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15/09/2006
SPECIAL ANNEE SENGHOR (2)
Pour un Senghor sans clichs


Entretien avec Daniel Delas

(MFI) Parmi les livres publis sur Senghor, celui que lui consacre Daniel Delas (1) sefforce de montrer la cohrence entre parcours potique et uvre politique, chez un homme dont on aurait simplifi lextrme le message. Entretien.


MFI : De nombreux ouvrages sont sortis loccasion de cette anne Senghor. Dans quel domaine situez-vous votre propos, celui de la littrature ou du Senghor pote ? Et de ce point de vue, quelle lecture en proposez-vous ?

Daniel Delas : Senghor souffre en quelque sorte dun excs de notorit, en particulier en France et dans le monde francophone o, port par la puissante machine de la francophonie, il apparat comme un porte-parole officiel de celle-ci, et est surmdiatis Il ma sembl important de montrer le lien troit qui existait chez lui entre politique et potique et de ne pas laisser sinstaller une vulgate qui privilgie certains aspects et en laisse dautres dans lombre. Parler encore et encore du chantre de la ngritude et citer lappui toujours les mmes phrases et les mmes pomes statufie lcrivain et le penseur dans une posture canonique. Les textes les plus forts de Senghor ne sont pas connus je pense en particulier ceux dHosties noires et de Lettres dhivernage ou ne sont pas mis en relation avec lensemble de sa production. Un sondage rapide montrerait que la comptence des lecteurs ordinaires, en Europe comme en Afrique, se ramne trop souvent Femme nue femme noire et Lmotion est ngre comme la raison est hellne , partir desquels on brode satit.
Or Senghor a vcu dans sa ralit la plus concrte son statut de colonis, au jour le jour, au quotidien des humiliations et des offenses. Cest cela que jai tent de mettre en valeur dans mon livre, cest--dire comment la potique qui la constitu en crivain matre de son criture sest singularise au long dun parcours vcu dans le doute voire dans langoisse.


Il y a aussi le penseur, qui a livr de nombreux textes critiques sur la culture et la situation de lAfrique dans le monde. Ce Senghor-l a-t-il t bien lu et compris ?

Les pomes de Senghor expriment autant sa pense et sa foi politique que ses textes thoriques et critiques. On peut certes les considrer sparment puisque leur rgime dcriture est diffrent, mais il faut affirmer leur troite complmentarit. Comme dans le cas dAim Csaire dailleurs. La critique des options socialistes et culturalistes de Senghor a commenc trs tt et est venu dopposants venus de divers horizons opposants externes se rclamant dun marxisme intransigeant et refusant donc le primat du culturel sur lconomique ou opposants internes dnonant sa gouvernance autoritaire du Sngal et constatant lchec de son panafricanisme politique. On peut se demander toutefois, maintenant que les idologies progressistes se sont rvles mystificatrices, si Senghor na pas eu le tort davoir eu raison trop tt et, en particulier, si la politique rsolument culturelle quil a tant uvr dvelopper au Sngal nallait pas dans le bon sens.


Vers quels crits de Senghor orienteriez-vous un lecteur dsireux de sortir des sentiers battus du senghorisme ?

Quon lise les Lettres dhivernage pour prendre coute dun pote simple et humain, quon lise lhymne la nuit de lElgie des Alizs, pour entendre les accents puissants dune posie qui ne soit pas voue la ngritude ; que, dans les textes en prose, on fasse connatre les rflexions dun homme sur la peinture ou la musique, en particulier sur le rythme, moteur essentiel du pome

(1) Lopold Sdar Senghor, Le matre de langue, dition Aden ; parution prvue : octobre 2006

Propos recueillis par Thierry Perret


Critiquer Senghor dans son contexte

(MFI) Pour Boniface Mongo-Mboussa (1), Lopold Sdar Senghor a t la fois clbr et injuri sans que son uvre fasse lobjet dune vritable lecture critique. Selon le critique congolais, les rflexions et plus encore les formules thme parfois cites de manire tronque du chef de file de la Ngritude ont gnralement t examines et dbattues sans prise en compte du contexte do elles ont merg : les textes, notamment les essais, de Senghor sont peu lus, et lon fait systmatiquement lconomie dune analyse sur les conditions historiques et lenvironnement intellectuel o il sest exprim.
Je me situe dans la gnration qui vient aprs celle des anti-Senghor, comme Adotvi, et ce qui ma frapp est cette absence de contextualisation, qui aboutit des anachronismes Et la rponse la question : peut-on aujourdhui clbrer lAfrique (comme la fait Senghor) est ncessairement de lordre de lentre-deux : oui et non, et en tout cas on ne peut plus la clbrer comme lpoque de Senghor, tant donn tout ce qui a chang
Boniface Mongo-Mboussa souligne de ce point de vue le repre fourni par une figure comme celle de Tchicaya qui, ds 1955 dans son recueil Mauvais sang, signait comme un manifeste anti-Senghor en mettant en exergue son mal-tre dcrivain ngre en France, lencontre de loptimisme senghorien. Et il rappelle les diffrences exprimes en leur temps par les crivains dAfrique centrale, spcialement congolais, dans un milieu portant lempreinte du marxisme face cette autre Afrique clbre, dans le contexte de lAOF, par Senghor : ligne de partage que reproduit, aprs le Festival mondial des arts ngres organis Dakar en 1966, la tenue Alger, en 1969, du Festival culturel panafricain, o Stanislas Adotevi (2) lanait sa charge fameuse contre la ngritude.

T. P.


(1) Peut-on encore clbrer lAfrique ? Communication au colloque de Cerisy, juin 2006

(2) Stanislas Adotevi est lauteur, en 1972, du livre Ngritude et ngrologues, do lon peut extraire la citation suivante : En ressassant le pass, en attisant une sensibilit morbide, le pote-Prsident ou plutt le Prsident-pote vise faire oublier le prsent. La ngritude d'aujourd'hui, la ngritude des discours, n'est rien moins qu'une pure et plate propagande, une panace aux problmes de gouvernement. La trs bizarre formule senghorienne de division raciale du travail intellectuel (l'motion est ngre comme la raison est hellne), vise uniquement perptuer un rgime considr comme no-colonialiste et dont il est Prsident ; La ngritude doit tre le soporifique du ngre. C'est l'opium. C'est la drogue qui permettra l'heure des grands partages d'avoir de bons ngres .




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