leur sens par une situation postcoloniale qui reproduit la situation de domination des ex coloniss et, caractrise par la violence, rend illusoire tout dialogue des cultures . A contrario, nombre dintellectuels (tel le Hatien Ren Depestre) tiennent aujourdhui affirmer, par del les dbats trop thoriques, lampleur et la lucidit dune vision senghorienne de la condition humaine qui sinscrit pleinement, selon eux, dans leffort de dcolonisation. Ceux-l seront bien sr mortifis par lanalyse dun Boubacar Boris Diop qui, tout en rendant hommage la stature du pote et de lhomme dEtat, considre par exemple propos des essais de Senghor (publis dans les recueils Libert) quils retiennent davantage lattention par la qualit du style que la profondeur et la rigueur de la pense , jugeant son travail thorique, riche en formules brillantes plutt pteux et un peu flasque ! Ce nest manifestement pas le point de vue de Nimrod, auteur dorigine tchadienne, qui a crit un Tombeau de Lopold Sdar Senghor remarqu (6). Fascin par la haute figure dintellectuel de son an, par la synthse russie des cultures quil manifeste, Nimrod part dabord en guerre contre les crivailleurs qui ont rpudi la langue franaise pour mieux safficher authentiques , sans doute par dfaut de matrise et de culture Il dfend aussi certains des concepts et formules les plus discuts de Senghor (lmotion est ngre comme la raison hellne) pour en montrer la complexit relle et la valeur actuelle, concluant que jamais nous ne verrons se redployer un destin politique de pareille envergure, ni dentreprise littraire qui, comme la sienne, mette en chec lgotisme et la dmagogie. Linfortun Monsieur Senghor Toute autre approche de la postrit senghorienne, Nicolas Martin-Granel sinterroge sur son impact auprs des crivains congolais, et surtout Sony Labou Tansi (7), proposant au passage une fine analyse de lusage du mot ngre , videmment fondateur chez Senghor. Le terme, avec ses drivs (de ngrerie ngrophilie) a souvent t employ aprs lui par maints auteurs comme un retour lenvoyeur , avec ironie ou colre, pour mieux insister sur les pesanteurs d'un mot cadavre qui encombre leur horizon . Sony Labou Tansi est un de ceux qui a fait le sort le plus radical ce beau mot de ngre , o il discerne une mise nu de lternelle condition de domins des Africains, coloniss notoires qui il enjoint : Enfourchons l'injure coutumire du ngre battu sur tous les terrains de l'Histoire . En matire de ngritude, fait entendre Nicolas Martin-Granel, Sony Labou Tansi se sentait videmment plus en connivence en compagnie dun Aim Csaire, que de linfortun Monsieur Senghor avec sa pauvre ex-Ngritude . Le mme Sony ajoutait : quand les miliciens de la polmique me demandent ce que je pense de la Ngritude, je rponds : 'On ne peut plus arrter d'tre Noir". Et je voudrais qu'en lisant n'importe lequel de mes livres, Senghor s'crie : "Ainsi je m'tais donc tromp de Ngritude". On ne peut tre plus clair Comme le signale luniversitaire, au fond du mot ngre il y a lidentit , et Sony Labou Tansi ne pouvait sur ce plan se laisser piger par la dialectique dun Senghor, par ailleurs imprgne dhumanisme classique, quand lhorizon lpoque o crit lauteur congolais est dj tout autre : la grande question est de savoir ce que nous sommes aujourdhui. Ne parlons plus comme si tous les jours taient hier . Thierry Perret (1) Parmi les manifestations, noter : - le 19 septembre Paris, linitiative notamment de lUnesco, clbration du Cinquantenaire du premier congrs des crivains et artistes noirs ; - le 9 octobre, colloque la Bibliothque nationale de France (Paris) : Lopold Sdar Senghor et les puissances de lcriture. - Du 24 au 26 octobre, un colloque organis au Sngal par lUniversit de Dakar : La pense et le message de L. S. Senghor face aux dfis du XXIesicle (2) Le Sngal entre Cheikh Anta Diop et Senghor, texte publi sur le site de luniversit du Texas Austin : http://www.utexas.edu/cola/insts/france-ut/archives.html (3) Les tudes post-coloniales sont surtout illustres dans le monde anglo saxon et se livrent une tude critique des productions intellectuelles issues de lexprience de la colonisation ou influences par elles. (4) Actualit de la ngritude ou de la postrit amricaine de Senghor, communication faite au Colloque de Cerisy sur Senghor et sa postrit littraire (27-30 juin 2006) (5) Dans Ethiopiques, n 69 (6) Tombeau de Lopold Sdar Senghor, ditions Le temps quil fait (7) Senghor et les crivains congolais : le malentendu, communication au colloque de Cerisy. | |||
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