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26/09/2006 | |||
Spécial festival des Francophonies en Limousin A l’honneur, l’Outre mer, le Burkina et le « frottement » des langues… | |||
(MFI) Le 23e Festival des Francophonies en Limousin ouvre ses scènes le 26 septembre. La programmation de cette année, signée par la nouvelle directrice du festival Marie-Agnès Sevestre, fait une large place à l’Outre-mer et au Burkina Faso. Elle comporte aussi des concerts et des spectacles de danse. Entretien. | |||
MFI : Quelles orientations souhaitez-vous donner à ce Festival, qui s’est imposé au cours des années comme l’une des principales manifestations des théâtres francophones du Sud ? Marie-Agnès Sevestre : Je succède à Patrick Le Mauff, qui avait lui-même succédé à Monique Blin, directrice et fondatrice du Festival. Alors que cette dernière avait fait découvrir les richesses longtemps cachées de la scène africaine francophone, Patrick Le Mauff s’est employé à l’ouvrir à d’autres aires francophones et à des genres autres que le théâtre, notamment la danse et la musique. Ce sont deux grandes orientations fondatrices de cette rencontre en terre limousine. Je me réclame de cet héritage, mais je l’aborde avec la sensibilité qui est la mienne, forgée par ma propre expérience de la francophonie. D’où l’accent mis dans la programmation de cette année sur l’Outre-mer, que je pratique depuis longtemps et qui a été peu sollicité jusqu’ici à Limoges. Je souhaite ouvrir ce festival à la parole d’outre-mer qui est un formidable lieu de création à cause des frottements entre diverses langues, entre le français et le créole, mais aussi entre le français et l’anglais, le français et l’espagnol. C’est tout un univers fait d’échos et de résonances culturelles multiples, que les habitués des Francophonies pourront découvrir cette année. MFI : Quels sont les temps forts de l’édition 2006 ? M.-A. S. : Il y en aura deux, le premier autour de l’Outre-mer et le second autour de l’Afrique, plus précisément le Burkina-Faso. C’est Ahmed Madani, de l’Océan indien, et Seth & compagnie, de la Nouvelle Calédonie, qui vont représenter l’Outre-mer à Limoges avec deux créations théâtrales. J’ai par ailleurs voulu innover en invitant un sculpteur martiniquais à venir présenter ses œuvres pendant le Festival. C’est la première fois que les Francophonies prennent une telle initiative et s’engagent financièrement dans le domaine des arts plastiques. Il y a eu dans le passé des expositions, mais elles n’étaient jamais le fruit d’une initiative autonome de la direction du Festival. Pour ce qui est de l’Afrique, c’est le Burkina qui sera à l’honneur cette année avec six spectacles : deux spectacles de danse, deux concerts, un spectacle destiné au jeune public et enfin un spectacle de danse qui se déroulera dans la rue. La programmation de cette année comporte deux spectacles de rue (Transit et Les animaux qui dansent), qui ont pour but de mobiliser le public limousin, qui ne se rend pas tous obligatoirement au théâtre ou aux spectacles proposés par les Francophonies. C’est une orientation que je voudrais donner à cette manifestation afin de l’enraciner dans la ville en la rendant plus visible. MFI : Cet accent mis sur un pays, le Burkina en l’occurrence, ne risque-t-il pas de déséquilibrer le Festival ? M.-A. S. : Non, car je me suis assurée que les spectacles burkinabé ne relèvent pas tous du même genre. Il y a du théâtre, de la danse, des spectacles pour le jeune public, du rap... L’idée n’était pas d’être exhaustif sur un pays, mais de donner au public la possibilité de s’imprégner de la création d’un pays. Je me suis dit que quelqu’un qui verrait les six spectacles aurait une idée assez précise de toute la gamme de la créativité burkinabé. J’avoue que c’était d’abord intéressant pour moi-même, de faire ce travail. Cela m’a permis de comprendre la diversité de la culture de ce pays, de voir comment l’appréhension de la société et de ses enjeux diffère d’un artiste à l’autre, d’un genre à l’autre. MFI : En revanche, vous avez abandonné la formule « langue invitée » mise en place par Le Mauff pour ne pas enfermer la francophonie sur elle-même. Pourquoi ? M.-A. S. : L’idée de proposer chaque année un spectacle dans une langue étrangère est une belle idée. Je n’y suis pas opposée. Mais encore faut-il trouver un spectacle de qualité. Ce n’était pas le cas cette année. Cela étant dit, les langues étrangères ne seront pas tout à fait absentes des spectacles que nous proposons. Par exemple, dans la revisitation d’Œdipe de Sénèque que propose une troupe calédonienne, les personnages s’expriment en français, mais aussi en kanak. Dans la pièce L’improbable vérité du monde d’Ahmed Madani, des passages en malgache alterneront avec le français. Cette interpénétration des langues et des cultures est une caractéristique essentielle de la francophonie : c’est ce que je voudrais faire sentir au public à travers les spectacles de l’Outre-mer. Plutôt que d’avoir une langue invitée, je préfère inviter tous les voisinages de la langue française, là où celle-ci se frotte à d’autres parlers, d’autres visions du monde. MFI : Cette 23e édition des Francophonies en Limousin coïncide avec l’année culturelle francophone en France décrétée par Jacques Chirac. Quelle réflexion vous inspire la célébration institutionnelle de la francophonie ? M.-A. S. : Je constate que l’année des cultures francophones n’a aucunement facilité la venue en France des artistes francophones du Sud ! Même dans une organisation comme la nôtre, qui a pignon sur rue, nous avons beaucoup de mal à obtenir des visas pour faire venir les artistes. La France ne se donne pas vraiment les moyens de coopération, de collaboration et de partage que ses dirigeants ne cessent de revendiquer par ailleurs dans leurs discours. Je propose que l’on mette à profit cette année des cultures francophones pour réfléchir ensemble à la question des visas et à celle de la circulation des artistes du Sud. C’est un vrai problème de droit et de diplomatie. | |||
Propos recueillis par Tirthankar Chanda | |||
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